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Défendre la biodiversité,
c’est se défendre soi-même

Face à un horizon nordique en feu, nous devons défendre la biodiversité du sud du Québec

Par Patrick Barnard

22 juin 2023

Au printemps 2023, la crise du changement climatique s’est abattue sur le Canada et le Québec avec une force apocalyptique. Les glaces de l’Arctique fondent et de violents incendies ravagent le Nord. La forêt boréale brûle ardemment à travers le pays, et les régions du nord du Québec, comme l’Abitibi et la Côte Nord, sont dévorées par les flammes. La Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU) indique qu’un million d’hectares de forêt a déjà brûlé au Québec (Plus de 5500 km² de forêt ont brûlé au Québec en juin – Le Devoir, 21 juin 2023).

Un million d’hectares brûlés alors qu’il reste plusieurs mois dans la saison des feux de forêt.

Les pompiers français venus en visite pour apporter leur aide ont été stupéfaits par la puissance imparable de l’holocauste naturel (The Fires Here Are Unstoppable – New York Times, 17 juin 2023), affirmant que les flammes sont « d’une intensité inimaginable en France ». La fumée provenant du Québec et du Canada a enveloppé la ville de New York, pollué Washington et apporté des particules nocives dans les rues de Montréal.

Le Québec et le Canada ont perdu 90 % de leurs zones humides urbaines et ces écosystèmes humides absorbent jusqu’à cinq fois plus de CO² que la forêt boréale typique.

Les changements climatiques extrêmes affectent nos peaux, pénètrent nos poumons, s’imposent à nos esprits. Nous savons certainement que nous devons agir de toutes les manières possibles, car nous voyons cette nécessité sous nos yeux. Pourtant, à Montréal, juste à côté de l’aéroport Pierre-Elliott Trudeau, un écosystème humide inestimable lutte pour sa survie contre l’empiètement d’un développement destructeur. C’est incroyable parce que le Québec et le Canada ont perdu 90 % de leurs zones humides urbaines et parce que ces écosystèmes humides absorbent jusqu’à cinq fois plus de CO² que la forêt boréale typique. Nous en avons grandement besoin.

L’écosystème de 215 hectares de zones humides menacé à Montréal est connu sous le nom générique d’ « écosystème du Technoparc ». Il est formé de terres agricoles renaturalisées qui ont d’abord été oubliées, puis retravaillées par la main résiliente de la nature. Des oiseaux de toutes sortes se pressent dans les marais, les prairies, et les boisés de cette mosaïque inestimable et unique. Puis, en 2015, l’ornithologue Joël Coutu a été stupéfait de découvrir cette convergence d’habitats et de faune, et a commencé à diriger des groupes d’ornithologues pour voir la riche biodiversité aviaire à portée de main des Montréalais. Ses efforts ont mené à la fondation du Technoparc Oiseaux, un groupe ornithologique qui compte aujourd’hui plus de 5 000 membres. Plus de 200 espèces d’oiseaux y ont été observées selon eBird, faisant du Technoparc le meilleur site ornithologique de l’île de Montréal.

Pourtant, ce printemps, alors que le changement climatique se faisait sentir, la société Hypertec de Montréal, une entreprise de sauvegarde d’ordinateurs, a acheté des parcelles privées dans la zone du Technoparc et a annoncé qu’elle y construirait un grand siège social au milieu de l’écosystème.

Les écologistes ont été choqués.

‘… alors que le changement climatique se faisait sentir, la société Hypertec… a annoncé qu’elle y construirait un grand siège social au milieu de l’écosystème.’

Benoit Gravel de Technoparc Oiseaux a déclaré au journal La Presse : « C’est le pire endroit où ils pourraient construire ».

Le 12 juin 2023, le groupe environnemental non partisan Coalition Verte a fait une demande officielle à la mairesse de Montréal, Mme Valérie Plante, pour que sa ville invoque une consultation publique officielle de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) au sujet de l’incursion prévue d’Hypertec dans l’écosystème, et de l’avenir des terres humides dans leur ensemble.

