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L’obscurité et la lumière : Montréal, l’environnement, et Valérie Plante

Les zones humides du Technoparc, un test crucial pour la mairesse de Montréal

Par Patrick Barnard

10 février 2020

I – Le fléau de l’étalement urbain

L’environnement de Montréal est exceptionnel – une grande île entourée d’eau, avec le fleuve Saint-Laurent qui coule sur sa rive sud, et un climat humide qui peut être glacial en hiver et semi-tropical en été. Des cours d’eau souterrains sillonnent dans toute la région, dont plusieurs étaient auparavant en surface mais qui sont maintenant cachés à la vue.

L’eau est vraiment la clé du caractère unique de cette ville insulaire, les cours d’eau qui coulent constamment autour d’elle et en dessous d’elle. Avec son climat relativement chaud et humide, Montréal, située au sud-ouest de la province, est au centre de la région la plus bio-diversifiée du Québec, connue sous le nom de « domaine bioclimatique de l’érablière à caryer cordiforme ». Deux tiers des espèces vulnérables de la province y vivent, mais seulement 4,5 % d’entre elles sont protégées.

Lorsque les visiteurs arrivent en avion, ils voient de magnifiques cours d’eau en contrebas, mais aussi les vastes banlieues de l’île et les maisons individuelles, les unes près des autres, souvent avec une piscine dans la cour. Ces repères de la « belle vie de banlieue » recèlent une triste réalité peu connue : Montréal est la championne de l’étalement urbain parmi les villes canadiennes. Cet endroit est à la fois un trésor écologique et un exemple du pire type de destruction de l’environnement. Chaque maison individuelle, chaque pelouse, chaque cour contribue à une « absorption de terrain » particulièrement élevée qui dévore le peu d’espaces naturels restant.

Green Heron - WestmountMag.ca

Les zones humides du Technoparc abritent le héron vert – Image courtoisie de l’église unie Westmount Park

Plus de 85% de nos zones humides urbaines ont été détruites par l’étalement urbain ininterrompu et, en ce moment même, nous sommes sur le point de perdre notre dernière grande zone humide dans ce qui est connu comme le secteur du Technoparc de l’arrondissement de Ville Saint-Laurent, juste au nord de l’aéroport de Dorval. Un extraordinaire ornithologue, Joël Coutu, a sensibilisé des milliers de personnes à ces marais et aux oiseaux qui en font le premier lieu d’observation de l’île. (Voir la vidéo avec Joel Coutu, Pimento Report #123, The Last Great Wetlands) Plus de 150 espèces d’oiseaux fréquentent ces marais, dont certaines espèces rares et menacées.

La menace qui pèse sur ces marais maintenant menacés est symbolique de tout ce qui ne va pas dans les politiques environnementales de Montréal.

En 2019, l’organisation Park People a publié un rapport qui montre que Montréal se classe en dessous de presque toutes les villes canadiennes pour ce qui est du nombre d’hectares de parcs par 1 000 habitants, avec 2,4 hectares. Et la ville fait aussi piètre figure concernant le pourcentage de parcs qui sont des espaces naturels (voir The Canadian City Parks Report, Park People – Amis des parcs, W. Garfield Weston Foundation, 2019).

Des recherches détaillées révèlent l’ampleur et l’intensité du problème. Un groupe d’universitaires de l’Université Concordia de Montréal et de Zurich, en Suisse, a publié une étude définitive sur le modèle de croissance de Montréal, « Accelerated urban sprawl in Montreal, Quebec City and Zurich » (Naghmeh Nazarnia, Christian Schwick, Jochen A. G. Jaeger, ScienceDirect, Elsevier, Ecological Indicators, Vol. 60, 2016).

‘… en ce moment même, nous sommes sur le point de perdre notre dernière grande zone humide dans ce qui est connu comme le secteur du Technoparc de l’arrondissement de Ville Saint-Laurent…’

Dans cette étude, ils ont constaté que l’étalement urbain « a augmenté de façon exponentielle à Montréal depuis 1951 et, entre 1971 et 2011, le degré de cet étalement a été multiplié par 26 » – en d’autres termes, l’occupation de l’espace par un petit nombre d’individus a augmenté de façon exponentielle. Le groupe Concordia souligne également l’article de ses collègues montréalais Jérôme Dupras et Mahbubul Alam, « Urban sprawl and ecosystem services » (Journal of Environmental Policy and Planning, [17, 2] juin 2014), qui souligne un autre point important concernant Montréal : « cette augmentation des zones bâties a réduit la quantité de terres cultivées et de forêts, et a eu des impacts négatifs sur les services écosystémiques ».

