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Un vilain printemps
pour Projet Montréal

Le parti rompt sa promesse de protéger l’écosystème de la zone humide du Technoparc

Par Patrick Barnard et Richard Swift

25 mai 2023

En avril 2023, Projet Montréal a rompu l’une des promesses fondamentales de sa campagne électorale, faite seulement deux ans auparavant, en détruisant sa propre promesse d’acheter des terrains privés pour protéger et améliorer un écosystème de zone humide inestimable au nord de l’aéroport de Montréal.

Au lieu de lutter contre la perte de biodiversité, Projet la facilite.

Imaginez la scène.

Au-delà des tarmacs de l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau s’étendent 215 hectares de forêts, de marécages, de prairies et de bois, connus sous le nom générique d’écosystème de zones humides du Technoparc – y compris des champs de papillons monarques uniques en leur genre.

Technoparc Oiseaux, un groupe local d’ornithologues qui compte 5 000 membres, a observé plus de 220 espèces d’oiseaux dans l’écosystème, ce qui en fait la principale zone d’observation à Montréal.

Mais le partage des droits de propriété est compliqué : la zone s’étend sur deux territoires, la ville de Dorval et l’arrondissement de Ville Saint-Laurent, et les droits de propriété sont répartis entre le gouvernement canadien, la ville de Montréal et un certain nombre de propriétaires privés.

La fragmentation est le grand ennemi de la biodiversité, comme l’a montré empiriquement le naturaliste américain E.O. Wilson il y a une génération. Cette dissolution typique est en cours au Technoparc.

Un gigantesque projet de train élevé y construit un Réseau express métropolitain (REM), creusant des tunnels comme des taupes folles sous les marais mêmes. Le REM est un signe avant-coureur de la destruction de l’environnement partout où il passe, et ici, il a coupé à blanc tout un boisé de frênes où des hérons avaient construit des nids. L’arrondissement de Ville Saint-Laurent a asséché des marais, et une route a été construite vers nulle part, pointant, dans sa désolation, vers le sud jusqu’à l’aéroport.

La fragmentation est le grand ennemi de la biodiversité, et cette dissolution typique est en cours au Technoparc.

La Coalition Verte et Technoparc Oiseaux ont dénoncé la destruction imminente de l’écosystème et une action en justice a été intentée contre la Ville de Montréal car on présumait que les certificats d’autorisation (CA) permettant cette spoliation avaient été délivrés à tort en 2013. On présumait aussi qu’une fausse distinction avait été faite par des experts exaltant une partie du marais connecté comme ayant un « intérêt écologique élevé » et dévalorisant une autre section exactement similaire en la décrivant comme ayant une « valeur écologique faible » (voir Barnard, Despair and Hope : A Story of Montreal’s Natural Space, dans Montréal : A Citizen’s Guide To City Politics, Black Rose Books, Montréal 2021, P. 56).

Mais il n’y avait aucune raison de considérer une section de l’écosystème du marais comme étant « sous-optimale », si ce n’est pour fournir une rationalisation du développement sur cette section.

Toute cette vilaine histoire s’est déroulée avant que Projet Montréal n’occupe la mairie de la ville de Montréal en tant que parti pro-environnemental.

En 2021, Projet Montréal était en possession de l’entier dossier concernant le Technoparc et a choisi très délibérément de faire de la défense vigoureuse du système de zones humides du Technoparc une promesse majeure de la campagne électorale municipale.

Un communiqué détaillé a été publié le 24 octobre 2021 : Élections municipales 2021 : Projet Montréal protégera les espaces naturels du Technoparc et triplera la superficie du parc naturel des Sources. Le projet de parc naturel serait « presque aussi grand que le parc du Mont-Royal » et on faisait la promesse la plus ferme de « travailler avec les propriétaires privés pour acheter les milieux naturels dans la zone de protection visée pour le parc naturel ».

Imaginez la stupeur de Technoparc Oiseaux lorsqu’en mai de cette année, on apprend qu’une entreprise industrielle de haute technologie, Hypertec, a acheté des droits fonciers dans le marais.

