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Tel Icare tombant des cieux
Ryan Larkin, cinéaste oublié

Un cinéaste d’animation de génie qui aurait dû être parmi les plus grands de l’histoire du cinéma

Par Francis Ouellet

Précédemment publié le 18 novembre 2020

Dans le domaine du cinéma, il y a de nombreuses histoires de gloire et de réussite. Tous ces acteurs, actrices et réalisateurs que nous voyons défiler sur les tapis rouges au gré des festivals et des cérémonies, bombardés par les flashs des photographes, admirés et enviés par des milliers de gens partout sur la planète, représentent la richesse et la célébrité. Ces étoiles nous paraissent immortelles et semblent vivre dans un monde différent du nôtre, hors d’atteinte. En somme, c’est l’apogée du rêve devenu réalité.

Ryan Larkin, un cinéaste d’animation de génie, qui aurait dû être parmi les plus grands de l’histoire du cinéma, juste à côté des Tex Avery, Ralph Bakshi, John Hubley, Hayao Miyazaki, Richard Williams et de nombreux autres.

Mais quelquefois, pour ne pas dire trop souvent, ce rêve peut tourner au cauchemar, et les étoiles peuvent tomber du ciel et disparaître dans l’oubli. Mais cet oubli est souvent injuste, et plusieurs artistes qui sont disparus dans l’indifférence mériteraient que l’on se souvienne d’eux. Parmi ces étoiles disparues, il y a Ryan Larkin, un cinéaste d’animation de génie, qui aurait dû être parmi les plus grands de l’histoire du cinéma, juste à côté des Tex Avery, Ralph Bakshi, John Hubley, Hayao Miyazaki, Richard Williams et de nombreux autres. Malheureusement, la vie en a décidé autrement.

Ryan Larkin

Ryan Larkin

Né à Montréal en 1943, Larkin démontre très tôt un immense talent en illustration. Après ses études artistiques, il commence à travailler à l’Office national du film du Canada en 1962, sous la supervision du très grand Norman McLaren, et est rapidement considéré comme un futur espoir du cinéma d’animation. Ses premiers courts-métrages, Syrinx (1965), inspiré de la légende de la Grèce antique qui raconte comment la nymphe Syrinx échappa au dieu Pan, et Cityscape (1968), essai visuel expérimental où un décor urbain subit plusieurs mutations avant d’être recréé sous la forme d’une forêt, sont couverts d’éloges et reçoivent de nombreuses récompenses.

Larkin enchaîne par la suite avec ses deux œuvres les plus ambitieuses: Walking (1968), qui est considéré par plusieurs comme l’un des chefs-d’œuvre du cinéma canadien, reçoit un accueil fort élogieux et se retrouve en nomination pour l’Oscar du meilleur court-métrage d’animation lors de la 42e cérémonie des Oscars, en avril 1970. Le court-métrage, qui utilise de nombreuses techniques graphiques, comme la détrempe, l’aquarelle ou le lavis, est une méditation autant qu’une observation sur la démarche et la mécanique du corps humain. Il s’en dégage une réelle sensation de joie de vivre, personnifiée par le mouvement continuel des personnages, présentés avec beaucoup d’humour, au son d’une musique entraînante. Une véritable réussite, sincère et ludique, que l’on admire, le sourire aux lèvres. En 1972, le court-métrage Street Musique, renversante improvisation visuelle et musicale, confirme le génie de Larkin. Encore une fois, nous assistons à une succession de métamorphoses, abstraites ou peuplées de créatures familières, que rythment les airs entraînants joués par des musiciens de rue. Beaucoup plus expérimental dans sa forme et dans son imagerie que ne l’était Walking, nous retrouvons malgré tout cette même ambiance de fête baroque, cette même célébration de la vie, ce clin d’œil au bonheur accompagné d’une bonne dose d’humour. D’une immense richesse visuelle, le film est un véritable ravissement pour les yeux, et chaque nouveau visionnement nous fait découvrir des détails que nous n’avions pas perçus précédemment. Street Musique est, lui aussi, encensé de par le monde et remporte de nombreuses récompenses, dont le Grand Prix au Festival international du film de Melbourne et le Prix du jury au Festival du film d’animation de Berlin.

Walking (1968), qui est considéré par plusieurs comme l’un des chefs-d’oeuvre du cinéma canadien, reçoit un accueil fort élogieux et se retrouve en nomination pour l’Oscar du meilleur court-métrage d’animation…

Tout était donc possible pour ce créateur de génie d’à peine 30 ans qui venait, en quelques années seulement, de faire sa marque au niveau international dans le monde du cinéma d’animation. Les portes s’ouvraient toutes grandes devant lui, mais, malheureusement, Larkin prit soin de les refermer rapidement.

