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Conservation de la nature :
dominion vs. intendance

Désaccord entre les conservationnistes traditionnels et ceux du nouvel âge

Par Georges R. Dupras

25 mai 2019

Note : Ce document reflète les opinions de l’auteur et ne reflète pas nécessairement les opinions des autres personnes mentionnées.

Les changements en faveur de la biodiversité sont une bataille de plus en plus difficile en raison de raisons anthropocentriques, économiques et politiques. S’ajoute à cela l’altération politique de la terminologie de terrain.

L’origine de la « conservation traditionnelle »

Au milieu du XIXe siècle, les premiers efforts de conservation en Amérique du Nord ont été entrepris en raison de la destruction généralisée de la faune, notamment celle des oiseaux de rivage. Les chasseurs, répondant à une demande croissante de panaches à la mode, ont tué des milliers d’oiseaux sans tenir compte de l’impact environnemental.

Le président Theodore Roosevelt, qui a donné son nom aux ours en peluche (Teddy bears), est reconnu comme étant l’un des premiers défenseurs de la nature américains. L’une de ses réalisations les plus notables est d’avoir préservé de vastes étendues de terre qui sont devenues les premières réserves fauniques des États-Unis.

Une vision personnelle

Cette initiative, fondée sur la vision personnelle du président américain en matière de conservation, a jeté les bases de deux visions très différentes de la véritable conservation : la consommation et la compassion.

On dit que le 26ème Président n’a visité qu’un seul de ces refuges et, à cette occasion, il a déterré des œufs de tortue et les a mangés pour déjeûner. Il a ensuite soutenu que les ratons laveurs devraient être exterminés dans les zones classées comme réserves afin de protéger les oiseaux et les tortues.

Le président Theodore Roosevelt a préservé de vastes étendues de terre qui sont devenues les premières réserves fauniques des États-Unis.

Au cours des années 1800 et au début des années 1900, les ours bruns de Californie ont également été exterminés6. Le dernier Grizzly de Californie a été abattu par un chasseur en 1922. Aujourd’hui, il serait difficile de trouver un grizzli n’importe où en Californie autrement que dans un zoo ou sur le drapeau de son État. Quant aux loups… il vaut mieux ne pas en parler.

Cri de guerre

Le cri de guerre de la conservation était, et demeure, « d’exploiter pour protéger ». Cette approche s’est faite au détriment d’espèces non capitales8 ainsi que des nombreuses personnes qui voient la conservation différemment. Malheureusement, cette approche dépassée et infructueuse2 imprègne encore les intérêts de la chasse dans les zones rurales et, par conséquent, influence considérablement les décisions prises par ceux qui cherchent à obtenir des avantages politiques. Les programmes de gestion de la faune sont toujours axés sur la réglementation des espèces de gibier pour la chasse, le piégeage et la pêche.

Les données à partir desquelles les quotas ont été établis ont été recueillies par les personnes mêmes qui ont bénéficié de ces activités. Dans de nombreux cas, ces attributions conjoncturelles étaient fondé sur des estimations incorrectes, des dénombrements et des rapports sexospécifiques inexacts, des données faussées, falsifiées ou inexistantes. Par exemple, lorsqu’un ours en lactation était tué pendant la chasse printanière, on ne tenait pas compte du nombre d’oursons qui mourraient de faim ou de prédation (entre deux et quatre).

‘Le cri de guerre de la conservation était, et demeure, « d’exploiter pour protéger ».’

On peut dire la même chose de tuer un lion ou un loup alpha. Lorsque ces individus sont tués, un autre mâle prend la tête de la meute de l’animal mort et tue sa progéniture. Ces pertes n’ont pas été enregistrés. Malheureusement, peu de choses ont changé aujourd’hui.

Point de démarcation

De nos jours, la conservation reste axée sur la préservation de l’espèce. Elle maintient toujours les croyances fondamentales du modèle de consommation et s’est encore plus politisée.

Suite à l’examen critique des données officielles par ceux qui cherchent une nouvelle approche non consommatrice, un point de démarcation a été créé. Cela a donné lieu à une division entre les points de vue urbains et ruraux. Cet écart s’est accentué lorsque seuls les intérêts ayant une préoccupation économique dans la gestion de la faune ont été invités à prendre part aux examens des politiques fédérales et provinciales. La situation a atteint son paroxysme lorsque les partisans du statu quo n’ont pas été en mesure de contrer certains arguments culturels, économiques ou scientifiques. Ils ont eu alors recours à des attaques personnelles contre ceux qui offraient un point de vue différent plutôt que de se concentrer sur la substance même de l’argument (ad hominen).