Une telle occupation humaine entraîne une perte radicale de l’habitat, et le groupe Concordia expose les effets négatifs d’un tel étalement urbain : « L’imperméabilisation des sols, la rareté croissante des terres pour les énergies renouvelables et la production alimentaire, l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre et de la pollution de l’eau, la perte d’habitats et de précieux services écosystémiques, la diminution de l’efficacité des infrastructures et des transports publics, la longueur des trajets domicile-travail et la réduction de l’engagement civique dans la société ».

Des militants, tels que les membres de la Coalition verte non partisane, ont eu des rapports étroits avec des bureaucrates du Grand Montréal, provenant des municipalités indépendantes, des arrondissements et du centre-ville, au cœur même de la ville. Ces fonctionnaires urbains sont dévoués mais presque tous, à quelques exceptions près, n’ont aucun sens de l’environnement et ne possèdent pas la formation scientifique nécessaire pour porter de bons jugements en matière d’environnement. Ils sont résolument en faveur du développement à tout prix, et ce préjugé sous-jacent est renforcé par le fait que les recettes fiscales sont basées sur l’évaluation foncière municipale.

Le XXIe siècle n’a pas été bon pour l’environnement de Montréal – jusqu’à récemment, et même maintenant, notre histoire nous hante.

Road to nowhere Technoparc Wetlands - WestmountMag.ca

La « route vers nulle part » dans les zones humides du Technoparc – Image : Patrick Barnard

Gérald Tremblay, un homme affable, a été le maire de Montréal pendant dix ans, de 2002 à 2012, jusqu’à sa démission en raison des révélations de corruption massive dans sa ville. Durant son mandat, il a parlé en termes élogieux du leadership environnemental de Montréal, mais ses accomplissements réels n’étaient pas à la hauteur de son discours. Durant son mandat, il a prétendu avoir dépensé 200 millions de dollars pour conserver et acquérir des espaces naturels, mais seul un quart de cette somme a réellement été déboursée. Au lieu d’effectivement acquérir de nouveaux espaces naturels, le régime Tremblay n’a fait que redésigner des zones protégées déjà existantes. Une combinaison de tours de passe-passe et d’acquisitions a permis de faire passer le pourcentage nominal global d’espaces naturels de 3,2 % à 5,2 %, mais bien en deçà des prétensions publiques de l’administration Tremblay.

En matière de corruption, le maire Tremblay s’est assuré de toujours pouvoir fermer les yeux pendant que les sombres machinations de la ville se poursuivaient sans relâche.

‘En 2015, le Comité exécutif de la Ville de Montréal, sous la pression de la Coalition verte, a adopté, pour l’ensemble de l’agglomération urbaine, un nouvel objectif de 10 % de terrains constitués d’espaces naturels, contre 5 % à l’époque.’

Tremblay a démissionné suite à l’énorme scandale qui a mené à la Commission Charbonneau sur l’attribution des contrats municipaux. Sa réputation en lambeaux, il a été suivi par un maire, Michael Applebaum, qui a effectivement été emprisonné pour fraude et abus de confiance. Ce hiatus embarrassant a mené au mandat de Denis Coderre (2013-2017), un fonctionnaire qui fut vraiment horrible en matière d’environnement.

En 2015, le Comité exécutif de la Ville de Montréal, sous la pression de la Coalition verte, a adopté, pour l’ensemble de l’agglomération urbaine, un nouvel objectif de 10 % de terrains constitués d’espaces naturels, contre 5 % à l’époque. Chaque point de pourcentage correspond à 500 hectares ; le nouvel objectif était une amélioration, mais restait bien en deçà de l’objectif national de 17% de protection.

