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Cy Twombly, peintre-poète

Un des plus importants peintres américains de la seconde moitié du 20e siècle

Par Jean-François Brucel

Inclassifiable, insaisissable, littéraire, historique, ainsi peut-on décrire l’art de Edwin Parker “Cy” Twombly qui fait actuellement l’objet d’une rétrospective majeure jusqu’au 24 avril au Centre Pompidou à Paris. Cent quarante peintures, sculptures, dessins et photographies produites au cours de soixante années de carrière permettent au public d’apprivoiser l’œuvre fort complexe de cet artiste longtemps incompris, si discret et fasciné par le monde méditerranéen et sa culture.

Cycles méditerranéens

En 1952, à l’âge de 24 ans, il s’embarque pour Naples, pour un périple en Europe et en Afrique du Nord, accompagné par Robert Rauschenberg, un de ses compagnons d’étude au sein de l’école d’art expérimental du Black Mountain College en Virginie. De ce voyage, Twombly ramènera plus que des souvenirs: toute une civilisation qui le guidera dans plusieurs de ses cycles. Car si l’exposition de Beaubourg, inévitablement chronologique, présente les œuvres en commençant par les années marocaines des années 1950 suivies d’une période pleine de soleil et de plaisir (Odes au plaisir).

Exposition Cy Twombly à Beaubourg - photo: Jean-François Brucel - WestmountMag.ca

Salle des années 1950 – photo: Jean-François Brucel

1963 marque pour l’artiste le début d’une période d’angoisse. L’assassinat de John F. Kennedy, telle une tragédie antique, frappe son imaginaire et déclenche chez l’artiste un cycle en neuf parties en référence au sanguinaire empereur romain Commode, la série Nine Discourses on Commodus, présentée somptueusement dans une des salles de l’exposition.

Nine Discourses on Commodus - Exposition Cy Twombly à Beaubourg - photo: Jean-François Brucel - WestmountMag.ca

Nine Discourses on Commodus – © Cy Twombly Foundation courtesy Archives Fondazione Nicola Del Roscio

À travers des empâtements sanguins, gribouillages et coulures, l’artiste suggère les phases psychologiques complexes éprouvées par ce tyran cruel, finalement assassiné sur l’ordre de sa maîtresse. Mais en 1964 la critique new-yorkaise, en raison de l’engouement qui régnait à l’époque pour l’art minimaliste, rejeta unanimement toute cette œuvre, ce qui fut un choc pour Cy Twombly, qui attendra 1978 avant de se lancer dans une nouvelle série à caractère historique, inspirée par les poèmes d’Homère sur la Guerre de Troie. Ce sera un second échec et, après avoir été exposée à New-York, la série d’œuvre restera dix ans dans les caisses et ne verra à nouveau le jour qu’après son acquisition par le Museum of Art de Philadelphie en 1989.

Couleurs solaires

À partir de 1993, les tableaux de Cy Twombly évoluent vers des domaines plus accessibles pour le visiteur, qu’il s’agisse de sa série sur les quatre saisons ou les fleurs (Blooming) : pivoines ou roses lui permettent d’exprimer la déliquescence de la peinture, avec toutes les dégoulinures possibles…

Exposition Cy Twombly à Beaubourg - © Cy Twombly Foundation courtesy Archives Fondazione Nicola Del Roscio - WestmountMag.ca

Blooming – © Cy Twombly Foundation courtesy Archives Fondazione Nicola Del Roscio

De même ses toiles lumineuses aux teintes solaires qui célèbrent le couronnement de Sesostris, en 2000, ou sa série consacrée à Bacchus qui illustrent par l’explosion de ses couleurs et les mouvements amples de ses traits une certaine ivresse de peindre à la fin de sa carrière.

Exposition Cy Twombly à Beaubourg - photo: Jean-François Brucel - WestmountMag.ca

Salle du Couronnement de Sesostris – photo: Jean-François Brucel

Explorations artistiques

Tout au long de sa carrière, Cy Twombly a souvent écrit directement sur ses toiles. L’artiste n’hésite pas non plus à délaisser le pinceau pour appliquer la couleur avec ses doigts pour mieux traduire ses états d’âme, son inspiration, recherchant continuellement de nouveaux média : peinture industrielle, crayon de cire, toile, panneaux de bois, huile, acrylique, sans oublier la photographie et la sculpture.

Détails - Exposition Cy Twombly à Beaubourg - photo: Jean-François Brucel - WestmountMag.ca

Détails – photo: Jean-François Brucel

Peintre-photographe

Peu de temps avant sa mort en 2011, Cy Twombly découvre le Polaroid. Dès le début des années 1950, pendant ses études au Black Mountain College, il explore déjà la photographie mais tout advient grâce au Polaroid qui lui permet de représenter la qualité de l’instant : jeux de flous inattendus et sophistiqués, détails de certaines de ses toiles, luminosités vaporeuses… Ici encore, sa pratique ne ressemble à celle d’aucun autre photographe de son temps.

Salle des sculptures - Exposition Cy Twombly à Beaubourg - photo: Jean-François Brucel - WestmountMag.ca

Salle des sculptures – photo: Jean-François Brucel

Sculptures poétiques

Créations intermittentes, les sculptures de Twombly sont rassemblées dans une salle magnifique, avec comme arrière-plan un panorama inoubliable de Paris. Matériaux de rebuts recouverts de plâtre pour symboliser ici une petite embarcation, là des minarets miniatures : autant d’échos aux œuvres classiques taillées dans la pierre blanche et immaculée.

Une cosmologie intemporelle

À la lecture de ce qui précède, on aura compris qu’un artiste tel que Cy Twombly, à travers cette exposition, est loin d’être facilement déchiffrable. Selon Henri Loyrette, ancien président du musée du Louvre, Twombly est « un peintre méditerranéen » imprégné de culture classique. Toute son œuvre s’inspire de la mythologie, de la mer, de la lumière qu’il a devant les fenêtres de son atelier, et se nourrit de références aux poètes de l’antiquité ». Pour cette raison, le Louvre le choisissait pour peindre en 2010 le plafond de la salle des Bronzes, voisine de celle d’Henri II au plafond décoré par Braque.

Malheureusement, en raison de la complexité de ses créations, d’autres artistes américains contemporains et personnellement très proches de lui, tels que Jasper Johns et Robert Rauschenberg, connurent le succès bien avant lui, et Cy Twombly ne s’imposera vraiment sur la scène internationale qu’au début des années 2000. Cette exposition permet cependant de prendre la mesure de son œuvre exceptionnelle.

Twombly

Du 30 novembre 2016 au 24 avril 2017, au Centre Georges Pompidou, à Paris.
Commissaire de l’exposition : Jonas Storsve


photo: Jean-François Brucel - WestmountMag.ca

Jean-François Brucel
Jean-François est un artiste de Montréal en arts visuels dans les domaines de la sérigraphie, de l’acrylique et de la photographie. Des formations spécialisées en sérigraphie et en transferts acryliques ont permis à Jean-François d’élargir ses horizons en arts visuels
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