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Revue conjointe de Dune
deuxième partie

Un chef d’œuvre visuel, mais une narration sans poésie ni profondeur émotionnelle

Par Luc Archambault et Andrew Burlone

24 avril 2024

Bien qu’il puisse sembler un peu tard pour publier une analyse de Dune, deuxième partie, l’intervalle est destiné à permettre aux lecteurs de découvrir le film sans aucun dévoilement. Cette analyse, cependant, est remplie de détails sur l’intrigue du film et ses connexions avec l’univers plus large de Dune, et plonge profondément dans les subtilités du récit, ce qui peut diminuer l’impact des révélations du film pour ceux qui ne sont pas familiers avec le sujet de départ. Si vous n’avez pas encore vu le film et que vous souhaitez éviter de gâcher votre plaisir, nous vous recommandons d’arrêter votre lecture maintenant.

Un chef-d’œuvre visuel indéniable

Tout d’abord, voyons les points positifs. L’une des forces indéniables du film est sa présentation visuelle époustouflante. Les lieux du film, des vastes paysages désertiques aux réseaux de grottes complexes en passant par la grande ville d’Arrakeen, sont tous mis en scène avec un niveau de détail et de grandeur exceptionnel. Le réalisateur Denis Villeneuve a toujours fait preuve d’un flair pour le sublime dans sa narration visuelle. Il a réuni une équipe d’artistes et d’artisans de premier plan qui ont collectivement créé un univers cinématographique qui est un véritable personnage en soi.

Dune Part Two

L’idylle naissante entre Paul et Chani

La cinématographie et les effets visuels du film fonctionnent en parfaite harmonie pour plonger le public dans le monde riche et captivant de Dune. L’attention portée aux détails et la grandeur des lieux sont vraiment impressionnantes, transportant les spectateurs sur la planète d’Arrakis, à la fois âpre et magnifique. Cependant, si la maîtrise visuelle est indéniable, le même niveau de cohésion et de développement narratif n’a pas toujours été atteint. Bien qu’ambitieux dans sa portée, le scénario peine à maintenir le même niveau de polissage et de finesse que les éléments visuels du film.

Traitement des personnages féminins

Si la splendeur visuelle de Dune est indéniable, la façon dont le réalisateur traite certains personnages féminins, en particulier Chani, et la manière dont il s’écarte du récit établi dans les romans originaux de Frank Herbert soulèvent quelques questions. Lors d’interviews, Villeneuve a reconnu avoir fait des choix délibérés pour réinterpréter le personnage de Chani, la transformant d’une épouse traditionnelle et solidaire en une femme moderne et plus sceptique. Bien que cette approche puisse trouver un écho auprès de certains publics contemporains, elle peut être critiquée comme étant en contradiction avec le contexte culturel et sociétal spécifique de l’univers de Dune.

La cinématographie et les effets visuels du film fonctionnent en parfaite harmonie pour plonger le public dans le monde riche et captivant de Dune.

L’un des principaux problèmes est l’absence d’exploration de la lignée de Chani et de son importance dynastique au sein de la société Fremen. Dans les romans originaux, Chani est présentée comme la fille de Liet-Kynes et la nièce de Stilgar, deux figures centrales de la hiérarchie Fremen. Cependant, les antécédents et les liens familiaux de Chani sont largement passés sous silence, ce qui diminue la profondeur et l’importance du personnage dans le cadre plus large du récit de Dune. Certains ont également considéré que sa transformation d’épouse aimante et solidaire en une figure post-moderne s’éloignait du personnage original dans le matériau d’origine. Si ce choix créatif peut trouver un écho auprès d’un public moderne, il ne s’aligne pas totalement sur la dynamique culturelle et sociétale spécifique de l’univers de Dune tel qu’il a été imaginé par Frank Herbert.

Compression narrative

Outre les problèmes liés à la représentation des personnages féminins, la compression narrative et les sauts temporels sont importants dans Dune, deuxième partie. L’un des points clés de l’intrigue qui est notablement absent ou passé sous silence dans le film est la perte de la première grossesse de Chani lors d’un raid des Harkonnen sur son Sietch. Cet événement, un moment crucial dans les romans originaux de Dune, a permis d’approfondir les enjeux émotionnels et la détermination des Fremen contre leurs oppresseurs. Cependant, en raison de la compression temporelle mise en œuvre par le réalisateur et l’équipe créative, cet arc narratif important a été largement omis. Au lieu de cela, le film condense des années de développement des personnages et d’entraînement des Fremen en quelques mois, privant ainsi le public de la possibilité de s’immerger pleinement dans la progression graduelle de l’histoire.

