Le Guide alimentaire canadien
selon Andrew Scheer
Notre gouvernement est-il élu pour représenter les intérêts de la population ou ceux de l’industrie ?
Par Georges R. Dupras
En théorie, les partis politiques fédéraux ne devraient jamais se plier aux groupes ayant des intérêts spéciaux. Cependant, il y a un monde de différence entre la théorie et la réalité. Suite à la mise à jour du Guide alimentaire canadien, Andrew Scheer, chef du parti conservateur du Canada, s’est engagé, auprès de l’industrie laitière, à modifier le guide s’il est élu à la tête du gouvernement. Il semblerait que le nouveau guide alimentaire ait été élaboré sans la participation de l’industrie laitière – l’eau remplaçant maintenant le lait comme breuvage recommandé par le guide.
Selon M. Scheer, un organisme soi-disant indépendant et scientifique, chargé de protéger notre santé, doit inclure des lobbyistes représentant les intérêts de l’industrie laitière. Il nous dit également qu’il ne tiendra aucun compte des conseils des spécialistes dans le domaine de l’alimentation et que son gouvernement adoptera une version édulcorée du Guide alimentaire canadien (voir Remplir deux fonctions opposées ci-bas).
Qualifications
Vu que M. Scheer n’est pas plus qualifié que moi dans le domaine de l’alimentation, je ne peux que présumer qu’il va revoir le contenu du guide dans le but de le politiser. Je comprends que l’industrie des produits laitiers traverse une période difficile et qu’elle est d’une importance cruciale pour tous ceux et celles qui sont impliqués de près ou de loin dans l’économie canadienne. Mais ce qui est également important, c’est que la sécurité publique devrait passer avant les profits des entreprises et la cupidité d’individus particuliers. Il s’agit ici d’une question de responsabilité et de conflit d’intérêts flagrant.
En théorie, les partis politiques fédéraux ne devraient jamais se plier aux groupes ayant des intérêts spéciaux. Cependant, il y a un monde de différence entre la théorie et la réalité.
Ce qui me surprend, c’est que les Canadiens et Canadiennes acceptent que des politiciens puissent passer outre aux conseils d’experts et de professionnels, y compris ceux de nutritionnistes, de diététistes et d’autres spécialistes dans le domaine de la santé.
Suivre le système américain
Lorsque les gouvernements prétendent représenter les intérêts de tous les Canadiens, font-ils référence à notre santé ou à nos intérêts économiques, et jouent-ils l’un contre l’autre ? Sommes-nous en train de copier le système américain où les compagnies d’assurance dictent les traitements médicaux ?
Les professionnels de la santé nous disent de faire plus d’exercice, de réduire notre consommation de glucides, de produits laitiers et de viande rouge. De plus, l’utilisation d’antibiotiques, de stimulants de croissance et d’une multitude d’autres substances sur les animaux destinés à l’alimentation soulève constamment des questions. Les Canadiens doivent se demander qui est le mieux qualifié pour les conseiller : les nutritionnistes et les diététistes, ou les politiciens incités par les lobbyistes de l’industrie ?
L’industrie agro-alimentaire et la santé
Je ne suggère pas de céder tous nos pouvoirs décisionnels aux professionnels, mais je pense que nos politiciens peuvent prendre leur responsabilité au sérieux tout en évitant de museler les opinions d’experts en la matière. La recherche objective peut nous aider à établir les évidences à partir desquelles nous pouvons prendre une décision éclairée, contrairement au système actuel où les partis politiques décident en notre nom et où les scientifiques dissidents sont écartés.
‘Ce qui me surprend, c’est que les Canadiens et Canadiennes acceptent que des politiciens puissent passer outre aux conseils d’experts et de professionnels, y compris ceux de nutritionnistes, de diététistes et d’autres spécialistes dans le domaine de la santé.’
Remplir deux fonctions opposées
Voici un exemple qui démontre que le gouvernement ne peut pas remplir deus fonctions opposées dans l’intérêt du public.
