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Comprendre la politique
étrangère de la Chine

Le CORIM reçoit S. E. Peiwu Cong, nouvel ambassadeur de la Chine au Canada

Par Jean-Luc Burlone

Une politique étrangère propre à la Chine

Le Traité de Panchsheel, signé en avril 1954 par la Chine, l’Inde et le Myanmar, célébrait l’indépendance retrouvée de la Chine après plus d’un siècle d’humiliation. Plus idéaliste que réaliste ce traité sert toujours de base aux relations internationales de la Chine.

À la Conférence Asie-Afrique de Bandung de 1955, le traité a été mis sous les feux de la rampe lorsque Zhou Enlai, premier ministre de Mao Zedong, en énonça les cinq principes fondamentaux pour une coexistence pacifique :

  • Le respect mutuel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale ;
  • La non-agression mutuelle ;
  • La non-ingérence mutuelle dans les affaires intérieures ;
  • L’égalité et les avantages réciproques et ;
  • La coexistence pacifique.

Dans les années 80, le président chinois Deng Xiaoping (Président de 1978 à1997) réforma l’économie chinoise dont la croissance (essentielle à la survie du régime) représentait alors 1% du PIB mondial. « Cachez votre force, attendez votre heure » était sa règle de conduite quant aux relations de la chine avec le reste du monde. Quarante ans plus tard, le PIB chinois représente plus de 15% de l’économie mondiale et sous la direction de Xi Jinping la puissance économique, politique et militaire de la Chine se manifeste ouvertement.

Les cinq principes de coexistence pacifique reflètent tant la vision toujours actuelle (car renouvelée) de la Chine, que son opposition aux valeurs libérales, qui sont absentes de la formulation.

La Chine vise maintenant un nouvel ordre mondial de paix et de coopération, propice à son développement économique, auquel l’atteinte du statut de super puissance et la réunification de la nation chinoise (lire Hong Kong et Taiwan) y sont rattachées comme des excroissances organiques. Les cinq principes de coexistence pacifique reflètent tant la vision toujours actuelle (car renouvelée) de la Chine, que son opposition aux valeurs libérales, qui sont absentes de la formulation.

La Chine manipule ces principes pour justifier ses réactions face aux ingérences occidentales et pour rassurer ses voisins quant à ses intentions. Le président Xi Jinping a d’ailleurs célébré en grandes pompes le soixantième anniversaire du Traité de Panchsheel au Grand Hall du Peuple et, plus récemment à Shanghai, il a rappelé les cinq principes de coexistence comme la norme pour régir les relations d’état à état. Il envisage le développement de l’Asie par les pays asiatiques selon ces principes de coexistence pacifique et sous l’égide de la Chine.

S. E. Peiwu Cong, le nouvel ambassadeur de Chine au Canada

Lors du Déjeuner-causerie du CORIM le 5 décembre dernier, l’ambassadeur chinois a rappelé l’opposition traditionnelle de son pays à toute ingérence étrangère dans ses politiques intérieures. Il a même averti que toutes intrusions canadiennes, quant au traitement des ouïgours de la province Xinjiang ou au sort réservé aux manifestants pro-démocratie de Hong Kong, nuiront fortement aux relations bilatérales sino-canadiennes.

Il faut se rappeler que les droits de l’homme en Chine se résument à l’amélioration du niveau de vie de la population. Conformément à ce positionnement, S. E. Peiwu Cong a souligné que la Chine améliore le sort des ouïgours et accroit l’économique de la province. Ces résultats, selon lui, méritent une appréciation internationale. L’ambassadeur a utilisé les visiteurs étrangers pour soutenir son argument, en soulignant que 2,4 millions de touristes avaient apprécié visiter la province et que plusieurs pays musulmans appuyaient l’action gouvernementale au Xinjiang.

‘… l’ambassadeur chinois a rappelé l’opposition traditionnelle de son pays à toute ingérence étrangère dans ses politiques intérieures. Il a même averti que toutes intrusions canadiennes… nuiront fortement aux relations bilatérales sino-canadiennes.’

Fort adéquatement, le diplomate a également rappelé que depuis 1997, la stabilité sociale a favorisé Hong Kong et a permis à sa population de tisser des liens nombreux et étroits avec sa contrepartie continentale. Lors de sa rencontre avec les journalistes après son discours, S. E. Peiwu Cong a de nouveau répété que la Chine s’oppose à toute ingérence d’un pays étranger dans ses affaires intérieures.

Il est bien regrettable qu’aucun journaliste n’ait évoqué l’ingérence de la Chine dans les affaires des autres pays.

Des principes « arbitraires » de coexistence pacifique

Fort et fière de son succès économique, la Chine achète son ingérence dans les affaires des autres pays. Elle utilise son programme de développement d’infrastructures « la nouvelle route de la soie » pour influencer les politiques des autres nations. Tout en clamant servir le développement économique des pays africains, l’offre chinoise ne s’adresse pas au Burkina Faso et au Swaziland qui reconnaissent toujours l’indépendance de Taiwan.

Certains pays se retrouvent dans une situation difficile après avoir accepter un projet d’infrastructure qui, quoiqu’utile, est lié à un financement inapproprié à leur situation financière. À Hambantota au Sri Lanka, la Chine a construit un port au coût de 1,5 milliard de dollars et a obtenu la gestion du site portuaire pour 99 ans en guise de compensation. De même, la province du Baloutchistan a cédé pour 43 ans à une entreprise chinoise la gestion du port en eau profonde de Gwadar. Les revenus nécessaires pour que le Pakistan puisse rembourser les coûts de construction à la Chine, dépendent du succès de la nouvelle route de la soi. Djibouti a accordé un territoire pour la première base militaire chinoise à l’étranger. Et la liste s’allonge le long de la nouvelle route de la soie.