Dune Part Two

Les Fremen, un peuple profondément religieux

Cette compression narrative s’éloigne considérablement du rythme et de la profondeur des romans originaux, ce qui non seulement nuit à la résonance émotionnelle de l’histoire, mais risque également d’aliéner les téléspectateurs qui connaissent bien les subtilités de l’univers de Dune. Ce choix créatif discutable soulève des inquiétudes quant à la perte potentielle de nuances et donne aux spectateurs qui ne connaissent pas l’univers de Dune l’impression d’être déconnectés de l’histoire. Si les décisions créatives sont souvent nécessaires, elles doivent être prises avec une compréhension et un respect profonds du matériau d’origine afin de garantir une expérience cinématographique cohérente et satisfaisante pour les passionnés de longue date comme pour les nouveaux venus.

Un autre sujet de préoccupation est l’adaptation et la représentation du personnage d’Alia, la sœur de Paul Atreides, et les implications potentielles pour l’avenir du récit de Dune. Dans les romans originaux de Dune, Alia a été introduite alors qu’elle n’était encore qu’une enfant, lors de l’ascension de Paul au trône impérial. Cette version plus jeune du personnage faisait partie intégrante de l’intrigue, car elle était destinée à jouer un rôle central dans la chute du Baron Harkonnen. Cependant, dans la version de Villeneuve, Alia n’est pas encore née. Cet écart important par rapport au document d’origine soulève des questions sur la manière dont le réalisateur et l’équipe créative prévoient de traiter le développement du personnage et son rôle crucial dans l’intrigue du Messie de Dune qui suivra.

Dune Part Two

Un ver chargeant les Sardaukar impériaux lors de la bataille d’Arraakeen

Le récit du Messie de Dune se déroule douze ans après les événements du premier roman, Alia étant devenue un personnage de seize ans qui s’est éveillé à sa sexualité et a noué une relation avec le ghola de Duncan Idaho, connu sous le nom de Hayt. La chronologie comprimée et la décision de ne pas donner naissance à Alia dans cette deuxième partie pourraient poser des problèmes importants pour adapter fidèlement l’intrigue du Messie de Dune. Villeneuve pourrait être contraint de modifier radicalement la chronologie, au risque de ne pas respecter le récit original, ou de choisir d’omettre le personnage d’Alia et son rôle essentiel dans la saga en cours.

Omission de personnages et de factions

Il y a aussi l’omission ou l’adaptation significative de plusieurs personnages et factions de l’univers de Dune. Une absence notable est celle du personnage de Thufir Hawat, qui jouait un rôle crucial dans les romans originaux. Hawat, le Mentat et Maître des Assassins Atréides, n’a fait qu’une brève apparition dans la première partie de Dune, laissant de nombreux spectateurs inquiets quant à son sort et à son rôle potentiel dans la suite du récit. De même, le personnage du comte Fenring, l’époux de Lady Margot, un membre clé du Bene Gesserit, a été entièrement omis dans l’adaptation cinématographique. La présence de Fenring et ses capacités uniques faisaient partie intégrante du réseau complexe de machinations politiques et religieuses qui définissent l’univers de Dune.

Célèbres et redoutés dans tout l’univers, les Sardaukar constituent la force militaire d’élite de l’empereur Padishah.

De plus, la représentation et l’importance de la Guilde de l’espace, la puissante organisation qui contrôle tous les voyages et le commerce interplanétaires, ont été considérablement réduites dans la deuxième partie de Dune. Dans les romans originaux, l’influence de la Guilde et la perturbation potentielle de la distribution d’épices étaient au cœur du déroulement de l’histoire. Cependant, cette faction cruciale semble avoir été largement mise de côté ou négligée dans ce film. De plus, l’adaptation des Bene Gesserit, l’influent ordre de femmes qui a été la force motrice de nombreux événements dans l’univers de Dune, est trop centrée sur leur recherche du Kwisatz Haderach, négligeant la portée plus large de leurs machinations politiques et religieuses.

Les choix du casting et de la caractérisation

Dune Part Two

Christopher Walken : l’empereur Shaddam Corrino IV

Outre les préoccupations narratives et thématiques soulevées ci-dessus, il y a quelque chose à dire sur les choix de casting et la caractérisation de certains rôles clés du film, en particulier la représentation du personnage de Shaddam IV, Empereur de l’Univers Connu. Dans les romans originaux de Dune, Shaddam était décrit comme un personnage fort, en pleine forme et imposant, exerçant un pouvoir et une influence considérables. Cependant, dans Dune, deuxième partie, Christopher Walken, qui incarne l’empereur, paraît frêle et fantomatique, ne parvenant pas à exprimer la présence et l’autorité qui sont au cœur du personnage.

