Un autre concert divin
de l’Ensemble Scholastica
Tout par compas, une plongée dans la musicalité ancienne où simplicité rime avec perfection
Par Luc Archambault
17 novembre 2022
Rebecca Bain et l’Ensemble Scholastica ont convié les mélomanes à une nouvelle plongée dans la musicalité ancienne, Tout par compas, avec un choix de pièces s’échelonnant du XIIIe au XVe siècle recueillies par les recherches exhaustives de cette leader incontestée de la musique médiévale.
Dans la très belle chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours, six chanteuses nous ont fait vibrer pendant une heure sur des mélopées d’une richesse quasi-incroyable. Six voix, six femmes en incantations à capella, rien que des voix, la pureté du son, un auditoire qui retenait son souffle pour ne pas briser le charme. Quel concert ! Quel professionnalisme !
Six voix, six femmes en incantations à capella, rien que des voix, la pureté du son, un auditoire qui retenait son souffle pour ne pas briser le charme.
Fondé en 2008 et dirigé depuis 2012 par Rebecca Bain, une spécialiste de la musique médiévale, l’Ensemble Scholastica regroupe des chanteuses issues du milieu florissant de la musique ancienne de Montréal. Certaines d’entre elles jouent également divers instruments.
L’Ensemble Scholastica est l’unique ensemble vocal canadien qui se consacre exclusivement à l’interprétation du chant liturgique médiéval monophonique et polyphonique, un répertoire couvrant du IXe au XIIIe siècle. Il puise directement dans les manuscrits médiévaux pour l’étude et l’interprétation de ce répertoire.
L’authenticité historique n’est toutefois pas son unique objectif. L’ensemble souhaite également faire découvrir au public la délicatesse et la pure beauté de la musique médiévale, tout particulièrement celle des traditions liturgiques, qui sont è la source de la musique occidentale. À ce titre, l’Ensemble Scholastica a participé ces dernières années à de nombreuses prestations. Il s’est notamment intéressé à la musique sacrée de la Nouvelle-France.
La ronde est l’une des plus anciennes formes de polyphonie et aussi l’une des plus simples. C’est ce que les enfants découvrent en chantant une mélodie de base qui se transforme en harmonie lorsque les voix s’enchaînent les unes après les autres. Il est bien connu que la musique de la Renaissance adore l’imitation mélodique, mais la ronde avait conquis la faveur des compositeurs européens dès le XIIIe siècle, et c’est dans la seconde moitié du XIVe que cette forme musicale atteint son apogée en France, en Italie et en Angleterre.
Les rondes figurent aux répertoires médiévaux les plus diversifiés, tant sacrés que profanes, et vont des plus simples compositions à des pièces d’une complexité virtuose. Si une personne du Moyen Âge avait été interrogée sur les principes d’une ronde, sa réponse dépendrait entièrement de l’endroit et du moment où elle se retrouvait. Il existait différents types de rondes et chacune utilisait sa terminologie propre.
De nos jours, c’est par le terme « canon » que l’on désigne couramment les rondes, ce qui n’était pas le cas au Moyen Âge. Le concept apparenté de « fugue » désigne une forme postmédiévale que l’on associe plus intimement à la musique baroque, et en particulier à celle de J.-S. Bach. Toutes ces formes ont en commun l’imitation du matériel mélodique par des voix ou des instruments.
‘Il existait différents types de rondes et chacun utilisait sa terminologie propre. De nos jours, c’est par le terme « canon » que l’on désigne couramment les rondes, ce qui n’était pas le cas au Moyen Âge.’
Le répertoire du concert Tout par compas est majoritairement consacré à la ronde du bas Moyen Âge, dans sa forme la plus circulaire : la rota, ou « roue ». Chaque voix chante une version identique de la mélodie et du texte dans son intégralité, non pas en synchronie mais en décalage.
Le concert a été ponctué de quelques variantes de cette forme, illustrant des techniques d’imitation ingénieuses et proprement médiévales. Chaque pièce est chantée par un groupe de voix, trois au minimum, jusqu’à l’ensemble au complet. Des six voix, quelques-unes parviennent à se démarquer, notamment Ariadne Lih, jeune soprano dont la tonalité d’une pureté à couper le souffle enflamme chaque envolée lyrique. Élodie Bouchard, telle une tempête, balaie tout de sa voix claironnante.
Non que les quatre autres voix – celles de Luce Chamberland, Cynthia Gates, Rebecca Bain et Angèle Trudeau – ne soient pas remarquables, mais elles sont moins pénétrantes que celles de mesdames Lih et Bouchard. Une chose à noter, et qui me désole : ce concert, aussi magnifique soit-il, n’aura réussi qu’à attirer une moitié de salle. Ce qui constitue, à mes yeux, un crime de lèse-majesté.
À venir
MIRAGRES FREMOSOS
Chants de l’Espagne médiéval
Présentation du concert : 13 mai 2023
avec comme invitée Lamia Yared
AUDI FILIE
Chants des communautés chrétiennes féminines, XIIe-XVIIe siècles
Présentation du concert : 12 novembre 2023
Projet d’enregistrement : 2024
L’Ensemble Scholastica
Historiquement, les ordres monastiques offraient aux femmes la possibilité d’échapper au mariage et à la procréation tout en recevant une éducation et des opportunités de développer diverses compétences et faire une différence dans leurs communautés.
L’Ensemble Scholastica porte le nom de Scholastique, la femme du VIe siècle cachée derrière son célèbre frère Saint-Benoît, fondateur de l’Ordre des Bénédictins. Scholastique a fondé la branche féminine de cette institution si influente, qui a été responsable de la création et de la diffusion d’un vaste corpus de musique sur plusieurs siècles.
Le concert Audi Filie et le CD qui en résultera célébreront cet héritage et mettront en vedette des œuvres composées (le plus souvent anonymement), recueillies et chantées par des femmes dans leurs couvents de la fin du Moyen Âge au début de l’ère moderne, de l’Europe à la Nouvelle-France et la Nouvelle-Espagne.
Le répertoire couvert par ces œuvres mettra en vedette neuf des interprètes vocaux de l’Ensemble Scholastica, dont certains joueront également des instruments d’époque tels que la vielle, la chifonie et le psaltérion, et trois musiciens invités jouant des instruments d’accompagnement (orgue portatif, luth/vihuela et viole de gambe) pour les œuvres ultérieures.
L’enregistrement de ces pièces sortira fin 2024 sous l’étiquette ATMA Classique.
Images : Martin Jolicoeur
Luc Archambault, écrivain et journaliste, globe-trotter invétéré, passionné de cinéma, de musique, de littérature et de danse contemporaine, est revenu s’installer dans la métropole pour y poursuivre sa quête de sens au niveau artistique.
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