L’entreprise devra être agile
pour survivre
À la Conférence de Paris, la démographie, la technologie et les inégalités ont été introduis comme les principaux facteurs de changements.
Par Jean-Luc Burlone
À la Conférence de Paris, la démographie, la technologie et les inégalités ont été introduits comme les principaux facteurs de changements.
S’adapter aux changements nécessite de la flexibilité, de la rapidité et de la résilience pour gérer les chocs imprévus de l’économie et des politiques. La planification à long terme impose la capacité de répondre sans délais aux défis qui surgissent en cours de route.
La stabilité d’importants facteurs macroéconomiques n’est plus. On constate déjà que la structure en tiers (supérieur, moyen et inférieur) de la classe moyenne est maintenant composée de 20 % supérieur et 80% inférieur. L’ancien tiers moyen s’étant érodé, les produits et services qui le servaient doivent s’adaptés à la nouvelle structure.
… la démographie, la technologie et les inégalités ont été introduis comme les principaux facteurs de changements.
L’implacable progrès technologique entraine en quelques mois une clientèle auparavant captive vers un nouveau mode de consommation. Une planification basée sur des prévisions à long terme ou sur un marché stable est à risque d’échouer si l’entreprise ne peut réagir rapidement à une nouvelle donne.
La démographie
La génération des baby boomers, l’entrée des femmes sur le marché du travail et l’intégration de l’Inde et de la Chine à l’économie mondiale, ont fourni une main-d’œuvre abondante et une demande croissante qui ont alimenté la croissance économique des dernières décennies. Ayant atteint un zénith, leur apport à la croissance diminue dans la plupart des pays à l’exception de l’Afrique et de l’Asie de Sud Est.
Alors que certains prennent leur retraite, d’autres continuent leurs activités, forts d’une longévité accrue et d’une meilleure santé. Quant aux plus jeunes, ils font de longues études qui retardent leur entrée sur le marché du travail. Le résultat final est que la croissance de la main-d’œuvre diminue et devient même négative en Europe.
La jeune main-d’œuvre sera favorisée par cette situation, particulièrement la plus qualifiée, et les entreprises devront se montrer flexibles et offrir des conditions de travail et une culture d’entreprise qui répondront aux attentes des jeunes qualifiés. Par contre, la main-d’œuvre moins qualifiée sera confrontée à la compétition de la robotique et de l’IA.
Le progrès technologique : robotisation, drones, IA, impression 3D, continue de remplacer la main-d’œuvre du secteur manufacturier et perturbe les emplois du secteur des services. Ces technologies améliorent la productivité de la main-d’œuvre selon l’intensité en capital de l’industrie où elle travaille. Le capital permet d’acquérir la technologie qui augmente la productivité par employé — de 10% en éducation à 55% pour la production manufacturière.
‘Le progrès technologique : robotisation, drones, IA, impression 3D, continue de remplacer la main-d’œuvre du secteur manufacturier et perturbe les emplois du secteur des services.’
Intensif en main-d’œuvre, l’emploi augmente dans le secteur des services (éducation, santé), qui connaitra une faible croissance (voire un déclin) de productivité par employé. Son corollaire : dans le secteur manufacturier, intensif en capital, l’emploi diminue mais la productivité par employé croît, soutenue par la technologie. On estime qu’une croissance de la productivité de 1% est nécessaire pour compenser la faiblesse démographique.
La technologie
La technologie réduira les coûts d’opération de 10% à 15% et affectera 80% des travailleurs soit par une stagnation de leur salaire soit par un déplacement géographique ou autre de leur travail. L’impact variera d’un domaine à l’autre. Par contre, la technologie facilitera l’émergence de nouvelles entreprises en éliminant les barrières à l’entrée de nombreux domaines d’activités.
L’automatisation réduira de 70% les emplois à temps plein dans le domaine de la distribution et de 25% dans celui de la santé. Par contre, de nouveaux emplois — en marketing des medias sociaux ou en réparation de robots — demanderont du personnel qualifié. Toutefois, ils auront peu d’incidence sur la perturbation subie par la main-d’œuvre.
L’ampleur de l’impact technologique sur la main-d’œuvre est comparable à celui que la mécanisation a fait subir à l’agriculture au début du XX siècle. Une nuance cependant car la transition de la production agricole individuelle en production industrielle a pris quarante ans alors que celle de la production ouvrière en production automatisée en a pris vingt.
Plus une transition est rapide, plus la perturbation économique conséquente est importante, et on estime que les perturbations technologiques des services seront de deux à trois fois plus rapides que par le passé. La main-d’œuvre ne pouvant pas suivre, elle s’adaptera difficilement à la vitesse des changements, et pour une population vieillissante de surcroit, l’apprentissage d’un nouveau modus operandi sera pénible.
‘L’ampleur de l’impact technologique sur la main-d’œuvre est comparable à celui que la mécanisation a fait subir à l’agriculture au début du XX siècle.’
Dans les pays aux structures sociales rigides, les changements seront plus lents et les perturbations moins violentes, mais la compétitivité de ces pays sera affaiblie. D’autre part, la technologie favorisera la production locale là où les coûts deviendront compétitifs à ceux des pays émergents.