‘Projet Montréal n’a pas réussi à acheter ce terrain sensible, bien qu’il ait promis de le faire et qu’il ait eu deux années entières pour tenir sa promesse.’

Le 18 mai 2023, un article paru dans La Presse, a eu l’effet d’une bombe : Un batiment « durable » prévu dans les milieux naturels, de Jean-Thomas Léveillé. La photo accompagnant l’article montrait un énorme bâtiment désigné comme le nouveau siège social d’Hypertec qui se décrit comme « le plus important manufacturier de produits technologiques au Canada » .

Le paragraphe d’ouverture de l’article raconte l’histoire :

La construction projetée de nouveau siège social d’une entreprise sur les terrains du Technoparc Montréal, abritant des milieux naturels que l’administration Plante s’était engagée à protéger, suscite l’inquiétude d’un groupe de citoyens. Le projet entrainerait une « perte de biodiversité » et fragmenterait les espaces verts situés au nord de l’aéroport Montréal-Trudeau, déplore le groupe Technoparc Oiseaux qui s’inquiète notamment pour le « complexe de milieux humides » qui se trouve sur le site.

Katherine Collin, de Technoparc Oiseaux, a déclaré au journal que « Mettre un siège social et minéraliser un terrain déjà très fragile est inacceptable », et elle a ajouté que « ce qu’ils veulent faire va fragmenter un espace naturel ». Un autre dirigeant de Technoparc Oiseaux, M. Benoit Gravel, a déclaré : « C’est le pire endroit où construire ».

Projet Montréal n’a pas réussi à acheter ce terrain névralgique, bien qu’il ait promis de le faire et qu’il ait eu deux années entières pour tenir sa promesse. Toutes les parties intéressées savaient qu’un achat préventif par la ville était nécessaire à la réalisation du projet. Par la suite, lorsque Hypertec s’est manifestée, Montréal n’a rien fait pour s’assurer que l’entreprise construirait en dehors des zones humides, malgré des affirmations contraires.

En fait, l’« aile développement » de Projet Montréal avait encouragé le déménagement d’Hypertec dans le marais.

‘… ces zones humides et ces espaces naturels, s’ils sont laissés intacts, constituent un outil local inestimable pour la séquestration du carbone. ‘

Le communiqué préélectoral de 2021 promettait de protéger et d’agrandir les zones humides, tout en affirmant que « Projet Montréal profiterait de l’arrivée du REM pour concentrer le développement du Technoparc à l’extérieur des zones sensibles et protégées, afin de créer le plus grand pôle d’innovation au Canada [c’est nous qui soulignons] ». Le parti municipal s’est même engagé à « accompagner l’installation de centres de recherche », le tout au nom du « développement durable » et de la « transition écologique. »

Cela vous semble familier ? C’est normal. C’est le mantra sur lequel vit notre classe politique. L’environnement – nous sommes pour. L’emploi – absolument. Nous sommes favorables aux technologies modernes. Nous voulons encourager la haute technologie. Nous sommes ouverts à tous. Nous sommes pour la croissance, mais seulement dans un sens réfléchi. Nous sommes contre la pauvreté. Nous sommes en faveur de logements abordables pour tous. Nous sommes également favorables au marché libre et aux incitations pour les entreprises. Nous sommes contre la mauvaise conduite des entreprises et la corruption. Nous sommes en faveur de la réglementation, mais d’une main légère afin de ne pas décourager l’innovation du secteur privé.

Il existe une vieille expression Trinidadienne : « Si vous ne prenez pas position pour quelque chose, vous tomberez dans n’importe quel panneau. ». Il en va de même pour notre classe politique à tous les niveaux – municipal et fédéral. L’idée est de donner un peu à tout le monde afin de ne pas s’aliéner de larges secteurs de l’opinion électorale. Tout est question d’équilibre. Mais qu’on le veuille ou non, le temps de l’équilibre est dans le rétroviseur, car nous sommes confrontés à l’effondrement du climat et à la catastrophe écologique.

