Une nouvelle mondialisation :
Gérer l’incertitude
La 24e Conférence de Montréal demeure à la hauteur de sa réputation de qualité
Par Jean-Luc Burlone
Lors de nombreux évènements grands public, déjeuners-causeries, discours de politiciens et autres, les sujets traités sont souvent résumés à des généralités que l’auditoire connait. Ce qui rend la Conférence de Montréal du Forum économique international des Amériques particulièrement intéressante est la qualité des intervenants qui surprennent les participants et les interpellent en justifiant une vision à l’avant garde du consensus établi et en encourageant le dialogue.
Parmi la quarantaine de sujets qui ont été abordés en près de quatre jours de rencontres et de discussions, ce papier n’en mentionnera que quelque uns avec un biais pour le risque de perturbation : la technologie, la finance, l’emploi, l’éducation, la parité homme-femme, les pays émergents et la géopolitique. La technologie constitue le contexte dans lequel tous les domaines d’activités évoluent.
… des intervenants qui surprennent les participants et les interpellent en justifiant une vision à l’avant garde du consensus établi et en encourageant le dialogue.
Technologie et finance
Clairement, la cybernétique apporte sa propre incertitude. C’est le champ de bataille où les états et les organisations confrontent les pirates du cyber espace. L’enjeu de ce combat perpétuel est la confiance de la population envers ses institutions, alors que la transparence et la rapidité d’action sont des critères cruciaux pour la maintenir.
Alors que la sagesse traditionnelle recommande la prudence dans toutes nouvelles situations, le contexte actuel prise fortement la rapidité d’action, non seulement pour répondre à une attaque cybernétique mais aussi pour toutes entreprises qui doit suivre le rythme imposé pour survivre. En outre, on doit craindre l’échec lorsque les formules du passé sont appliquées au contexte numérique.
Les modèles d’affaires du domaine financier, qui sont issus de la technologie (Fintech), perturbent fondamentalement les services financiers traditionnels. Les banques virtuelles, qui n’existent que depuis trois ou quatre ans (Open Banks), servent déjà des dizaines de milliers d’épargnants qui veulent la liberté d’être servis au moment de leur choix et selon leurs besoins plutôt que selon les critères d’une banque ayant pignon sur rue.
Avec le service bancaire virtuel (Open Banking) le client choisi ses fournisseurs de services (assurance, valeurs mobilières, immobilier, crédit). Il ou elle contrôle et transmet son capital et partage ses informations avec les fournisseurs de son choix au moment de son choix et pour la période de son choix. Ce service est sécuritaire, fiable, transparent et peu couteux mais il cause et causera d’importantes mises à pieds.
Emploi et éducation
Qu’une nouvelle technologie cause des pertes d’emplois à court terme suivie d’une création d’emplois mieux rémunérés à long terme est une conséquence historiquement démontrée. Qu’une éducation variée — qui inclut le multiculturalisme, les langues ainsi que le langage des ordinateurs — soit reconnue comme étant essentielle pour former la main d’oeuvre aux emplois à venir, fait aujourd’hui consensus.
Rien de vraiment nouveau dans ce constat sinon l’insistance, marquante par son bon sens et sa pertinence, d’un panel à souligner l’importance d’avoir du jugement humain et du discernement pour exercer en technologie. Ce même ordre d’idées est supporté par des experts, professeurs et chercheurs, qui insistent sur l’importance de précéder toute formation technique par une solide éducation en art, en littérature et en philosophie afin d’appréhender la condition humaine.
‘Qu’une nouvelle technologie cause des pertes d’emplois à court terme suivie d’une création d’emplois mieux rémunérés à long terme est une conséquence historiquement démontrée.’
Cette recommandation va de pair avec la nécessité pour les dirigeants d’entreprises d’analyser l’utilité à long terme de l’intelligence artificielle pour leur entreprise; de penser avec précision et en profondeur afin d’établir où et comment l’utilisation de l’I.A. a du sens. Ils doivent prendre en compte l’adaptation que l’I.A. impose à leur personnel et certains dirigeants concluent qu’il est préférable de trouver des talents (avoir des idées) et de les former à l’interne plutôt que d’attendre pour d’embaucher des jeunes qui ont terminé leur doctorat.