L’auteur canadien Farley Mowat (Never Cry Wolf) est l’exemple d’un conteur qui s’est permis une licence poétique tout en maintenant l’essence de la réalité. C’était un écrivain merveilleux et un amoureux de la nature. Son but était de rapprocher par son travail l’homme ordinaire et la nature. Bien que ses recherches aient été approfondies, il a été attaqué pour son utilisation d’une certaine licence poétique.

‘L’auteur canadien Farley Mowat… est l’exemple d’un conteur qui s’est permis une licence poétique tout en maintenant l’essence de la réalité.’

Travailler ensemble

Dans les années 1960, certains défenseurs des animaux se sont efforcés de collaborer avec l’industrie pour régler les problèmes qui divisaient ces deux solitudes. Ils l’ont fait grâce aux efforts de Neil Jotham, alors directeur national de la Fédération des sociétés canadiennes d’assistance aux animaux (FSCAA). Ces efforts ont été décevants lorsqu’il est devenu évident que les seuls changements significatifs dont les industries animales étaient prêtes à discuter étaient les « attitudes » de ceux qui préconisaient le changement.

Encore aujourd’hui, lors de ces assemblées publiques, lorsqu’on lui demande pourquoi on n’a pas fait grand-chose pour protéger les animaux, notre premier ministre affirme que les défenseurs des animaux devraient collaborer avec l’industrie. Quant à moi, je suggère que le premier ministre, qui se dit enseignant3, fasse ses devoirs.

Le modèle « exploiter pour protéger »

L’un des problèmes du leitmotiv « exploiter pour protéger » semble être l’existence d’un conflit d’intérêts flagrant4. Un autre est que la conservation politique sape la vraie science tout en ignorant complètement « l’empathie », l’un des traits fondamentaux qui définissent les humains.

Paradigmes alternatifs

On a fait valoir que la conservation compassionnelle, un terme inventé par Marc Bekoff, un éthologiste cognitif, manque de pragmatisme. Elle est devenue un signal d’alarme lorsqu’elle a contesté le rejet traditionnel du bien-être des animaux en général, de la faune et de l’agriculture en particulier.

‘L’un des problèmes du leitmotiv « exploiter pour protéger » semble être l’existence d’un conflit d’intérêts flagrant.’

Cette approche alternative a adopté un principe fondamental du Serment d’Hippocrate qui est, premièrement, de ne pas nuire (primum non nocere). Curieusement, il n’y a rien de nouveau dans l’approche elle-même. C’en est une qui est mise à l’épreuve et qui a d’abord été avancée par des théologiens qui ont soutenu que l’individu, en l’occurrence l’être humain, avait son importance5.

Les conservationnistes traditionnels croient qu’en plus de gérer les espèces nuisibles par l’abattage sélectif, les poisons, le piégeage, les tirs aréolaires et les primes, il est efficace de sacrifier l’individu pour protéger le collectif . Les harvesters9 (moissonneurs), comme ils se nomment maintenant, soutiennent également que la chasse au trophée est un outil de conservation économique et, avec les pêcheurs, ils partagent une définition unique de la « viabilité » qui va à l’encontre de l’interprétation la plus fondamentale11. La justification économique n’est pas suffisamment étayée, comme le montre un rapport d’économistes australiens intitulé Economists at Large7.

Le rapport démontre que l’écotourisme rapporte beaucoup plus d’argent, sans détruire la ressource qui a attiré les touristes dans un premier temps. Le rapport indépendant, ainsi que d’autres études, confirme que l’argent provenant de l’écotourisme reste dans les communautés qui font la promotion des safaris en direct, alors que les revenus de la chasse profitent en très grande majorité aux intérêts étrangers6.

Le conservationniste du nouvel âge croit que si vous protégez l’individu, le collectif se protégera lui-même. Ils ne considèrent pas les animaux comme des ressources à gérer comme des unités de capital. Il soutient qu’aucun progrès réel ne sera réalisé en matière de conservation si la protection n’est pas globale. Une première étape dans la réalisation de cet objectif pourrait être d’annuler les inscriptions à la CITES10.

