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Corps contingents :
métamorphose du moment

L’art de Brigitta Kocsis capture la relation entre le corps, l’esprit et la société

Par Willow Loveday Little

L’exposition de Brigitta Kocsis à la Galerie d’Outremont du 10 janvier au 3 mars 2019, décrit la relation entre le corps, l’esprit et la société à travers un équilibre entre abstraction et figuration.

Qu’est-ce qui est plus métaphysique que de discuter d’un processus créatif avec une artiste dont le travail repose sur l’exploration ontologique ?

C’est ce que je me trouve à faire un lundi soir avec Brigitta Kocsis, une artiste canadienne-hongroise dont le spectacle à venir, Corps contingents (Contingent Bodies), est une reconstruction anatomique visuelle abordant les implications de la structure et de la théorie de la peinture . « Je cherche à remettre en question les principes de la peinture, explique l’artiste, et à dire non afin d’aller dans la direction opposée. ». Ainsi, l’interaction entre figuration et abstraction définit les Corps contingents.

Brigitta Kocsis BK0215 - WestmountMag.ca

BK0215 de Brigitta Kocsis

Kocsis, récipiendaire de nombreuses distinctions et subventions prestigieuses, équilibre habilement des corps dans divers états de dévoilement, le tout dans un spectre allant du réalisme à l’art abstrait. Pourtant, les personnages nus, habillés, ou à demi vêtus qui peuplent ses peintures n’en sont qu’une partie. La toile aussi se masque au spectateur par des lavages de couleurs et des formes géométriques vagues qui occupent également la toile et occasionnellement « habillent » les personnages. Souvent, une forme se fond dans une autre.

Que Kocsis puisse évoquer des mots tels que « mécanique », « organique » et « imaginaire », le tout à partir d’un seul pied peint, en dit long sur son talent d’artiste.

Mon regard est soudain attiré par l’une des dernières pièces de Kocsis, une grande toile intitulée BK2812. On y voit un groupe de femmes se penchant l’une contre l’autre, leur corps exposé au spectateur. Sauf qu’ils ne le sont pas. Au moins, pas de la façon dont vous pourriez l’imaginer. Leurs formes ont été décomposées : un torse réaliste est associé à une jambe encadrée de peinture blanche ressemblant à un contour de craie sur une scène de crime, tandis qu’une femme “porte” une tache presque opaque de vert pâle comme s’il s’agissait d’une correction à posteriori apportée à la pièce. C’est peut-être l’équivalent du blanc correcteur pour un mot mal orthographié. Une jambe se termine par une prothèse équipée d’un chausson de ballet en satin.

Que Kocsis puisse évoquer des mots tels que « mécanique », « organique » et « imaginaire », le tout à partir d’un seul pied peint, en dit long sur son talent d’artiste. Elle subvertit le regard du spectateur, nous obligeant à considérer le corps hybride – et la toile – à toutes les étapes du processus. C’est un art qui capture la métamorphose du moment.

Brigitta Kocsis BK2364 - WestmountMag.ca

BK2364 de Brigitta Kocsis

Mais les corps ne sont pas les seules formes à prendre en compte. On remarque les gouttes de peinture et les artifacts de couches précédemment appliquées sur la toile. Ensemble, ces détails créent une atmosphère de contamination et de déplacement qui interpelle le spectateur. Il y a aussi cette tension récurrente entre l’organique et l’artificiel. Le monde naturel réclame la toile; la mousse verte se développe sur des formes abstraites suturées ensemble comme un collage, les transformant en décombres. Des fleurs de Magnolia se déroulent au premier plan, leurs boutons roses à différents stades de la floraison. Certaines fleurs sont grossièrement esquissées, d’autres rendues de façon plus réalistes, d’autres encore frappées de coups de pinceau indigo. Pourtant, les formes grises austères, persistantes dans la toile, renvoient à l’acier et au béton. C’est un équilibre.

‘Son art est à la fois le produit final et une documentation visuelle du processus qui a conduit au résultat.’