Parité homme-femme
La parité hommes-femmes au Canada, comme dans d’autres pays développés, est en bonne voie de réalisation dans la plupart des domaines. En diplomatie par exemple, la percée des canadiennes, à la hauteur de 40% à 50%, facilite la diffusion de cet enjeux car la diplomatie est le domaine où politiciens, société civile, syndicats, ONG et entreprises se rencontrent et échangent leurs aspirations. Dans les pays de l’OCDE, l’avenir est des plus prometteur car les femmes y représentent plus de 50% des votes pour les politiciens et une main d’oeuvre éduquée et efficace pour les entreprises. Une combinaison gagnante où la vertu et l’intérêt font front commun.
Pays émergents et géopolitique
Dans les pays en développement, la parité homme-femme n’est pas encore une priorité. Les gouvernements favorisent le développement économique et réalisent peu que l’autonomisation féminine constitue l’un des principaux facteurs de croissance économique, de création et de distribution de la richesse.
L’Afrique tend à agir comme un pays unique où les investissements étrangers sont toujours en demande mais, d’autre part, où l’impact de la technologie permet de croire qu’une ville africaine pourra devenir une Silicone Valley dans les prochaines années.
La croissance économique (PIB) indienne est estimé a plus de 7% en 2018, surpassant celle de la Chine. Il faut croire que le haut niveau de corruption et d’inégalité (1% de la population accapare 30% de la richesse économique) affecte peu la croissance du PIB indien. D’autre part, il faut espérer que cette croissance, tant attendue, favorisera l’autonomisation des indiennes et la diminution des inégalités.
L’économie chinoise, quant à elle, ne doit plus être considérée comme une économie émergente. La transformation de son économie manufacturière, basée sur les investissements, vers une économie de service, basée sur la consommation, a réussie remarquablement. En outre, les avancés chinoises en I.A. sont nettement à la hauteur des ambitions du “China 2035”. On estime que 79% de la population chinoise est familière avec l’I.A. alors que seulement 30% de la population nord américaine l’est.
Quelques risques à l’horizon
En cet été 2018, on peut identifier quatre risques qui rendent la croissance économique mondiale incertaine :
- Le risque de la dette : toutes les économies importantes sont endettées, tant au niveau gouvernemental qu’au niveau des entreprises et des individus. Le pari que la croissance économique va permettre le paiement de la dette n’est pas gagné.
- L’endettement des pays émergents en dollar américain demeure très élevé et si le dollar américain prend de la valeur il deviendra difficile pour ces pays, dont le revenu est en monnaie locale, de rencontrer leurs obligations à l’échéance de leurs dettes.
- La guerre commerciale nuit à tous les protagonistes. Le souvenir de la crise de 1929, aggravée par des tarifs douaniers reste bien vivant. Les économies sont aujourd’hui bien plus intégrées qu’à l’époque et il est devenu impossible de nuire à un partenaire commercial sans se nuire à soi-même. Le bon sens devrait prévaloir sur la simplicité.
- Finalement, le risque géopolitique d’une crise imprévue ou peut-être un retournement de situation si le dirigeant de la Corée du Nord se contente de ce qu’il a déjà obtenu et n’agit pas comme l’espère Donald Trump.
Quelques risques permanents
Les changements climatiques demeurent le plus grand risque pour l’économie mondiale, avec des conséquences incertaines mais financièrement couteuses et socialement dommageables. De même, les attaques cybernétiques représentent un risque permanent pour la sécurité nationale, la protection des données et la croissance, voire la survie, des entreprises.
Il est quelque peut difficile, inconfortable, voire même douloureux, de s’adapter à un nouveau contexte de grande turbulence où la rapidité des changements est trépidante.Images : courtoisie Conférence de Montréal
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Jean-Luc Burlone, Ms. Sc. Economie, FCSI (1996)
Analyse économique et Stratégie financière
jlb@jlburlone.com
Le texte ci-dessus exprime mon opinion suite à ma participation au Forum économique international des Amériques. Conférence de Montréal, Une nouvelle mondialisation : Gérer l’incertitude. Montréal, du 11 au 14 juin 2018. – JLB
Fellow de l’Institut canadien des valeurs mobilières (FCSI), Jean-Luc Burlone a une excellente connaissance de la gestion des produits financiers et il détient une maîtrise en économie de l’Université de Montréal avec une double spécialisation en économie du développement et en économie internationale – finance et commerce.
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