Alors que Gérald Tremblay avait au moins proclamé des objectifs et réalisé quelques progrès modestes, Coderre a été une catastrophe, n’ajoutant que 15 hectares d’espaces naturels par an pour un total de 61 hectares sur quatre ans. Cette piteuse performance explique qu’il manquait à Montréal, en 2017, plus de 2 000 hectares pour atteindre son propre objectif autoproclamé.

L’étalement urbain a fait et continue de faire son sale boulot.

II – Valérie Plante, porteuse de lumière

Alors que la ville poursuivait son destin, comme si rien ne pouvait jamais changer, une grande surprise se préparait.

En novembre 2017, Denis Coderre a subit une défaite écrasante, entraînant avec lui ses principaux alliés – Russell Copeman, Richard Bergeron et Réal Ménard – tous membres de l’équipe Denis Coderre. Pendant son mandat, les écologistes avaient mené une lutte acharnée au conseil municipal contre la léthargie anti-environnementale de son parti. L’un des principaux groupes de la société civile défendant la nature à cette époque était Sauvons L’Anse-à-L’Orme, dirigé par une femme du nom de Sue Stacho, de la banlieue ouest de Pierrefonds. Le plaidoyer de son groupe était consacré à la sauvegarde des précieuses prairies humides de Pierrefonds, à l’extrémité ouest de l’île de Montréal (voir la vidéo Pimento Report # 92 Sauvons L’Anse-à-L’Orme)

Dans cette zone précise, le célèbre promoteur de l’ouest de l’île, Mario Grilli, et sa famille voulaient créer un projet de 5 500 unités sur des terrains leur appartenant et sur des terrains appartenant à un autre groupe de propriétaires plus petits. L’année 2017 a été cruciale car au printemps, Pierrefonds a été frappé par une inondation massive qui a montré se façon évidente les caractéristiques de l’environnement fluvial et la valeur écologique des prairies humides spongieuses sur lesquelles le projet massif devait être construit. En mai, à la suite de ces inondations, l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) a tenu des audiences sur l’avenir de l’ouest de Pierrefonds. Plus de 400 mémoires ont été déposés, peut-être le plus grand nombre jamais déposé pour une telle consultation, dont 87% étaient en faveur de la conservation et contre tout développement sur les prairies humides.

Dans ce contexte, et sous l’impulsion des citoyens, Valérie Plante et son parti Projet Montréal se sont engagés dans leur programme électoral à créer un « grand parc urbain » dans l’ouest de l’île. Cette initiative était la première du genre à Montréal depuis plus d’un siècle. Et, en novembre 2017, Valérie Plante a été élue, apportant avec elle cette promesse à la mairie.

‘… l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) a tenu des audiences sur l’avenir de l’ouest de Pierrefonds. Plus de 400 mémoires ont été déposés… dont 87% étaient en faveur de la conservation et contre tout développement sur les prairies humides.’

Je me souviens très bien d’être allé à l’hôtel de ville de Montréal par un sombre soir de novembre pour poser des questions lors d’une réunion du conseil d’agglomération immédiatement après l’élection. je suis arrivé tôt et il n’y avait pas beaucoup de monde dans la grande salle. Valérie Plante était vive et souriante, mais semblait un peu seule dans la grande salle. À la période des questions, je l’ai interrogée sur sa promesse de campagne pour un parc afin de conserver les 175 hectares de prairies humides et elle a dit que son parti voulait vraiment « un grand parc urbain dans l’ouest ». Puis elle a ajouté : « Et pourquoi pas aussi dans l’est de Montréal ? »

Une année s’est écoulée et, une fois de plus, la nature a parlé haut et fort.

Au printemps 2019, l’ouest de l’île de Montréal a été frappé par une autre énorme inondation. La mairesse Plante a pris la décision sans précédent de convoquer une réunion du conseil municipal de Montréal dans l’auditorium de l’école de Pierrefonds, en plein milieu de la zone inondée. Sue Stacho et d’autres membres de la Coalition verte se sont adressés directement aux conseillers, demandant une fois de plus que les prairies humides soient conservées.