‘Fort et fière de son succès économique, la Chine achète son ingérence dans les affaires des autres pays. Elle utilise son programme de développement d’infrastructures « la nouvelle route de la soie » pour influencer les politiques des autres nations. ‘

L’Australie avait bien profité de la manne chinoise avant de réaliser sa perversité. Un tiers de ses exportations vont en Chine dont les investissements représentent plus de 7 milliards d’euros en revenu touristiques, de 9 à 24 millions d’euros en éducation et 9,76 milliards d’euros en immobilier. Il faut constater que plus de 14 millions d’hectares, achetés par diverses entreprises liées à la Chine, sont à quelques kilomètres de la base militaire américaine de 1 250 soldats. Une regrettable erreur!

Depuis 2015, les gouvernements australiens successifs demandent des rapports sur les activités de la Chine en son territoire. Ces rapports révèlent des activités d’espionnage industriel, un réseau de lobbying et des moyens de pression mis à la disposition de Beijing pour encourager l’Australie à appuyer les positions de la Chine sur la scène internationale. L’Australie a sanctionné plus 38 nouvelles lois pour contrer l’ingérence chinoise. Elles visent l’espionnage sous toutes ses formes avec des peines de 15 ans de prison ainsi que des lois interdisant le financement politique direct ou indirect par des sources étrangères (lire la Chine).

Parce qu’elle a accepté le système de défense américain sur son territoire en 2016, la Corée du Sud a subi le boycott chinois de ses produits ainsi qu’une baisse des touristes chinois de huit millions en 2016 à quatre millions de visiteurs en 2017. Une remontée à cinq millions a eu lieu en 2019.

Le Canada n’a pas été à l’abri du courroux chinois suite à l’arrestation, à la demande des États Unis, de la directrice financière de Huawei par la GRC. Sous divers prétextes, la Chine a réagit en arrêtant les Canadiens Michael Kovrig et Michael Spavor, pour ensuite boycotter les exportations canadiennes. Une attitude plutôt révélatrice d’une absence de principes que d’une politique de respect mutuel.

La Chine utilise également sa puissance militaire pour déployer sa main mise sur la Mer de Chine. Depuis un an, une guerre d’influence, entre la Chine et les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud, s’exerce autour de l’île de Shima dans la Mer de Chine orientale.

‘… suite à l’arrestation… de la directrice financière de Huawei… la Chine a réagit en arrêtant les Canadiens Michael Kovrig et Michael Spavor, pour ensuite boycotter les exportations canadiennes. Une attitude plutôt révélatrice d’une absence de principes que d’une politique de respect mutuel.’

Dans la Mer de Chine méridionale, la Chine s’étend au détriment de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des pays voisins. En effet, la prise des atolls (îles de Spratleys, îles Paracels, îles Pratas, récif de Scarborough et banc Macclesfield) par la Chine a été exécutée sans entente avec les pays voisins (Brunei, Indonésie, Malaisie, Philippines, Taiwan, et Vietnam) qui revendiquent leur souveraineté respective sur ces ilots.

L’utilisation des principes de coexistence pacifique par la Chine, s’avère arbitraire à la perception unilatérale de la Chine d’une situation quelconque et aux possibilités que lui apportent ses moyens économiques et militaires. La Chine peut être justifiée d’étendre son influence en Asie et de vouloir y remplacer l’hégémonie américaine. (Les États Unis ont eux mêmes reniés certains de leurs principes après les attaques du 11 septembre 2001– notamment avec le traitement des prisonniers de Guantanamo.)

La Chine joue le rôle d’une puissance régionale dans les missions des Nations Unies et elle est à l’origine des négociations multilatérales à six, qui se tiennent à Pékin, en vue de la dénucléarisation de la péninsule coréenne. Il est possiblement dans l’ordre des choses que d’accorder à une puissance montante la place que justifie son poids démographique et économique.

Le président Xi a maintes fois exprimé que le destin de la Chine est celui d’une puissance mondiale, équivalente à n’importe quelle autre grande puissance. De plus, Xi Jinping veut que la Chine reste libre de toute alliance stratégique afin de pouvoir agir selon ses intérêts sans autre contrainte.

Il est à craindre que les principes de coexistence pacifique resteront un idéal bien loin de la réalité des relations internationales, sans pour autant y être totalement étrangers. « L’idéal est toujours nettoyé d’un peu de réalité qui ferait tache.” (Alain ou Émile Auguste Chartier)

Sources

Liberation, 16 août 2018
Radio Canada, on the Chinese Ambassador’s Conference in Canada, 6 décembre 2019
The Diplomat, Reflecting on China’s Five Principles, 60 Years Later, 26 juin 2014
The Indu Report, In China’s new diplomacy, a revival of Panchsheel, 18 octobre 2016
Res Publica Foundation, A prudent and pragmatic Chinese foreign policy, 14 décembre 2015
Liberation, In Australia, the Chinese friend seen from another eye, 16 août 2018
Encyclopedia Britannica, Deng Xiaoping, Chinese Leader, 1 novembre 2019
The World, In Australia, the shadow of the Chinese Communist Party, 13 décembre 2017

Avis : Les opinions exprimées dans cet article sont celles de son auteur et ne reflètent pas nécessairement les opinions de WestmountMag.ca ou de ses éditeurs.

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Jean-Luc Burlone, M.Sc. Économique, FCSI (1996)
Analyse économique et stratégie financière
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