Les investisseurs des entreprises de robotique et d’IA, seront les premiers à profiter des progrès technologiques. (La multinationale de 2030, avec des milliards de revenus, n’est qu’une startup en 2018.) Malheureusement l’inégalité entre ceux qui perdront leur emploi et ceux qui profiteront de la croissance des technologies ne fera qu’augmenter au cours des décennies à venir.
Les inégalités
Cette menace à la cohésion sociale et à la croissance économique n’a pas trouvé son palliatif. Les inégalités augmentent tant au niveau des revenus que de l’actif financier et ce, malgré les risques imminents pour la société. Les politiques pour répartir la richesse ont échoué et le premier 1% a augmenté de 44% à 50% sa part de la richesse mondiale depuis 2008. Cette tendance est plus prononcée dans les pays anglo-saxons et en Chine mais tous connaissent une augmentation des inégalités, incluant les pays nordiques.
Les inégalités sont alimentées dans une bonne mesure par l’écart entre la rentabilité des marchés financiers — qui ont plus que doublé de valeur depuis dix ans — et les salaires qui stagnent depuis des décennies. Alimentés de même par la technologie appliquée à la production qui augmente la rentabilité du capital (réduit les coûts de 10% à 15%) et qui réduit l’apport de la main-d’œuvre au rendement de l’entreprise.
La technologie favorise les mieux nantis et les plus éduqués alors qu’elle compétitionne avec les ouvriers les moins qualifiés et maintient les salaires bas. Cet écart va probablement s’agrandir car les soins de santé gratifient les plus aisés de plusieurs années additionnelles de productivité, qui augmenteront leur revenu et leur actif financier.
‘La technologie favorise les mieux nantis et les plus éduqués alors qu’elle compétitionne avec les ouvriers les moins qualifiés et maintient les salaires bas.’
Ainsi, le capital demeure concentré dans les mains d’une minorité qui a toujours un revenu disponible à investir, alors que les plus défavorisés non pas ou peu de fonds disponibles après avoir répondu à leurs besoins de base. Ils restent ainsi hors de la boucle financière et démunis en cas de perturbation dans leur domaine d’activités.
On estime que les salariés qui ont un revenu entre 30 000$ et 60 000$ seront les plus perturbés par l’automatisation ; soit ils seront déplacés vers d’autres activités, soit ils subiront une baisse de salaire ou ils seront sans emploi. De plus, l’économie est lente à absorber la main d’œuvre déplacée par une nouvelle technologie.
En plus de leurs conséquences sociales, les inégalités contraignent la croissance économique en limitant la demande alors que l’offre est abondante. L’offre de biens et services peut être soutenue temporairement par une demande financée par le crédit. Mais pour une stabilité économique, l’offre doit répondre à une demande fiable, c’est-à-dire soutenue par un revenu fiable.
Si l’offre dépasse la demande, la production devra diminuer, soit en quantité, soit en prix, et donc réduire la croissance économique. De plus, la richesse qui s’accumule auprès des nantis n’alimente pas la consommation mais plutôt les investissements, ce qui renforce le cercle vicieux des inégalités.
L’avenir sera différent du passé
Les décideurs et les investisseurs feront face à un environnement économique instable pour les prochaines décennies. Les taux de croissance, d’intérêts, de chômage et d’inflation fluctueront rapidement et sans préavis. Les principales forces macroéconomiques qui affecteront l’économie sont la démographie, la technologie et les inégalités.
‘Les décideurs devront regarder au-delà des meilleures pratiques traditionnelles pour que leur entreprise survive aux prochaines décennies.’
Le grand absent parmi ces facteurs est le climat. Pourtant considéré comme « la plus grave menace qui pèse sur l’économie mondiale » (Forum économique mondial, Davos 2007), le climat n’a pas été discuté lors des récents débats de la Conférence de Paris, ni par le rapport qui a inspiré le présent article.
Nonobstant cette négligence, une conclusion s’impose : la vitesse et l’amplitude des changements, alimentées par le progrès technologique, offriront des biens et des services d’une manière tout à fait nouvelle, tant par leur réalisation, le marketing, la distribution et la consommation. Les décideurs devront regarder au-delà des meilleures pratiques traditionnelles pour que leur entreprise survive aux prochaines décennies.
Images : Conférence de Paris – Forum économique international des Amériques
Lire aussi : La Conférence de Paris: Populisme et multilatéralisme
Jean-Luc Burlone, Ms. Sc. Economie, FCSI (1996)
Analyse économique et Stratégie financière • jlb@jlburlone.com
Fellow de l’Institut canadien des valeurs mobilières (FCSI), Jean-Luc Burlone a une excellente connaissance de la gestion des produits financiers et il détient une maîtrise en économie de l’Université de Montréal avec une double spécialisation en économie du développement et en économie internationale – finance et commerce.
Le texte ci-dessus exprime mon opinion suite au rapport de Bain & Company, The Collision of Demographics, Automation and Inequality, introduit lors du Forum économique international des Amériques, Conférence de Paris du 2 et 3 octobre 2018 – JLB
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