corim-elizabeth-maruma-mrema_1048-2

Elizabeth Maruma Mrema
et la perte de biodiversité

La secrétaire exécutive de la Convention sur la diversité biologique de l’ONU s’adresse au CORIM

Par Patrick Barnard

8 juin 2022

Le 7 juin 2022, le Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM) recevait Mme Elizabeth Maruma Mrema lors d’un déjeuner-conférence. Les participants ont pu l’entendre parler d’un sujet qu’elle connaît bien : La perte de la biodiversité : Quelles seront les conséquences pour les différents pays ?

Mme Mrema est l’actuelle secrétaire exécutive de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique, dont le siège social se trouve au centre-ville de Montréal. Avocate et professeur d’université originaire de Tanzanie, elle a consacré les deux récentes décennies de sa vie de fonctionnaire internationale à l’étude et à la défense de la biodiversité.

Son discours est arrivé à un moment critique, l’année 2022 marquant un tournant en signalant l’énorme crise à laquelle est confrontée notre planète. Le 4 avril, lorsque le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié son troisième rapport, le secrétaire général des Nations unies, Antònio Guterres, a utilisé à New York un langage jamais employé auparavant par un chef de l’ONU :

Son discours est arrivé à un moment critique puisque l’année 2022 a marqué un tournant majeur en signalant l’énorme crise à laquelle est confrontée notre planète. Le 4 avril, lorsque le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié son rapport, le secrétaire général des Nations unies, Antònio Guterres, a tenu à New York un langage jamais employé auparavant par un chef de l’ONU :

« Le jury a rendu son verdict, et il est accablant. Ce rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat est une litanie de promesses climatiques non tenues. C’est un dossier de la honte, qui répertorie les promesses vides qui nous mettent fermement sur la voie d’un monde invivable. Nous sommes en route vers une catastrophe climatique, avec de grandes villes submergées, des vagues de chaleur sans précédent, des tempêtes terrifiantes, des pénuries d’eau généralisées et l’extinction d’un million d’espèces végétales et animales. Il ne s’agit pas de fiction ou d’exagération.  C’est ce que la science nous dit qu’il résultera de nos politiques énergétiques actuelles. Alors que nous sommes sur la voie d’un réchauffement climatique de plus du double de la limite de 1,5°C convenue à Paris. Certains chefs de gouvernement et d’entreprise disent une chose mais agissent autrement. En d’autres termes, ils mentent, et cela nous mène à la catastrophe. Il y a donc urgence climatique. »

M. Guterres a mis l’accent sur l’extinction d’un million d’espèces, car la plus grande conséquence de cette catastrophe climatique est la destruction inexorable de toute espèce d’organisme vivant. Et la perte de biodiversité était au cœur même de son appel passionné au monde entier.

Notre civilisation fonce à toute allure, détruisant la biosphère dont nous dépendons, et pourtant la science qui décrit ce que nous faisons est encore relativement récente. Par exemple, le terme “biodiversité” ne date que des années 1980, lorsque le naturaliste américain E. O. Wilson et ses collègues ont commencé à organiser des réunions pour discuter de ce qu’ils voyaient se produire sous leurs yeux (voir Biodiversity, National Academy Press, 1988). La destruction de la nature s’est poursuivie et la science environnementale s’est empressée de suivre le rythme. En fait, ce n’est certainement pas un hasard si la crise de la biodiversité et la science qui la décrit sont apparues simultanément à ce moment de l’histoire.

Notre civilisation fonce à toute allure, détruisant la biosphère dont nous dépendons, et pourtant la science qui décrit ce que nous faisons est encore relativement récente.

E.O. Wilson est décédé dans le Massachusetts à la toute fin de l’année 2021. Le “père de la biodiversité” a donc cédé la place à ceux qui suivront dans le travail d’évaluation de la situation actuelle. Le secrétaire Gutteres parle de la disparition d’un million d’organismes. C’est un chiffre énorme. Et l’effondrement de la biodiversité est le résultat le plus significatif du changement climatique car cette réduction a un impact fatal sur l’ensemble de la biosphère.

En outre, les données mathématiques concernant la perte de biodiversité sont impitoyables. Prenez n’importe quelle zone d’habitat avec ses plantes et ses animaux – avec 90 % de destruction de l’habitat, environ 50 % des espèces disparaissent selon Wilson et ses collègues, mais ensuite, avec chaque perte supplémentaire de 1 %, la population en cause a tendance à s’effondrer vers l’extinction totale.

Au-delà du point de basculement, on assiste à une effrayante progression exponentielle vers la destruction. Ce que les écologistes appellent le maillage de la vie s’effondre dans un habitat, puis dans un autre, et encore un autre. (voir Beaugrand et al., The mathematical influence on global patterns of biodiversity, 11 juin 2020).

Le secrétaire d’État Gutteres nous a tous mis en garde ce printemps contre cette sombre perspective. La biodiversité est importante partout, mais de nombreuses zones encore riches en biodiversité se trouvent en Asie du Sud-Est, en Afrique et en Amérique latine. La situation de certains pays de ces régions est particulièrement importante. Le changement planétaire s’exerce sur des juridictions spécifiques, mais ce qui s’y passe affecte évidemment l’ensemble de la biosphère.