Le 8 août 2019, la mairesse Plante a tenu une conférence de presse surprise au bord d’une belle petite baie du Cap-Saint-Jacques et a annoncé la préservation de 3 000 hectares d’espaces naturels dans l’ouest de l’île de Montréal et la création du nouveau grand parc urbain tel que promis. Elle a spécifiquement mentionné la protection des 175 hectares de prairies humides précédemment convoités par les promoteurs immobiliers et a fait une déclaration sans équivoque de son objectif :

Avec une superficie de plus de 3 000 hectares, le Grand parc de l’ouest deviendra le plus grand parc municipal du Canada. Il s’agit d’un moment historique qui marque un tournant majeur en termes de protection des zones humides et de valorisation des espaces naturels. Cette initiative s’inscrit dans notre volonté de protéger 10 % du territoire de Montréal.

Les écologistes étaient enchantés, à juste titre.

Certes, les 3 000 hectares comprenaient 1 000 hectares situés sur l’île Bizard qui feront partie d’un programme provincial appelé « le paysage humanisé » – un projet que le gouvernement du Québec a laissé traîner en longueur depuis quatre ans. Et 1 600 autres hectares étaient constitués d’espaces verts déjà existants qui doivent être reliés entre eux dans un réseau. Mais il restait encore 400 hectares où la ville de Montréal mettait le pied à terre et disait non au développement, non à l’étalement urbain. Cette étape était entièrement inédite dans le Montréal de l’après-guerre et contrastait radicalement avec les années Tremblay et Coderre.

‘Le 8 août 2019, la mairesse Plante a tenu une conférence de presse surprise au bord d’une belle petite baie du Cap-Saint-Jacques et a annoncé la préservation de 3 000 hectares d’espaces naturels dans l’ouest de l’île de Montréal et la création du nouveau grand parc urbain tel que promis.

Après l’annonce du mois d’août, Valérie Plante s’est rendue aux Nations Unies à New York et a parlé du Grand parc de l’ouest devant un public international. Elle a utilisé le podium de l’ONU pour présenter un nouveau modèle pour sa ville et pour rejeter très publiquement le type de développement qui a causé tant de tort à Montréal.

« La ville de Montréal », a-t-elle déclaré, « ne poursuivra pas un projet immobilier qui date d’un siècle précédent et qui aurait ajouté 10 000 voitures sur nos routes » (Discours de la mairesse au Sommet des Nations unies sur le Climat – Panel « Plans for a Carbon Neutral World », lundi 23 septembre 2019, Nations unies, New York).

Valérie Plante a ainsi fait des déclarations justifiées pour elle-même et son administration, disant qu’elles établissaient « un nouveau paradigme » et le 12 décembre 2019, de retour dans sa propre ville, elle a montré qu’elle tenait sa parole. Elle a annoncé à l’hôtel de ville que son administration avait acheté à Mario Grilli et sa famille 140 hectares situés au cœur des marais de Pierrefonds. Valérie Plante a alors déclaré, en toute franchise : « En cinq mois, mon administration a acquis plus d’espaces naturels que la ville ne l’a fait au cours des 15 dernières années ». (Voir Le Devoir, 13 décembre 2017)

Mais la force et l’inertie des vieilles politiques néfastes de développement à Montréal sont très fortes. Elles pèsent sur nous tous, tant les citoyens que les politiciens. Les bureaucrates et les politiciens rusés sont habitués aux pratiques malveillantes qui entachent nos vies, et les mauvaises habitudes sont intériorisées. L’éco-blanchiment et l’hypocrisie pure et simple s’accrochent à nous comme une maladie dont nous ne pouvons pas nous débarrasser.

Valérie Plante a apporté la lumière à cette morosité… mais les vieux réflexes ne sont jamais très loin.

III – Le retour de l’obscurité

‘Nous devons veiller à ce que même le plus petit des marais ne soit pas perdu.’

Prof. Rodger Titman (Sciences des ressources naturelles) témoignant le 7 février 2020 au procès de la Coalition Verte versus le Technoparc de Montréal, la Ville de Montréal et le Ministre du Développement Durable, de l’Environnement et de la Lutte Contre les Changements Climatiques

Février 2020 a été un moment profondément ironique pour le mouvement environnemental de Montréal.

La Coalition verte, qui a tant admiré les actions de Valérie Plante, se retrouve aujourd’hui devant les tribunaux en tant que partie plaignante dans un procès contre la Ville de Montréal. Au centre du conflit juridique se trouve la lutte pour la protection des derniers grands milieux humides de la ville dans le secteur du Technoparc de l’arrondissement de Ville Saint-Laurent.

