Le début par la fin / 1
Nicolas Roeg, un des cinéastes les plus visionnaires, les plus intéressants et injustement méconnu
Par Francis Ouellet
19 octobre 2017
Lorsque nous fouillons dans nos souvenirs ou nos rêves, les événements que nous avons vécus défilent très souvent de façon fragmentaire et désordonnée dans notre esprit. Toutefois, le fil conducteur et la trame générale nous permettent de percevoir le récit dans son ensemble de manière instinctive. Cela se fait naturellement et nous nous y adaptons sans heurt.
Aussi, certains détails peuvent ne pas s’emboîter correctement ou même se contredire les uns les autres. Un souvenir est souvent menteur et tend à changer à mesure qu’il s’éloigne. De plus, notre réminiscence d’un événement pourrait être fort différente de celle d’une autre personne l’ayant vécue avec nous.
Tout est une question de perception et de point de vue. Ces différents aspects que sont le point de vue, l’éclatement de l’ordre chronologique, la non-linéarité d’un récit, sont les bases même de l’œuvre d’un des cinéastes les plus visionnaires, les plus intéressants et injustement méconnu de la génération des années 60-70, Nicolas Roeg.
Les différents aspects que sont le point de vue, l’éclatement de l’ordre chronologique, la non-linéarité d’un récit, sont les bases même de l’œuvre de ce cinéaste visionnaire.
Né à Londres en 1928, Nicolas Roeg s’est d’abord fait connaître dans les années 1960 comme directeur photo. Reconnu pour son sens des couleurs et de l’éclairage, il a travaillé entre autre pour David Lean (Lawrence of Arabia, 1962), François Truffaut (Fahrenheit 451, 1966) et Richard Lester (Petulia, 1968).
Le film de cette époque où il donna la plus grande mesure de son talent est probablement Mask of the Red Death, tourné par Roger Corman en 1964. Il est impossible d’oublier l’ambiance particulière que Roeg donna à ce film grâce à son subtil travail d’éclairage et, surtout, au soin minutieux qui fut donné à la tonalité, avec ses différents décors dont les couleurs et les teintes s’agencent aux émotions que vivent les personnages.
Du très grand art qui fut sans doute une source d’inspiration pour Peter Greenaway, 25 ans plus tard, lorsqu’il réalisa en 1989 The Cook, the Thief, His Wife & Her Lover, avec ses brusques changements de couleurs et de costumes lorsque les personnages passent d’une scène à une autre.
Mais il est évident qu’un créateur de ce talent ne pouvaient se contenter bien longtemps d’exercer son art pour les autres. L’auteur en lui souhaitait s’exprimer et le passage à la mise en scène se fit de manière toute naturelle. Cela débuta avec Performance, tourné en 1970. Conçu et écrit par Donald Cammel, le film est centré autour de son acteur principal, Mick Jagger, chanteur des Rolling Stones, dont c’était le premier rôle au cinéma.
Roeg co-réalisa le film avec Cammel, en plus d’assumer sa fonction de directeur photo. Ce film, très sombre et à la structure expérimentale, dérouta fort les producteurs de la Warner qui s’attendait à une comédie du type Hard Day’s Night des Beatles, tourné en 1964. Le film prit quelques temps à sortir sur les écrans et plusieurs scènes furent coupées. Les critiques ne furent pas très tendres envers le film à l’époque.
Peut-être trop en avance sur son temps, Performance jouit aujourd’hui d’une très belle réputation et est considéré comme un classique du cinéma britannique de l’époque. C’était un bon début pour Roeg mais le meilleur était à venir avec les quatre films qu’il réalisa seul par la suite et qui constituent une sorte de tétralogie de la tristesse, du regret et des vies gâchées.
Tourné en 1971, Walkabout raconte l’histoire d’une errance, d’une coupure d’avec la réalité du monde moderne, d’une initiation et, d’une certaine façon, de la fin d’un rêve. Une jeune fille et son frère cadet se retrouvent abandonnés par leur père au milieu du désert Australien. Sans ressource, les deux enfants vont errer jusqu’à ce qu’ils rencontrent un jeune aborigène qui acceptera de leur venir en aide.
Les trois jeunes vont donc vivre quelques jours ensemble, coupés du monde moderne et de la civilisation, revenant à l’essentiel, à la nature, comme dans un rêve. Le jeune aborigène tentera de séduire la jeune femme mais, devant l’incompréhension de celle-ci, il préférera se donner la mort. Des années plus tard, la jeune fille devenue une adulte et une épouse, se souviendra de ces moments comme d’un paradis perdu.
Nous sommes ici en présence pour la première fois de ce qui deviendra la marque du cinéma roegien. Cette irréalité ou les personnages vivent comme en marge du monde, dans un état proche du rêve. L’aspect onirique deviendra de plus en plus présent dans les œuvres à venir de Roeg, prenant souvent la forme de contes philosophiques.
Image Walkabout : drmvm1 via StockPholio.com
Image Nicolas Roeg : Petr Novák, Wikipedia
Image Performance poster via Wikipedia
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Francis Ouellet a toujours été un amoureux fou du cinéma, de l’animation et de la bande dessinée. Cette obsession de l’image, du mouvement, de l’ombre et de la lumière l’a conduit à faire carrière dans le domaine de la publicité et des communications graphiques. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à travailler, dans ses temps libres sur divers projets d’animation et de bande dessinée.
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