Ce contexte de crise environnementale générale a souligné l’importance du discours de Mme Elizabeth Mrema à Montréal, car il s’agit du rapport d’une fonctionnaire des Nations unies qui a travaillé sur la crise de la biodiversité sur le terrain, dans les pays où les changements peuvent être observés de la manière la plus spectaculaire.

Elizabeth Maruma Mrema and the loss of biodiversity - CORIMMme Mrema a parlé en termes chaleureux de Montréal à son auditoire, et ce qui est le plus frappant dans son discours final, c’est son caractère généraliste, puisqu’elle a évoqué les efforts à venir des membres de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique afin de créer un nouveau cadre d’action d’ici 2030. Elle n’a pas donné de description précise et détaillée de la manière dont la crise de la biodiversité se manifeste dans certains pays, mais a plutôt mis l’accent sur les grandes lignes des négociations internationales. Elle a également déclaré que si les pays participant à la Convention sur la biodiversité ne pouvaient pas se réunir en Chine plus tard au cours de l’année tel que prévu, elle privilégierait Montréal comme lieu de réunion.

L’optimisme personnel de Mme Mrema est à l’origine de son espoir d’un nouveau cadre de convention qui sera porteur d’espoir alors que le monde se dirige vers 2050. Dans le même temps, elle a déclaré à son auditoire que la biodiversité est le fondement de la vie et que la plupart des prévisions dressent un tableau sombre de la situation. Elle a souligné, tout comme M. Guterres, que le taux récent d’extinction des espèces dépasse le million et qu’il continue d’augmenter.

Elle a fait référence au cinquième rapport sur les perspectives mondiales de la diversité publié en 2020 par le Secrétariat qui indique dans son introduction que la biodiversité décline à un rythme sans précédent, et que les pressions à l’origine de ce déclin s’intensifient. Le rapport a jeté un regard froid sur les objectifs d’Aichi sur la biodiversité pour 2020, convenus par les signataires de la Convention au Japon en 2011, et a constaté que 14 buts sur 20 n’étaient pas atteints à la fin de la décennie et que 6 ne l’étaient que partiellement – un résultat misérable. Le rapport a jeté un regard froid sur les objectifs d’Aichi sur la biodiversité pour 2020, convenus par les signataires de la Convention au Japon en 2011, et a constaté que 14 des 20 objectifs n’ont pas été atteints à la fin de la décennie et que 6 ne l’ont été qu’en partie, ce qui constitue un résultat lamentable et un sinistre présage de ce qui est à venir.

‘Le changement planétaire s’exerce sur des zones spécifiques, mais ce qui s’y passe affecte évidemment l’ensemble de la biosphère.’

Mme Mrema ne s’est pas exprimée aussi franchement à Montréal et a simplement informé ses auditeurs qu’aucun des objectifs d’Aichi n’avait été complètement atteint et que, dans l’ensemble, aucun des objectifs n’avait été atteint. De toute évidence, l’auditoire non spécialisé n’avait pas lu les détails consternants du rapport Outlook et n’avait peut-être pas compris à quel point cette évaluation était inquiétante. Et Mme Mrema a fait bonne figure en parlant d’aller de l’avant, en plaçant la nature au cœur du développement durable, et en évoquant une vision de 2050 vivant en harmonie avec la nature.

Le discours de Montréal du 7 juin a présenté deux perspectives, l’une sombre, l’autre pleine d’espoir. Mme Mrema a appelé à des changements radicaux dans nos modes de développement. Son auditoire l’a appréciée, elle et sa convivialité, mais quelle vision ont-ils retenue de leur pause déjeuner en retournant à leur propre occupation ?

Les échecs en matière de conservation de la biodiversité au cours de la dernière décennie ne sont pas de bon augure pour les huit années qui nous séparent de 2030, sans parler de la perspective de 2050. Lorsqu’il s’agit de biodiversité, les prévisions humaines sont sombres.

Néanmoins, les fonctionnaires des Nations unies et leur auditoire retournent eux aussi à leur travail, s’exécutant fidèlement en essayant de voir un avenir différent, mais leur propre expertise leur signale à chaque jour les énormes nuages annonciateurs de tempêtes à venir.

Images: gracieuseté du CORIM

Button Sign up to newsletter – WestmountMag.ca

À lire : autres articles par Patrick Barnard


Patrick Barnard - WestmountMag.ca

Patrick Barnard est membre du conseil d’administration de la Coalition verte, un groupe environnemental non partisan à Montréal. Il est également rédacteur en chef du blog vidéo The Pimento report/Le Piment et journaliste indépendant. Il a travaillé par le passé pour CBC Radio, Radio Netherlands et Dawson College où il a enseigné la littérature anglaise. Il est également l’un des 20 environnementalistes et experts du transport qui ont signé une lettre ouverte à Montréal demandant la fin du REM.



There are no comments

Ajouter le vôtre