Le casting et la performance des acteurs principaux, Timothée Chalamet dans le rôle de Paul Atreides et Zendaya dans celui de Chani, sont également discutables. Bien qu’ils soient tous deux des interprètes reconnus, on peut être déçu par leurs interprétations, estimant qu’ils donnent souvent l’impression de bouder et de ricaner plutôt que d’incarner la profondeur et la complexité de leurs personnages respectifs. Ces choix de casting et de caractérisation ne correspondent pas tout à fait aux représentations établies dans les romans de Dune, ce qui risque d’affaiblir le lien du public avec ces personnages centraux et leur parcours émotionnel.

L’héritage de l’univers étendu de Dune

Les inquiétudes suscitées par ce film vont au-delà de l’adaptation cinématographique elle-même et concernent l’héritage plus large de la franchise Dune, avec un profond sentiment de malaise concernant l’implication de Brian Herbert et Kevin J. Anderson en tant que producteurs exécutifs. Après la mort de Frank Herbert en 1986, son fils Brian a entrepris de publier d’autres suites et préquelles de la franchise. Ces vastes exploitations de l’univers de Dune ont suscité de vives critiques de la part des lecteurs des romans originaux de Frank Herbert. Les romans Les Chasseurs de Dune et Le Triomphe de Dune, écrits pour conclure la saga, ont été critiqués pour leur recours à une fin « Deus ex Machina » qui réintroduit les suzerains Erasmus et Omnius, ainsi que pour la fusion du personnage de Duncan Idaho avec le Kwisatz Haderach.

Dune Part Two

Austin Butler : Feyd-Rautha Harkonnen

Un équilibre délicat est nécessaire lors de l’adaptation d’œuvres littéraires bien-aimées, en particulier lorsqu’il s’agit d’une franchise développée par d’autres auteurs. L’implication de ces auteurs peut avoir un impact négatif sur la direction créative et l’intégrité narrative de l’histoire, érodant encore plus l’héritage de la vision originale de Frank Herbert. Les décisions prises concernant l’équipe créative et son influence sur l’adaptation peuvent avoir un impact significatif sur le produit final et son accueil par la communauté des admirateurs.

Style plutôt que substance

Au-delà des choix spécifiques en matière de narration et de personnages dans l’adaptation cinématographique, il existe un malaise plus profond quant à l’approche globale adoptée par les réalisateurs, qui privilégient le spectacle et le style visuel au détriment de la préservation de la substance et des nuances du matériau d’origine de Dune. Le « monstre hollywoodien » a une fois de plus triomphé, livrant un produit visuellement éblouissant et commercialement réussi qui prend le pas sur l’adaptation fidèle des thèmes complexes et stimulants définis dans les romans originaux de Dune. Ce sentiment est partagé par le célèbre cinéaste Alejandro Jodorowsky, qui aurait déclaré que Dune est un film sans surprise. La forme est identique à ce qui se fait partout. L’éclairage, le jeu des acteurs, tout est prévisible ».

Il existe une tension permanente entre les exigences de l’industrie cinématographique et la préservation de l’intégrité artistique d’œuvres littéraires bien-aimées. La pression exercée pour obtenir un produit commercialement viable peut souvent conduire à des décisions créatives qui privilégient le style au détriment de la substance. Si l’impressionnant spectacle visuel et les valeurs de production du film sont indéniables, cela s’est fait au détriment de la profondeur narrative, du développement des personnages et du sentiment général de surprise et de découverte qui ont rendu l’univers de Dune si captivant à l’origine.

‘Il existe une tension permanente entre les exigences de l’industrie cinématographique et la préservation de l’intégrité artistique d’œuvres littéraires bien-aimées.’

En conséquence, des doutes subsistent quant au succès de la future adaptation potentielle de Le Messie de Dune. La crainte est que le manque de respect du réalisateur envers le récit original continue à saper l’intégrité globale de l’univers cinématographique de Dune, laissant les fans de longue date désillusionnés et déconnectés du récit même qu’ils chérissaient autrefois. L’équilibre que doit trouver le réalisateur lorsqu’il adapte à l’écran cette œuvre littéraire complexe et bien-aimée, avec la capacité de capturer l’essence du matériau original et de livrer un produit visuellement époustouflant et commercialement réussi, reste un défi de taille.

Images : courtoisie de Warner Bros. Pictures
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Luc Archambault WestmountMag.ca

Luc Archambault, écrivain et journaliste, globe-trotter dans l’âme, passionné de cinéma, de musique, de littérature et de danse contemporaine, est revenu d’un long séjour en Chine à Montréal pour poursuivre sa quête incessante de sens artistique.


Andrew Burlone, co-publisher – WestmountMagazine.ca

Andrew Burlone, co-créateur de WestmountMag.ca, a débuté son parcours médiatique au magazine NOUS. Par la suite, il a lancé Visionnaires, où il a occupé le poste de directeur créatif. Passionné de cinéma et de photographie, Andrew porte aussi un vif intérêt pour les arts visuels et l’architecture.



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