Comment la mairesse Plante, source de tant d’espoir pour l’environnement, a-t-elle pu laisser cette destruction se produire ? Et pourquoi n’est-elle pas intervenue ?

L’énigme est liée à l’histoire passée du lieu et de ses acteurs. Le Technoparc est un parc industriel situé dans l’arrondissement de Ville Saint-Laurent. Il se trouve juste au nord de l’aéroport Pierre Elliott Trudeau. Il y a une large rue qui s’étend du nord au sud et qui s’appelle le boulevard Alfred Nobel – oui, Nobel, l’homme du prix et l’inventeur de la dynamite. On y accède en sortant d’une autoroute, puis on voit de grands immeubles ordinaires et institutionnels – des immeubles de bureaux qui semblent être situés au milieu d’un terrain vague, comme dans une scène d’un film néo-réaliste italien. Il y a des voitures ici et là mais on aperçoit peu de gens. Certains des noms figurant sur les bâtiments sont ceux d’entreprises célèbres du Québec Inc., comme Bombardier. D’autres sont de grandes entreprises de Montréal comme l’entrepreneur en construction connu simplement sous le nom de Broccolini.

Au pied d’Alfred Nobel se trouvent des zones humides qui font partie d’un écosystème étendu. Aujourd’hui, les deux tiers de ces marais situés directement au sud ont été asséchés et une nouvelle route en béton pointe vers le sud, sans rien autour, avec pour seul repère des lampadaires sans lumière – pour l’instant, une route qui ne mène nulle part.

Eco-Campus Hubert Reeves - WestmountMag.ca

Panneau d’affichage annonçant le projet Éco-Campus – Image : Patrick Barnard

La société de portefeuille gérant ce secteur – connue sous le nom de Technoparc Inc. – a été dissoute en décembre dernier en raison d’irrégularités commerciales et la ville de Montréal a repris son actif et son passif. Depuis des années, un prétendu « Éco-Campus Hubert Reeves » (du nom de l’astrophysicien Reeves qui, tout comme Nobel, est célèbre en Europe, mais aussi au Québec) serait construit exactement là où les marais ont été asséchés. Autre ironie : un centre de recherche, nommé d’après un célèbre écologiste québécois, constitué de 5 ou 6 bâtiments qui seront construits sur les marais asséchés afin d’être proche de la nature même que leur présence aura détruite.

Il n’y a qu’un seul problème : l’Éco-campus Hubert Reeves est un mythe. Il n’existe pas vraiment, du moins pas encore.

Son promoteur est, ou était, Technoparc Inc. et cette entité n’existe plus. Aucun promoteur ne s’est présenté pour dire qu’il allait construire le complexe. On dit que de puissants intérêts financiers attendent dans les coulisses, prêts à passer à l’action, mais ils restent invisibles.

La principale figure politique de cette histoire est le maire de Saint-Laurent, M. Alan DeSousa, un important résidu de l’ancienne administration Tremblay.

Pendant cette administration, M. DeSousa a travaillé frénétiquement au conseil municipal de Montréal, ainsi que dans son propre arrondissement, pour répondre aux questions de M. Tremblay. Petit homme grégaire, on le voyait toujours au Conseil, célèbre pour ses mouvements et ses mots, tandis qu’il utilisait un langage sinueux pour jouter et parer pour son patron.

DeSousa se voit comme un maire vert ; avant son entrée en politique municipale, il était même trésorier de la Coalition verte, la même organisation qui se bat maintenant devant les tribunaux contre l’un des projets favoris de l’arrondissement qu’il dirige.

Après la disgrâce de Gérald Tremblay, DeSousa a perdu son siège au comité exécutif de Montréal et s’est concentré sur l’arrondissement de Ville Saint-Laurent dont il est toujours le maire. Il est un Libéral de longue date et possède un énorme réseau de relations dans son quartier de Montréal, y compris bien sûr la Corporation Broccolini qui a construit deux immeubles sur Alfred Nobel. M. DeSousa a également soutenu avec enthousiasme le nouveau Réseau express métropolitain, le fameux REM, même s’il s’est récemment montré critique à l’égard de la planification de cette infrastructure. Ce réseau de transport en commun promu par la Caisse de dépôt du Québec est probablement le projet de travaux d’immobilisations le plus imprudent depuis le stade olympique.