Image tiré de “Walking”

Image tirée de «Walking»

Il semble que cette joie débordante qui habitait ses films ne se reflétait pas dans l’âme de Larkin. Peu à peu, il se révèle un être beaucoup plus fragile qu’on ne l’aurait cru, en proie à de nombreux démons intérieurs. À partir de Street Musique, Larkin ne produit à vrai dire pratiquement plus rien, si on exclut quelques participations mineures à divers projets de l’ONF. Entre autres, la direction de l’organisme lui commande une fresque pour décorer l’entrée de ses bureaux à Montréal, mais son œuvre est finalement rejetée, car jugée trop obscène. Il devient à cette époque de plus en plus évident pour ses collègues et les gens de son entourage que Larkin souffre de divers problèmes d’ordre psychologique, problèmes qui s’aggravent rapidement en raison de ses abus d’alcool et de sa dépendance de plus en plus forte à certains narcotiques. En 1978, il doit quitter son poste à l’ONF et pendant quelques années il travaille comme illustrateur pour diverses boîtes de graphisme. Mais, incapable de combattre ses démons et s’enfonçant de plus en plus dans des abus de drogues et d’alcool, Larkin se retrouve dans l’incapacité de garder un emploi. Sans le sou, vivant dans la rue à Montréal et coupé de sa famille, il est réduit à la mendicité pour survivre. Il tombe ainsi dans l’oubli, sa vie et son talent irrémédiablement gâchés.

En 2004, le cinéaste d’animation Chris Landreth décide de tourner un court-métrage sur Ryan Larkin, mélange de documentaire, d’entrevue avec le cinéaste déchu et d’expérimentations visuelles en animation, intitulé simplement Ryan. Ce film troublant et déchirant permet à une génération de cinéphiles de découvrir ce cinéaste oublié, artiste pathétique incapable de créer, intérieurement brisé, mais dont les œuvres lointaines dans le temps méritent une nouvelle vie. Ironie du destin, Ryan remporte l’Oscar du meilleur court-métrage d’animation en 2005, écho sardonique et quelque peu cruel à celui raté de peu par Larkin quelque 35 ans auparavant. Toutefois, l’expérience est salutaire pour lui, car le tournage de Ryan le secoue profondément, au point de lui redonner la force de créer. Aidé de plusieurs amis et collaborateurs, Larkin met en chantier un nouveau court-métrage d’animation autobiographique, Spare change, inspiré par sa vie d’itinérant, ce qui semble annoncer un retour de l’artiste déchu. Mais le destin est de nouveau cruel envers lui. Il apprend bientôt qu’il souffre d’un cancer incurable des poumons qui se propage à son cerveau. Ryan Larkin s’éteint le 14 février 2007, avant d’avoir pu terminer Spare change. Mais heureusement, celui-ci est complété de manière posthume par ses collaborateurs.

Ironie du destin, Ryan remporte l’Oscar du meilleur court-métrage d’animation en 2005, écho sardonique et quelque peu cruel à celui raté de peu par Larkin quelque 35 ans auparavant.

Comme je l’écrivais au début de cet article, Ryan Larkin aurait pu être l’un des plus grands réalisateurs de films d’animation de l’histoire du cinéma, grâce à son immense talent et à sa complète maîtrise de son art. Malheureusement, et tragiquement, il fut dévoré par ses démons intérieurs et son talent, tout comme sa vie, se fana à peine éclos. Il ne reste que quelques courts-métrages, tous magnifiques, pour témoigner du génie de ce créateur disparu beaucoup trop tôt. Cependant, l’œuvre survivra et, espérons-le, continuera d’inspirer des cinéastes du monde entier. Le contraire serait une cruauté de trop.

Pour ceux qui désirent visionner les films de Ryan Larkin, Cityscape, Walking, Street Musique et Spare Change peuvent être visionnés gratuitement sur le site de l’ONF à l’adresse suivante : onf.ca/explorer-tous-les-cineastes/ryan-larkin/

Vous pouvez également visionner Ryan, de Chris Landreth, à l’adresse suivante : onf.ca/film/ryan-fr

Bonne découverte, et bon cinéma!

Images : “Ryan Larkin, portrait” by Source. Licensed under Fair use via Wikipedia. Images tirées de «Street Musique» et «Walking» — ONF.
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Francis Ouellet a toujours été un amoureux fou du cinéma, de l’animation et de la bande dessinée. Cette obsession de l’image, du mouvement, de l’ombre et de la lumière l’a conduit à faire carrière dans le domaine de la publicité et des communications graphiques. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à travailler, dans ses temps libres sur divers projets d’animation et de bande dessinée.



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