De quel côté êtes-vous,
M. Guilbeault ?
Le nouveau ministre de l’Environnement du Canada est au centre de multiples controverses
Par Richard Swift
8 décembre 2021 – Traduction adaptée de l’anglais
On se demande pourquoi Stephen Guilbeault a accepté ce poste. En tant que nouveau ministre de l’Environnement du Canada, le député de la circonscription montréalaise de Laurier, se retrouve au centre de plusieurs controverse, grandes et petites. Son ‘dossier’, comme le diraient certains connaisseurs, va de la sauvegarde de la rainette faux-grillon de l’Ouest contre la construction d’une route dans la banlieue montréalaise de Longueuil à la sauvegarde de l’espèce humaine contre la dégradation du climat due au carbone. En tant que membre du cabinet du Parti libéral du Canada, il a un défi de taille à relever.
Le Parti libéral du Canada, notre ‘parti de gouvernance naturelle’, comme l’a si bien décrit le politologue Reg Whitaker, s’est toujours fait une spécialité d’être tout pour tout le monde. Mais derrière les clins d’œil à gauche et à droite, ce parti a toujours embrassé la continuité et le statu quo. Cela implique un engagement en faveur d’une politique économique de croissance, qu’il s’agisse de la poursuite du développement de l’infrastructure pétrolière (les pipelines) ou du développement industriel, y compris de nouvelles routes et usines.
L’environnement dans ce cadre est souvent perçue comme un ‘obstacle’ par les promoteurs de la croissance, provenant du milieu des affaires, et nombre de leurs défenseurs assis autour de la table du cabinet avec M. Guilbeault. Dans leurs calculs, les emplois et les chèques de paie, et bien sûr les profits, pèsent traditionnellement plus lourd que les considérations relatives à l’habitat naturel et aux espaces verts. La question de savoir si cela va changer maintenant que nous, les humains, sommes devenus une espèce en voie de disparition reste en suspens.
… ceux qui sont au pouvoir, s’ils s’en préoccupent, agissent à la traîne pour corriger les problèmes les plus urgents. La dégradation climatique… en est bien sûr le principal exemple.
Il n’est pas facile d’être un ou une activiste environnemental de nos jours. En fait, être militant, pour quelque sujet que ce soit, est un défi. Vous rédigez des pétitions, menez des campagnes d’éducation, publiez des articles, organisez des manifestations, et vous vous engagez même dans des actions de guérilla et de désobéissance civile. Pendant ce temps, ceux qui sont au pouvoir, s’ils s’en préoccupent, agissent à la traîne pour corriger les problèmes les plus urgents. La dégradation climatique qui menace la survie de toutes les espèces en est bien sûr le principal exemple.
La frustration des militants augmente. On peut l’entendre dans la voix des aînés (David Suzuki) et des jeunes (Greta Thunberg). Bien que les activistes soient têtus – après tout, comme le dit le slogan, « il n’y a pas de planète B » – pour certains, l’immobilisme du système et de ceux qui le dirigent s’avère intolérable. Outre la résignation, deux options s’offrent à eux : l’éco-terrorisme ou la participation à la vie politique. De l’Unabomber Ted Kaczynski à la génération d’activistes saboteurs inspirés par The Monkey Wrench Gang d’Edward Abby, cette forme d’activisme, allant du piquetage d’arbres aux l’incendies criminels et au sabotage d’équipement pour sauvegarder tout ce qui va des baleines aux forêts ancestrales, est problématique et d’une efficacité limitée.
‘… le meilleur moyen pour obtenir un siège à la table des décideurs dans notre système électoral majoritaire à un tour est d’adhérer à l’un des partis politiques établis et d’exercer l’influence que vous pouvez sur vos collègues.’
Vous aurez rapidement très mauvaise réputation auprès des médias, plus acquis à l’état de droit qu’à la raison écologique, du moins lorsque ceux-ci semblent être en compétition. Le terme ‘terroriste’ est très vague et couvre une variété de transgressions. Il suffit de demander à M. Suzuki. Récemment, sa frustration à l’égard du gouvernement canadien qui continue à soutenir la construction d’infrastructures pétrolières et à subventionner l’industrie pétrolière, a atteint son paroxysme lorsqu’il s’est inquiété à voix haute de la possibilité que des gens fassent sauter des pipelines. Le concert d’indignation qui a suivi sa déclaration a fait craindre que ce vénérable vieillard ne soit traîné devant la Cour internationale de La Haye pour crimes contre l’humanité.
Heureusement, l’option du sabotage est la moins employée par les écologistes exaspérés, du moins pour le moment. Le moyen le plus efficace (et certainement plus facile) est d’essayer de s’insérer dans le système décisionnel pour infléchir les politiques dans un sens plus favorable à l’environnement. Toutefois, compte tenu de l’urgence de la situation, il n’est pas certain que cette approche soit particulièrement effective. Les partis verts ont connu un certain succès dans des systèmes électoraux proportionnels, parvenant parfois à influencer les politiques de coalition qui caractérisent ces systèmes. Cela a eu un certain effet (mais loin d’être suffisant) sur la politique environnementale en Scandinavie et en Allemagne. Mais dans les systèmes électoraux uninominaux à un tour qui caractérisent le Canada et la plupart des autres pays anglophones, les Verts sont restés une voix dans le désert.
