Lignedebus au Théâtre des Écuries
Sur la scène comme ailleurs, qui trop embrasse mal étreint
Par Luc Archambault
Ce texte ne vise pas à influencer le public à voir la pièce Lignedebus, puisque celle-ci a déjà terminé sa vie scénique. Par contre, il se veut un commentaire sur celle-ci, sur les thèmes qu’elle soulève, sur le débat qu’elle a engendré, et finalement sur l’encadrement du Théâtre des Écuries.
Commençons par dire que, suite à une heureuse initiative du Théâtre des Écuries, combinée à l’impulsion de l’IRIS (Institut de Recherche et d’Informations Socio-économiques) et de la revue Liberté, cette année a vu la création d’un cycle de débats intitulé Paroles en Liberté. Le débat associé à cette pièce s’intitulait Terrorisme et médias de masse, avec emphase sur l’Islam. Deux des cinq panelistes étaient d’ailleurs de cette confession (probablement pour mettre le doigt sur l’évidence que seuls les musulmans sont des terroristes, une évidence pour tous ceux qui se ferment l’esprit et se laissent berner par le rabâchage des radios-poubelles et leurs rengaines racistes).
L’histoire : Sandy, Rachel, Jimmy, Daniela et Henri se trouvent dans un autobus de ville quand une explosion entraîne la mort de tous les passagers. Les premières images qui sortent ensuite dans les médias et les réseaux sociaux sont celles provenant d’une caméra de surveillance et d’un téléphone intelligent. On y voit Jimmy, un jeune étudiant arabe, et Daniela, sa copine, entrer dans l’autobus avec un air suspect et un sac à dos. On conclut à un acte terroriste perpétré par Jimmy. Mais était-ce vraiment le cas?
La pièce Lignedebus fut écrite et mise en scène par Marilyn Perreault. Ce double rôle est, selon moi, à la base un problème car la vision d’une personne extérieure à la création est souvent source de renouvellement et d’approfondissement scénographique. Qu’une dramaturge signe sa propre mise en scène est souvent coupe-gorge parce que l’absence de distance critique donne un substrat sans filtre qui laisse passer les impuretés et les illogismes, comme dans le cas de l’importance accordée au fait d’avoir des personnages de confession musulmane.
Ces détails sont au plus accessoires, n’apportant absolument rien à la trame narrative. Il pourrait bien s’agir d’animistes ou de bouddhistes que le fond de l’histoire ne changerait pas. Pour ce qui est de l’acte terroriste commis (et ici, le terme terroriste parait plutôt fort, même trop accentué, car on aurait surtout dû parler d’un acte de vengeance, de folie d’un amant éconduit), associer pareil acte au fait fortuit que l’un des amoureux soit de confession musulmane en dit beaucoup sur la superficialité des médias, y compris au théâtre. Et que dire de la prestance de l’auteure et metteure en scène elle-même qui y est allée de ses lapalissades toutes plus mièvres les unes que les autres, n’apportant rien de bien inspirant, certainement pas une perspective profonde due au génie de l’auteure.
Quant au débat qui a suivi la pièce, il va dans le sens de cette surenchère. Que le public venu écouter le débat occupe toutes les places de la salle de conférence, au détriment des spectateurs de la pièce, laisse penser que le Théâtre des Écuries a quelques améliorations à apporter à de tels événements conjoints, notamment en organisant à l’avenir des événements où le visionnement de la pièce qui introduit le sujet du débat soit un prérequis essentiel afin de bien orienter la discussion et éviter les généralités qui nous éloignent du débat soulevé par la pièce, aussi défaillante soit-elle.
Le Théâtre des Écuries est une jeune institution qui n’a pas encore développé un corpus de pièces, ni ses propres classiques, ni une identité propre ou une ‘ligne théâtrale’. Il en est encore au stade des expérimentations et ce récent effort est louable. Par contre, il devra vite compenser pour ses aberrations, sinon, tel un feu de paille, l’enthousiasme soulevé par de tels événements s’éteindra aussi vite qu’il s’est allumé.
Images : Andrée Lanthier et Eugéne Holtz
Luc Archambault
Écrivain et journaliste, globe-trotter invétéré, passionné de cinéma, de musique, de littérature et de danse contemporaine, il revient s’installer dans la métropole pour y poursuivre sa quête de sens au niveau artistique.
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