Le samedi suivant, le 17 juin, le journal en ligne Métro publiait un article du journaliste Matéo Gaurrand-Paradot intitulé Un projet près de milieux humides nécessite une consultation publique, selon des organismes.

Pour la Coalition Verte et l’organisme Technoparc Oiseaux, le terrain acquis par Hypertec est une zone tampon essentielle pour le marais qui abrite des dizaines d’espèces d’oiseaux. « C’est un endroit à haute valeur écologique, incompatible avec un développement », explique Katherine Collin de Technoparc Oiseaux.

Curieusement, la ville de Montréal vient d’annoncer une nouvelle « délimitation » cartographique s’étendant sur 219 hectares de ce qu’elle appelle Le parc des sources – tout autour du terrain où Hypertec a déclaré vouloir construire son nouveau siège social, mais à l’exclusion de l’endroit précis qu’Hypertec a acheté, laissant l’entreprise libre en tous points de construire exactement à cet endroit.

L’une des raisons pour lesquelles cette apparente singularisation d’Hypertec est extraordinaire est que Projet Montréal – le parti au pouvoir dans la ville – a fait une promesse électorale en 2021 d’utiliser des achats préventifs pour protéger l’écosystème de la zone humide contre exactement le type de fragmentation dangereuse posée par le projet de développement d’Hypertec.

C’est « une situation », a dit Katherine Collin à Métro, qu’elle juge « étonnante ».

« Elle s’interroge, dit le journal, sur les raisons pour lesquelles la Ville n’a pas préempté les terrains achetés par Hypertec, comme elle en a le droit. »

‘Projet Montréal, a fait une promesse électorale en 2021 d’utiliser des achats préventifs pour protéger l’écosystème de la zone humide contre exactement le type de fragmentation dangereuse posée par le projet de développement d’Hypertec.’

Les membres de la Coalition Verte connaissent certains des rouages de cette situation « étonnante » puisque leur organisation a saisi la justice – sans succès – pour faire la lumière sur les étranges agissements de la dernière décennie dans le Technoparc.

Sous l’égide d’un organisme municipal à but non lucratif connu sous le nom de « Technoparc Montréal », une route a été construite vers nulle part, des marais ont été partiellement asséchés, une digue a été construite… et tous ces travaux d’ingénierie surréalistes et destructeurs ont été réalisés, semble-t-il, pour un « éco-campus Hubert Reeves » qui n’a jamais vu le jour. (Hubert Reeves est un écologiste et astronome français et québécois nonagénaire). Cette activité a eu lieu avant l’élection de la mairesse Valérie Plante en 2016. Puis la ville centrale a démantelé le parapublic en 2018, comme l’a annoncé la Montreal Gazette dans un titre percutant : Citant de « sérieuses préoccupations », la ville va démanteler Technoparc Montréal : Plante note l’incapacité du parc industriel à lever ses propres fonds et le manque de transparence dans la gestion de ses activités immobilières et de ses finances (Montreal Gazette, 29 mai 2018).

Au tout début de l’année 2020, les membres du conseil d’administration de la Coalition verte, accompagnés de leur collègue et avocat, M. Campbell Stuart, directeur du Fonds d’héritage pour l’environnement, ont rencontré deux avocats de la Ville de Montréal pour tenter de parvenir à un règlement à l’amiable sur les questions relatives au Technoparc.

Les avocats municipaux ont commencé par poser un très grand tableau sur une table devant tout le monde. Là, au milieu de l’écosystème, sur le tableau, se trouvait la fameuse « route vers nulle part » et le long de son contour incurvé se trouvaient les dessins de six très grands bâtiments projetés. La Coalition verte a été informée sans équivoque que ces bâtiments allaient être construits, quoi qu’il arrive. Mais les avocats de la municipalité interrogés sur le moment précis où cela se produirait, répondirent agressivement que la construction pourrait avoir lieu dans dix ans, voire plus. Campbell Stuart se souvient que le tableau et le plan qu’il a vus ce jour-là « étaient exactement comme ils l’avaient toujours été ».