‘… un centre de recherche, nommé d’après un célèbre écologiste québécois, constitué de 5 ou 6 bâtiments qui seront construits sur les marais asséchés afin d’être proche de la nature même que leur présence aura détruite..’

Le REM a été conçu avec l’idée d’une liaison ferroviaire entre l’aéroport et le centre-ville, mais sa trajectoire réelle s’inscrit maintenant dans une énorme boucle qui descend jusqu’à une station prévue au Technoparc. De là, les ingénieurs proposent de construire un tunnel sous les marais et sous les pistes de l’aéroport pour le faire émerger au niveau des terminaux passagers. Pour parodier “Alice au pays des merveilles”, il ne manque plus que le lapin blanc pour descendre dans le trou près de la piste et Alice qui murmure « de plus en plus curieux ».

Au nom du REM, tout un boisé de frênes – lieux de nidification des hérons verts et de 30 autres espèces – a été rasé en septembre 2018. N’oublions pas non plus que la branche immobilière de la Caisse est l’un des plus grands propriétaires de biens immobiliers de tout le Canada.

Donc, il n’y a pas vraiment d’Éco-Campus Hubert Reeves, mais il y a beaucoup de voracité centrée sur cet endroit, et les marais asséchés et la route qui ne mène nulle part sont les symboles de tout le gain anticipé par certains à l’endroit où les oiseaux avaient autrefois leurs nids.

La cause Coalition Verte contre Technoparc Montréal et Ville de Montréal est une affaire juridique de la plus haute importance pour le mouvement environnemental de Montréal. Elle se déroule en ce moment même, et les principaux arguments juridiques ont été entendus du lundi 3 février au vendredi 7 février. Le juge qui préside l’audience est l’Honorable Sylvain Lussier, de la Cour supérieure du Québec, un homme qui a une grande expérience du droit constitutionnel et du droit de l’environnement. Au cours des audiences, les avocats de la ville de Montréal et du ministère de l’environnement du Québec ont tenté d’empêcher les témoignages d’experts. Le juge Lussier a rejeté ces objections parce qu’il voulait clairement connaître tous les faits de l’affaire.

Deux groupes résolus ont entrepris ce litige : Technoparcoiseaux.org – le groupe dynamique d’ornithologues dirigé par Joël – et la Coalition verte. Les frais de justice ont été pris en charge par le Legacy Fund for the Environment, une nouvelle fondation de Montréal qui a pour but d’aider les environnementalistes à lutter légalement pour l’environnement.

La semaine entière de témoignages a révélé énormément de choses sur le « système » local et mondial qui nous a conduit à l’impasse environnementale dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Les spectateurs ont pu voir comment le jeu du Technoparc a réellement fonctionné au cours de la dernière décennie. À partir de 2013, le « promoteur » – Technoparc Inc – a demandé ce que l’on appelle un Certificat d’autorisation (CA). Comme il est normal, un CA a été demandé à chaque fois qu’une intervention dans la zone du marais a eu lieu. Une partie du processus implique une évaluation environnementale du ministère de l’environnement.

culvert draining the Technoparc Wetlands - WestmountMag.ca

Drainage des zones humides du Technoparc – Image : Patrick Barnard

Le premier jour des audiences, la biologiste consultante Kim Marineau a été appelée pour donner son avis sur les certificats délivrés au Technoparc. Les avocats du ministère et de la ville ont tenté de bloquer son témoignage. Le juge Lussier a rejeté leurs objections. Mme Marineau a parlé de l’immense valeur des écosystèmes, des services qu’ils fournissent – comme l’effet éponge d’un marais – et de l’importance des espèces indicatrices. Cependant, selon Marineau, les promoteurs regardent souvent un marais en se disant « Oh, c’est juste un trou dans le sol ».