L’approche de Kocsis à l’égard de la peinture est originale et non conventionnelle. Elle commence avec les personnages, puis elle construit et décompose les éléments de la peinture jusqu’à ce qu’elle soit satisfaite du résultat. Kocsis compare ce processus à l’improvisation musicale, « tout comme les musiciens jouent avec les notes jusqu’à ce qu’une mélodie apparaisse et prenne forme », explique-t-elle. Le résultat? Son art est à la fois le produit final et une documentation visuelle du processus qui a conduit au résultat.

Artiste distinguée, Kocsis a commencé son parcours d’apprentissage du dessin dès son plus jeune âge à Budapest. Après avoir déménagé au Royaume-Uni, elle a appris l’anglais à Brixton, puis est venue à Montréal en 1990 pour étudier les beaux-arts à l’Université Concordia. Elle a obtenu son baccalauréat en arts visuels de l’Institut d’art et de design Emily Carr en 2005.

Brigitta Kocsis BK2812 detail - WestmountMag.ca

Détail de BK2812 de Brigitta Kocsis

Kocsis expose à l’échelle nationale et internationale avec des ateliers à Vancouver et à Montréal. Reconnue sur la scène artistique, son travail a été présenté dans des expositions collectives et individuelles à travers le monde, notamment à la Biennale de l’Art de Genève, l’Institut Balassi, l’Université Szeged, la maison Harcourt, la Burnaby Art Gallery et la Grunt Gallery. Son approche s’appuie sur les œuvres d’artistes contemporains formulant de nouvelles perspectives autour des traditions de la peinture, telles que Rosa Loy, Neo Rauch et Albert Oehlen, ainsi que sur celles traitant de représentations conflictuelles du corps féminin, telles que Kati Hack et Jenny Seville.

Dans un monde obsédé par le partage d’images parfaites et immaculées sur les médias sociaux avec des publics qui y voient une nouvelle norme, les peintures de Kocsis nous obligent à reconnaître qu’il existe d’autres valeurs à prendre en compte. Par leur dissonance visuelle, ses images invitent le spectateur à confronter les attentes de l’abstraction et de la figuration conventionnelle. Mais plus que cela, les marques de gouttes, les nuages translucides et les aperçus palimpsestes de couches antérieures voilées sous d’autres couches de peinture nous obligent à réfléchir sur nos propres idées préconçues concernant l’art.

‘Son approche s’appuie sur les œuvres d’artistes contemporains formulant de nouvelles perspectives autour des traditions de la peinture… ainsi que sur celles traitant de représentations conflictuelles du corps féminin…’

Contempler un tableau de Kocsis est une expérience paradoxale: vous êtes à la fois le spectateur qui observe et le sujet observé, mis au défi par la proximité désincarnée du regard des personnages – conscients ou ignorants de votre présence – et par le sentiment de détachement créé par l’atmosphère abstraite, reconstituée.

C’est cérébral et viscéral, nu et couvert à la fois. Et dans l’ensemble, comme le titre le révèle, c’est un corpus de travail contingent. Le terme contingent, qui signifie “se produisant ou existant uniquement si certaines circonstances sont présentes”, s’applique bien sûr au processus de Kocsis et aux figures de ses toiles. Cependant, le titre est peut-être aussi une invitation au spectateur à être le témoin dont dépendent les personnages des toiles de Kocsis.

Ne manquez pas Corps contingents, la première montréalaise de Brigitta Kocsis
du 10 janvier au 3 mars 2019
à la Galerie d’art d’Outremont, 41 Saint-Just, Montréal.
Vernissage: jeudi 10 janvier 2019 de 17h à 20h

Image d’entête: BK2812 de Brigitta Kocsis

Button Sign up to newsletter – WestmountMag.caÀ lire aussi : Les effets positifs de l’art chez les aînés


Willow Loveday Little - WestmountMag.ca

Willow Loveday Little est une écrivaine et poète basée à Montréal dont le travail a été publié dans The Dalhousie Review et Write or Die Tribe. Elle est titulaire d’un baccalauréat en arts de l’Université McGill et contribue aux publications Graphite Publications et Medium. Vous pouvez la trouver sur Instagram via @willowloveday


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