‘On attend maintenant du ministre qu’il soit un joueur d’équipe et qu’il ne perturbe pas l’image centriste et progressiste des Libéraux en faisant des commentaires inopportuns ou des propositions intempestives qui pourraient mettre en doute la pertinence du plan de réduction des émissions…’
Par conséquent, le meilleur moyen pour obtenir un siège à la table des décideurs dans notre système électoral majoritaire à un tour est d’adhérer à l’un des partis politiques établis et d’exercer l’influence que vous pouvez sur vos collègues.
Cela nous ramène à Steven Guilbeault. Il a jadis fait l’ascension de la tour du CN à Toronto, dans un acte de dissidence théâtral, pour attirer l’attention sur la dégradation climatique M. Guilbeault a été cofondateur d’Équiterre, une organisation environnementale basée au Québec, et directeur d’une section provinciale de Greenpeace. Il s’est prononcé contre les projets de pipelines, y compris le pipeline Trans Mountain qui appartient actuellement au gouvernement fédéral. Il est impossible d’exagérer le dédale de contradictions dans lequel il se trouve maintenant en tant que nouveau ministre de l’Environnement du Canada, dans le récent cabinet post-électoral de Justin Trudeau. On attend maintenant du ministre qu’il soit un joueur d’équipe et qu’il ne perturbe pas l’image centriste et progressiste des Libéraux en faisant des commentaires inopportuns ou des propositions intempestives qui pourraient mettre en doute la pertinence du plan de réduction des émissions par le biais de la tarification du carbone, même si ce plan échoue constamment à atteindre ses objectifs.
L’ascension au pouvoir de M. Guilbeault a été accueillie avec un scepticisme certain, que ce soit dans l’opinion des activistes verts ou encore à Montréal, où son adhésion au parti libéral fait de lui un vendu aux yeux de certains. À l’autre bout du pays, le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, a brandi la menace que le nouveau ministre de l’environnement pouvait laisser présager un programme radical qui entraînera un chômage de masse. Il est juste de dire que M. Guilbeault a passé la plupart de son temps à répondre à ce dernier point de vue en proclamant sa loyauté envers le programme libéral, tout en rassurant le secteur pétrolier. « Je n’ai pas d’agenda caché en tant que ministre de l’environnement » a t-il déclaré.
‘S’il [Guilbeault] n’est pas capable de s’opposer aux intérêts industriels locaux à Montréal et de faire cause commune avec ses collègues environnementalistes pour préserver les espaces verts dans sa ville natale, comment pouvons-nous espérer qu’il s’attaque aux géants du secteur du carbone et qu’il nous sauve de la dégradation climatique ?’
Devons-nous donc attribuer à M. Guilbeault un “c” pour courage ou un “o” pour opportunisme ? On ne doit pas juger du mérite d’un homme par ses grandes qualités, mais par l’usage qu’il en fait, selon de La Rochefoucauld. Heureusement, nous pouvons tester sa détermination écologique ici même à Montréal, avec le litige concernant l’habitat connu sous le nom de champs des monarques, un milieu naturel vital pour le papillon monarque en voie de disparition, situé sur des terres fédérales près de l’aéroport de Dorval, et qui doit être soit préservé soit transformé en développement industriel. Depuis le printemps, des citoyens et citoyennes activistes et des journalistes s’alarment des intentions de l’aéroport de céder les champs à la compagnie Medicom pour y construire une usine. Ils soulignent qu’en dépit du fait qu’il existe de nombreux autres sites alternatifs appropriés pour l’usine qui ne mettraient pas en danger la survie des monarques. M. Guilbeault hésite à protéger ces champs en vertu de la Loi sur les études d’impact et continue d’exprimer ses préoccupations à l’égard du projet. Une décision finale n’a pas encore été annoncée, du moins publiquement.
Peut-on juger de la crédibilité de M. Guilbeault sur la base de ce seul petit projet et de cette lutte pour la préservation d’un espace vert local ? Absolument. S’il n’est pas capable de s’opposer aux intérêts industriels locaux à Montréal et de faire cause commune avec ses collègues environnementalistes pour préserver les espaces verts dans sa ville natale, comment pouvons-nous espérer qu’il s’attaque aux géants du secteur du carbone et qu’il nous sauve de la dégradation climatique ? De plus, gagner de petits combats, comme celui des champs de monarques, pour préserver les espaces verts est le genre de luttes qui sont menées partout dans le monde, et les gagner est crucial pour la survie de notre espèce. La question qu’il faut maintenant poser à M. Guilbeault est celle rendue célèbre par le grand troubadour de la justice sociale, Pete Seeger : De quel côté êtes-vous, M. Guilbeault ?
Avis : Les points de vue et opinions exprimés dans cet article sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement les points de vue et opinions de WestmountMag.ca ou de ses éditeurs.
Image d’entête : portrait officiel de Stephen Guilbeault, par Mélanie Provencher © HOC-CDC, 2019
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Richard Swift est auteur et collaborateur au magazine New Internationalist d’Oxford, dans le Royaume-Uni.
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