La biologiste a poursuivi en expliquant que la période critique pour l’observation des oiseaux se situe entre le 1er juin et la fin septembre, et que les études au Technoparc ont été faites soit en dehors de cette période, soit après la destruction due à diverses interventions dans les marais. De plus, il faut être très attentif à l’observation pendant la période de nidification. La plupart des études soumises pour les CAs ont été réalisées au mauvais moment ou présentaient des défauts techniques. Elle a souligné que les promoteurs sont souvent pressés, de sorte qu’aucun soin approprié n’a pu être apporté dans ces conditions pour faire le travail comme il se doit. En outre, la « restauration future » promise par le promoteur ne compensera jamais la perte de la zone humide d’origine. En bref, les évaluations environnementales, selon les termes de Marineau, étaient « inadéquates ».

En l’écoutant dans la salle d’audience, j’ai été frappé de constater que ce laxisme organisé est précisément la raison pour laquelle le Canada a perdu 90% de ses zones humides urbaines au cours des 30 dernières années.

Pourquoi cela se produit-il ? Et à quel point est-ce courant ? À la fin de la semaine, une bureaucrate du ministère québécois, étonnamment jeune, a vraiment démontré comment fonctionne la machine administrative. Lors du contre-interrogatoire, elle a déclaré que même si elle avait traité manuellement une multitude de demandes de CA, elle n’en avait jamais refusé une seule. Il s’avère que la pratique courante du ministère est de ne jamais refuser une demande de CA. Un environnementaliste qui était dans la salle ce jour-là m’a fait part de ses commentaires : « Le ministère de l’environnement est une imprimerie qui distribue des certificats. » Cette hyperbole n’est malheureusement pas une exagération.

‘La semaine entière de témoignages a révélé beaucoup de choses sur le « système » local et mondial qui nous a conduit à l’impasse environnementale dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.’ 

Une autre bureaucrate de haut rang, cette fois au niveau municipal, a témoigné en début de semaine. Elle a respiré profondément en parlant de « l’énorme potentiel de développement » du site du Technoparc – sans parler des oiseaux, des marais ou des arbres.

A la fin de la semaine, le 7 février, Joël Coutu a été appelé à témoigner. Là encore, les avocats de la Ville et du Ministère ont cherché à bloquer son témoignage, comme ils l’avaient fait pour Mme Marineau. Le juge Lussier a rejeté ces objections parce qu’il voulait évidemment entendre parler d’environnement. À un moment donné, il a ironiquement fait référence au bruit de cancanement d’une sorte de héron, indiquant qu’il est un juge ayant une certaine familiarité avec l’observation des oiseaux, un fait plutôt inhabituel.

Le juge a permis à M. Coutu d’apporter dans son témoignage un relevé d’observation des oiseaux sur trois saisons complètes, afin de montrer la différence de populations d’oiseaux entre les périodes avant et après la construction d’une digue dans le cadre de l’assèchement des marais et de la dérivation des eaux. Dans tous les cas, la population d’oiseaux avait diminué.

Il est important de rappeler que tous ces travaux de l’arrondissement de Ville Saint-Laurent sont préparatoires, mais qu’aucune construction réelle n’a encore eu lieu.

Le professeur Rodger Titman, expert en oiseaux de renommée internationale, a témoigné une nouvelle fois à la fin de la semaine. Il a souligné l’importance cruciale de « la biodiversité dépendant des oiseaux ». À la suite de ce qui s’est passé dans la zone du Technoparc, a-t-il déclaré, « une partie importante de la zone humide a été perdue ». M. Titman a commenté son propre sentiment de responsabilité douloureuse dans le déclin dramatique des populations d’oiseaux en Amérique du Nord. « Nous devons nous assurer que même le plus petit marais ne soit pas perdu », a-t-il affirmé de sa voix calme mais ferme. J’ai senti que son sentiment de désespoir évident avait touché le juge.

Une fois de plus, les avocats de la ville et ceux du Québec ont essayé d’empêcher le professeur Titman d’exprimer ses sentiments – et cette fois-ci, ils ont eu un certain succès. Mais à ce moment, le juge s’est adressé à M. Titman lui-même à voix très basse, expliquant qu’en tant que juge, il devait travailler avec la « maîtrise du droit » actuelle, et que son travail n’était pas de légiférer mais de juger.

Dans le jargon juridique, le juge Lussier a fait valoir son argument « à l’épreuve des appels » en s’en tenant à la jurisprudence et à la délivrance des CA, mais il l’a fait en comprenant parfaitement, je crois, ce qui se passait réellement.