‘Nous ne pouvons pas compter sur la science pour résoudre la perte de biodiversité, les écosystèmes et le changement climatique, alors que les vrais problèmes sont la cupidité humaine, l’égoïsme et la supériorité autoproclamée.’

Les responsables traditionnels de la gestion font la promotion de leurs objectifs comme étant bénéfiques pour la biodiversité, l’écotourisme et la protection des espèces menacées. Cet argument est en fait subordonné aux principaux objectifs du paradigme traditionnel.

William Lynn, de l’Université Clark5, croit que cette approche est souvent fondée sur la croyance que la terre a été créée pour notre usage et que les non-humains et la nature sont simplement des ressources accordées par Dieu (Dominionisme). Cette croyance est également renforcée par l’anthropocentrisme, qui prétend que les humains sont les seules créatures de valeur morale sur terre. Remettre en question ce credo, c’est ébranler le fondement même de la conservation traditionnelle.

« Ce que nous sommes » ne devrait pas changer « Qui nous sommes »

Pour qu’un véritable changement se produise, et en supposant que nous voulions changer, nous devrons accepter que nous faisons partie d’un plus grand contexte, étant ni meilleurs, ni pires que les autres êtres vivants qui partagent notre monde.

Sans renoncer à tous nos avantages, nous devons reconnaître que le capitalisme seul n’est pas la solution à un monde de guerre, de pauvreté, d’injustice et d’abus. Nous ne pouvons pas compter sur la science pour résoudre la perte de biodiversité et d’écosystèmes, ni le changement climatique, alors que les vrais problèmes sont la cupidité humaine, l’égoïsme et la supériorité autoproclamée.


  1. La Bible est probablement le livre d’Écritures le plus traduit au monde (670 langues et le Nouveau Testament seul en 1 521 langues). Bien que la version King James utilise le mot « dominion », il y a ceux qui soutiennent que la traduction correcte devrait se lire « stewardship » (intendance).
  2. Au cours des 50 dernières années, le monde a perdu 60 % de la faune connue. La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) existe depuis 45 de ces 50 années et l’exploitation “pour “protéger” en est la pierre angulaire.
  3. Le premier ministre Justin Trudeau a été professeur de théâtre à temps partiel dans une école primaire pendant une courte période.
  4. De la même manière qu’un avocat ne peut à la fois poursuivre et défendre un suspect dans un procès pénal, la CITES ne devrait pas exploiter et protéger une espèce simultanément.
  5. Extraits du Dr William Lynn de l’Université Clark, The George Perkins Marsh Institute et du Dr John Hadidian, Virginia Polytechnic Institute and State University, Center for Leadership in Global Sustainability. (Combler le fossé entre la protection des animaux et la biologie traditionnelle de la conservation)
  6. L’appâtage des ours était populaire durant ces années et opposait les ours aux taureaux pour voir lesquels allaient survivre. On croit que l’appâtage existe encore aujourd’hui dans certaines régions éloignées du monde.
  7. Information tirée de Economists at Large, un cabinet d’économistes-conseils basé à Melbourne, en Australie. Rapport daté de 2013. Rapport commandé par Humane Societies of the United States.
  8. Loups, phoques, cormorans, etc.
  9. Harvest est un mot allemand qui se réfère à la récolte des cultures qui ont été plantées. La définition des cultures n’inclut pas les êtres sensibles.
  10. L’annulation de l’inscription à la CITES a été suggérée pour la première fois lors de la deuxième réunion des parties, sans succès.
  11. Une définition très élémentaire de la durabilité comprendrait les éléments suivants : la durabilité numérique, la durabilité génétique, la durabilité écologique, l’aire de répartition et l’impact environnemental.

Image d’entête : Janko Ferlic from Pexels

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Georges Dupras

Georges R. Dupras se fait le champion et le défenseur des animaux depuis plus de 50 ans. Il est membre de l’International Association for Bear Research and Management (IBA), un directeur de l’Alliance pour les animaux du Canada (AAC), le représentant du Québec de Zoocheck Canada, et un ancien directeur de la Société canadienne pour la prévention de la cruauté envers les animaux (CSPCA). En 1966, il s’est impliqué dans la campagne initiale pour sauver les phoques qui a mené à la fondation de l’International Fund for Animal Welfare (IFAW) en 1969. Il a publié deux livres : Values in Conflict et Ethics, A Human Condition. Georges demeure à Montréal, Québec, Canada.


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