Rosemary Masson et Colin Thodhunter (Global Research, juillet 2019), démontrent pourquoi les gouvernements ne peuvent agir afin de protéger les intérêts du public et en même temps promouvoir l’industrie de l’agriculture. Ils citent une publication traitant de l’encéphalopathie spongiforme bovine compilée par l’Agence Européenne sur l’Environnement Late Lessons from Early Warnings (Patrick Van Zwanenberg et Erik Millestone) :
« Plusieurs décideurs politiques au Royaume-Uni, directement responsables d’établir les politiques sur la question de l’encéphalopathie spongiforme bovine, antérieurement au mois de mars 1996, prétendent qu’à cette époque leur approche illustrait l’application d’une voie ultra-prudente, suivant une approche scientifique rigoureuse lors de l’élaboration des politiques. Nous soutenons que ces affirmations ne sont pas convaincantes parce que les politiques gouvernementales n’étaient pas vraiment prudentes et ne tenaient pas compte des implications des preuves scientifiques disponibles. »
« Or, la politique publique britannique a été handicapé par des restrictions fondamentales. Le département responsable de la question de l’encéphalopathie spongiforme bovine étant le ministère de l’agriculture, des pêcheries et de l’alimentation, on s’attendait à ce que ce département s’occupe simultanément de promouvoir les intérêts économiques des fermiers et de l’industrie alimentaire tout en protégeant le public des dangers d’origine alimentaire. La suite des choses a prouvé que ni l’un ni l’autre de ces objectifs n’ont été atteint étant donné que ce département devait poursuivre simultanément deux objectifs contradictoires ».
‘Je suggérerais que l’élaboration du Guide alimentaire canadien ne devrait pas être une responsabilité du gouvernement fédéral, mais qu’il devrait plutôt reposer sur son propre mérite, indépendamment de toute pression du secteur agro-alimentaire…’
À bout de bras
Au cours des années, nous avons constaté que les gouvernements ont muselé les scientifiques en matière d’environnement (notamment Stephen Harper, du Parti conservateur du Canada). Aujourd’hui ils veulent saper le travail des scientifiques responsables d’élaborer le nouveau Guide alimentaire (Andrew Scheer, chef du Parti conservateur du Canada). Élisons-nous notre gouvernement pour qu’il s’occupe de la santé publique ou pour promouvoir les intérêts économiques de l’industrie alimentaire ? Les consommateurs sont-ils si ineptes, si mal informés qu’ils sont incapables de décider par eux-mêmes ?
Je suggérerais que l’élaboration du Guide alimentaire canadien ne devrait pas être une responsabilité du gouvernement fédéral, mais qu’il devrait plutôt reposer sur son propre mérite, indépendamment de toute pression du secteur agro-alimentaire Canadien ou américain. Les Canadiens pourront ainsi suivre les recommandations du guide de la même façon qu’ils suivent les conseils de leur médecin de famille, et obtenir de meilleurs conseils qui leurs permettront de prendre leurs propres décisions.
Accorder un certain crédit aux consommateurs
Le gouvernement fédéral ne devrait pas être autorisé à contrecarrer les recommandations purement objectives des scientifiques uniquement parce qu’elles sont politiquement défavorables. Politique et science, tout comme politique et religion, font souvent un curieux mélange.
Les partis politiques étant indûment influencés par les exigences de l’industrie, il me semble qu’il est grand temps de les mettre au pas et de permettre aux professionnels de faire ce qu’ils font mieux, indépendamment de toute pression politique, afin de donner aux consommateurs la possibilité de faire leurs propres choix en matière de santé.
Avertissement : Les opinions exprimées dans cet article sont celles de son auteur et ne reflètent pas les opinions de WestmountMag.ca ou de ses éditeurs.
Image d’entête: Santé Canada
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Georges R. Dupras se fait le champion et le défenseur des animaux depuis plus de 50 ans. Il est membre de l’International Association for Bear Research and Management (IBA), un directeur de l’Alliance pour les animaux du Canada (AAC), le représentant du Québec de Zoocheck Canada, et un ancien directeur de la Société canadienne pour la prévention de la cruauté envers les animaux (CSPCA). En 1966, il s’est impliqué dans la campagne initiale pour sauver les phoques qui a mené à la fondation de l’International Fund for Animal Welfare (IFAW) en 1969. Il a publié deux livres : Values in Conflict et Ethics, A Human Condition. Georges demeure à Montréal, Québec, Canada.
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