Quelle que soit la décision du juge Lussier, la Coalition verte contre la ville de Montréal restera présente dans les annales comme un tournant dans l’histoire de l’environnement à Montréal.

Au sein de la Coalition verte il y a une femme, Mme Sylvia Oljemark, qui se bat pour l’environnement à Montréal depuis plus de 40 ans. Elle a également écrit l’histoire la plus complète de ces espaces naturels.

‘Quelle que soit la décision du juge Lussier, la Coalition verte contre la ville de Montréal restera présente dans les annales comme un tournant dans l’histoire de l’environnement à Montréal.’

Sylvia connaît, aime et admire Valérie Plante. Avant cette dernière audition, Sylvia a sollicité une rencontre personnelle avec la mairesse Plante dans le cadre des efforts de la Coalition verte pour obtenir un règlement à l’amiable par la restauration des marais asséchés – simplement cela et rien de plus. Mme Plante n’a pas rencontré Mme Oljemark, mais les avocats des deux parties se sont rencontrés en présence de Sylvia Oljemark et d’autres personnes.

Les avocats de la ville de Montréal ont agi comme ils le feraient plus tard dans la salle d’audience. Ils ont refusé catégoriquement et énergiquement tout règlement à l’amiable. Il n’était pas question de remettre de l’eau dans les marais, comme le demandait le professeur Titman, qui plus tard a dit que c’était ce qui devait et devrait être fait.

Pourquoi Valérie Plante, la mairesse de l’environnement, n’est-elle pas intervenue dans ce dossier et n’a-t-elle pas rencontré Sylvia Oljemark pour discuter de cette question ?

Il semble que Mme Plante et Projet Montréal aient peur des gros bonnets du milieu immobilier montréalais. Et Projet Montréal a des raisons d’avoir peur car les loups sont déjà en train de s’acharner sur les talons de Plante. Sa victoire en 2017 a été une profonde humiliation pour un certain nombre de personnes qui ont l’habitude de diriger Montréal et ses environs. Ils aimeraient bien la voir partir. Mais en même temps, la très belle personne qu’est Valérie Plante s’est gravement compromise dans l’affaire du Technoparc, d’autant plus que « Technoparc », cette étrange bête, est maintenant le Technoparc Montréal, une créature de la Ville.

J’ai demandé l’avis de Sylvia Oljemark et elle m’a dit qu’il y avait des forces qui contraignaient Valérie Plante : « La machine de la ville continue de broyer pour détruire ce seul grand et étonnant marais qui reste ». Et elle ajouta : « Je pense que c’est le système qui fait cela en coulisse ».

Cette remarque est exacte et a été confirmée par le tribunal. Tout le monde à Montréal devrait faire attention à ce qui se passe dans le litige du Technoparc.

Nous vivons à une époque de ténèbres et de lumière. Les Montréalais doivent comprendre à quel point cela est vrai pour ce qui est, après tout, notre « système », celui par lequel nous gagnons notre pain quotidien.

Si nous sommes effectivement dans la vallée de l’ombre de la mort, comme nous le dit Greta Thunberg, nous devons nous en sortir. Aucune autre force ne le fera pour nous.

En tant que citoyens, je pense que nous devrions apprécier Valérie Plante pour ce qu’elle est et ce qu’elle a fait. Mais nous devons aussi la critiquer lorsque l’obscurité se fait à nouveau sentir.

Avis : Les opinions exprimées dans cet article sont celles de son auteur et ne reflètent pas nécessairement les opinions de WestmountMag.ca ou de ses éditeurs.

Image d’entête : les zones humides du Technoparc, par Patrick Barnard

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Patrick Barnard est membre du conseil d’administration de la Coalition verte, un groupe environnemental non partisan à Montréal. Il est également rédacteur en chef du blog vidéo The Pimento report/Le Piment et journaliste indépendant. Il a travaillé par le passé pour CBC Radio, Radio Netherlands et Dawson College où il a enseigné la littérature anglaise. Il est également l’un des 20 environnementalistes et experts du transport qui ont signé une lettre ouverte à Montréal demandant la fin du REM.

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