Ces cartes et dessins architecturaux existaient depuis longtemps, et leur présence durable indique que les autorités montréalaises veulent développer le Technoparc depuis dix ans. Et que le projet Hypertec est la dernière itération de ces ambitions.

Ce que les membres de la Coalition verte ont rencontré ce jour-là, ce ne sont pas seulement deux avocats travaillant pour la ville, mais les plans et les projets du lobby du développement qui s’est toujours niché au sein de la bureaucratie montréalaise.

Aujourd’hui, en 2023, la Ville de Montréal – en n’exerçant aucun pouvoir de préemption réel – a facilité et encouragé Hypertec à faire ce choix désastreux pour son siège social. Cependant, comme Global TV vient de le rapporter, ni la Ville de Montréal ni le gouvernement du Québec n’ont encore donné leur accord à la construction projetée par Hypertec.

‘Ce que les membres de la Coalition verte ont rencontré ce jour-là, ce ne sont pas seulement deux avocats travaillant pour la ville, mais les plans et les projets du lobby du développement qui s’est toujours niché au sein de la bureaucratie montréalaise.’

Technoparc Oiseaux a rencontré les responsables d’Hypertec et tente activement de persuader l’entreprise de s’installer ailleurs – à proximité peut-être, mais pas dans l’écosystème. La Coalition Verte a proposé à la Ville de Montréal de racheter les lots achetés par Hypertec, ce qui permettrait à Montréal de disposer de plus de terrains dans l’écosystème et à Hypertec de disposer d’un peu d’argent pour s’installer ailleurs.

Le 17 juin, une lettre publique signée par plus de 200 scientifiques et citoyens dans le journal Le Devoir a mis une pression supplémentaire sur Hypertec pour qu’il change réellement ses plans avant de ternir irrévocablement sa réputation. La lettre s’intitulait Protéger la diversité urbaine et l’habitat du Technoparc et l’argument était clair en faveur de la préservation de la biodiversité :

« La décision toute récente de l’entreprise Hypertec d’acheter un terrain de grande valeur écologique pour y construire un bâtiment industriel au sein des milieux humides et forestiers du Technoparc constitue une menace importante à cet habitat naturel et aux engagements de Montréal pour la biodiversité. »

Et les spécialistes ont expliqué :

« Le projet impliquerait de couper 5000 arbres, d’empiéter sur des zones humides, et d’asphalter environ 18 500 mètres carrés de sol vivant et de friches arbustives. Pourtant, plus de 180 espèces d’oiseaux fréquentent ou nichent dans ce seul secteur où Hypertec veut construire. En matière de conservation de la biodiversité et de protection des habitats, chaque parcelle, chaque lot est important, surtout dans les secteurs déjà fragmentés par l’activité humaine. »

La lettre concluait :

« En tant que professeures et professeurs, chercheuses et chercheurs et membres de la communauté étudiante, nous demandons à Hypertec d’envisager un autre emplacement plutôt que de contribuer à la perte d’habitat dans les écosystèmes exceptionnels qui subsistent à Montréal. »

Les Montréalais, j’en suis sûr, sont aux côtés de ces scientifiques et de la nature. Face à un Nord en feu, nous devons défendre la biodiversité du sud du Québec, car cette biodiversité est la nôtre. Cette biodiversité, c’est nous.

Avis : Les opinions exprimées dans cet article sont celles de leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement les opinions de WestmountMag.ca ou de ses éditeurs.

Image d’entête : Deep Rajwar

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Patrick Barnard - WestmountMag.ca

Patrick Barnard est membre du conseil d’administration de la Coalition Verte.

 

 


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