Nous sommes aujourd’hui confrontés à deux types de négationnisme climatique : le négationnisme pur et dur a perdu du terrain, mais l’idée colportée par tant de gens, y compris Projet et ses alliés du monde des affaires, d’une croissance verte compatible avec la durabilité écologique, a pris sa place. Mais le fait est que ces zones humides et ces espaces naturels, s’ils sont laissés intacts, constituent un outil local inestimable pour la séquestration du carbone. La santé de notre biodiversité est une question de survie des espèces (y compris la nôtre) et est incompatible avec cette prétendue croissance « verte ».

Cette nécessité d’un véritable engagement a été clairement exprimée lors du sommet sur la biodiversité qui s’est tenu à Montréal à l’automne 2022, lorsque Inger Andersen, directrice exécutive du Programme des Nations unies pour l’environnement, a conclu dans son discours de clôture :

Excellences, nous ne pouvons pas vivre sans la nature et la biodiversité. La nature est l’essence même de la vie. La technologie ne peut pas remplacer les arbres, le sol, l’eau et les espèces qui y vivent. Nous n’avons pas d’autre monde vers lequel fuir. Lorsque la toile de la vie s’effondre, nous tombons avec elle. Dans les jours à venir, vous avez une responsabilité unique à assumer : convenir d’un plan pour faire la paix avec la nature. Cette responsabilité n’est pas un choix entre quelque chose ou rien. C’est un choix entre tout ou rien.

Montréal ne tient pas ses promesses dans les zones humides du Technoparc. Ce qui arrive à ces espaces naturels inestimables est une tragédie.

‘[Valérie Plante] a réussi à se tailler une réputation de leader en matière d’environnement, mais cette réputation s’effritera à moins que son administration ne prenne des mesures énergiques pour installer l’usine Hypertec ailleurs.’

La mairesse de Montréal, Mme Valérie Plante, est une femme bienveillante, et elle sait très bien qu’un vilain printemps environnemental s’est abattu sur nous et sur elle. Elle a réussi à se tailler une réputation de leader en matière d’environnement, mais cette réputation s’effritera à moins que son administration ne prenne des mesures énergiques pour installer l’usine Hypertec ailleurs. À proximité, mais certainement pas dans les zones humides.

Le lundi 15 mai 2023, des écologistes se sont rendus au conseil municipal de Montréal pour obtenir des réponses de la part de la mairesse et de son administration. Les observateurs, y compris les journalistes chevronnés, ont remarqué un Projet Montréal cassant, défensif et maussade. Valérie Plante est apparue tendue, a regardé le sol et a quitté la salle plus tôt que prévu.

Technoparc Oiseaux et la Coalition verte ont demandé à rencontrer la mairesse. De toute évidence, la solution est que Projet Montréal rachète les terrains appartenant à Hypertec, ce qui permettrait à l’entreprise de protéger sa réputation et de trouver un endroit approprié pour son futur siège social.

Nous pensons que Mme Plante est inquiète et troublée par cette situation – et elle a raison de l’être. Les 5 000 membres du Technoparc Oiseaux connaissent bien les zones humides, et il est peu probable que ces personnes votent pour Projet Montréal dans ce contexte. Il en va de même pour les nombreuses personnes qui font partie du réseau de la Coalition verte. Ces gens ont cru en Mme Plante et en son parti, et ils risquent maintenant d’être profondément désenchantés – à moins que la mairesse et son parti ne prenne la bonne décision.

En ce qui concerne l’écosystème du marais du Technoparc, Valérie Plante et Projet Montréal, font face à « un choix entre tout ou rien ». Espérons qu’ils sauront faire le bon choix.

Avis : Les opinions exprimées dans cet article sont celles de leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement les opinions de WestmountMag.ca ou de ses éditeurs.

Image d’entête : rendu d’artiste du projet de Campus Éco d’Hypertec que l’entreprise a l’intention de construire sur le terrain du Technoparc – courtoisie d’Hypertec

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Patrick Barnard - WestmountMag.ca

Patrick Barnard est membre du conseil d’administration de la Coalition Verte.

 

 

Richard Swift

Richard Swift est auteur et collaborateur au magazine New Internationalist d’Oxford, dans le Royaume-Uni.

 

 


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