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Un regard sur ce que nous
avons accompli (ou pas)

Pas de progrès pour la compassion, l’égalité, la paix et les opportunités pour tous

Par Georges R. Dupras

Si mon arrière-grand-père devait revenir dans ce monde pour un seul jour, il serait impressionné par tout ce qui a changé. Il serait étonné de tout ce que l’humanité a accompli.

Cependant, en apprenant ce qui advient en Afghanistan, Russie, Ukraine, Israël, Irak, Iran, Palestine, Syrie, Corée du Nord, etc., son enthousiasme serait de courte durée. Aux États-Unis, il verrait un pays qui consacre la moitié de son produit national brut à l’achat d’équipement militaire, alors que la moitié de la population du pays n’a pas les moyens de se payer des soins de santé de base. Dans le monde entier, il verrait le racisme, la famine, la violence, la haine, la cupidité, la mort et il saurait qu’en réalité rien n’a changé.

Malgré toutes nos réalisations technologiques, nous n’avons pas fait avancer le programme de compassion, d’égalité, de paix et de possibilités d’un pouce.

Au-delà des différences culturelles, qui semblent parfois insurmontables, il y a une autre préoccupation qui a exercé un préjugé sur notre façon de penser aux autres : faut-il se baser sur des valeurs économiques ou écologiques ? J’hésite à utiliser l’expression « valeurs éthiques » car je ne veux pas suggérer que l’une exclut l’autre.

On nous apprend à ne jamais être satisfaits de ce que nous sommes ou de ce que nous avons; que plus, c’est mieux, quel qu’en soit le prix et que ce que nous sommes est plus important que qui nous sommes.

Nous sommes obsédés – obsédés par la croissance économique et par le changement de tout ce qui nous entoure – nous oublions que le changement significatif vient de l’intérieur, quand nous changeons. Nos mentalités sont bien sûr notre plus grand ennemi. Notre conditionnement nous prive de tout notre potentiel. Nous vivons dans un monde où la modération est perçue comme une attaque contre le capitalisme. On nous apprend à ne jamais être satisfaits de ce que nous sommes ou de ce que nous avons; que plus, c’est mieux, quel qu’en soit le prix et que ce que nous sommes est plus important que qui nous sommes.

On nous presse d’être motivés de toutes parts, et tout ce qui ne l’est pas reflète un manque d’initiative. Notre définition de la motivation est au cœur même de notre existence. Cela signifie que tout ce qui est commercial prime sur ce qui n’est pas lié à l’économie. On soutient que le fait de ne pas appliquer cette façon mercantile de penser engendre une société d’éponges.

Le mot motivation peut être défini d’autant de façons que l’utilisateur souhaite l’appliquer. C’est un peu comme la science ; ce n’est pas tant la science qui sous-tend une étude, mais plutôt l’application choisie de cette science. On peut dire la même chose de la manière dont nous comprenons la motivation, et j’entends ici la motivation sélective. Nous choisissons, nous sélectionnons uniquement ce qui convient à nos objectifs. Il est certain qu’un individu doit être motivé à investir du temps et des efforts personnels pour protéger des millions d’années d’évolution. Lorsqu’on applique le mot motivation à la protection de l’environnement naturel, sans démontrer un rendement économique, il devient difficile pour certains penseurs capitalistes de comprendre.

Mon arrière-grand-père connaîtrait un autre de nos nombreux défauts, celui de notre tendance à tout rationaliser. Il saurait que notre engagement envers les peuples autochtones des Amériques n’est rien de plus qu’un jeu de mots politique. Il serait attristé par la perte d’espèces et la destruction d’habitats essentiels à la vie, et il saurait que notre raison d’être n’est rien d’autre que l’intérêt personnel.

‘Lorsqu’on applique le mot motivation à la protection de l’environnement naturel, sans démontrer un rendement économique, il devient difficile pour certains penseurs capitalistes de comprendre.’

Un de mes amis, qui se trouve être un prêtre catholique romain, dit que nous avons perdu notre boussole morale ; nous l’avons perdue, nous l’avons enterrée sous des montagnes de déclarations de profits et de pertes. Dans nos sociétés commerciales, rien n’est plus important que nos états financiers – pas la vie elle-même. Nous voyons cela dans la vente de produits dangereux* à des pays étrangers ayant moins de protections que les nôtres. Beaucoup de ces produits sont interdits dans notre propre pays. Nous subventionnons l’utilisation de certains produits chimiques tout en faisant la promotion d’autres comme le mercure dans les opérations minières.

Nous le faisons en connaissant les risques pour la santé des personnes qui les manipulent. Nous justifions nos rendements économiques en argumentant qu’ils créent des emplois et en insistant sur le fait que l’utilisation de ces produits est laissée à la discrétion du pays importateur et que cela ne nous concerne donc pas. Ces justifications ressemblent un peu à celles de trafiquants de drogue ou des membres de la NRA qui défendent leur droit constitutionnel de vendre des fusils d’assaut.

La formule de base du capitalisme exige qu’un système économique soit ancré sur la propriété privée. Cela permet à un groupe choisi d’investisseurs de superviser l’acquisition des ressources, la production, l’exploitation et la distribution dans un but lucratif. Toutes les décisions sont prises par ceux qui sont fortement investis. Cela n’a jamais changé et il n’y a aucune raison de croire qu’il en sera autrement à l’avenir.

Oserais-je avancer que cette définition même du capitalisme, celle qui dicte qu’un système économique soit basé sur la propriété privée, est à la base des efforts actuellement déployés pour réintroduire certaines espèces disparues ? Étant donné que ces espèces de laboratoire n’auront pas la composition génétique complète de l’animal d’origine, pourront-elles faire l’objet de brevets privés ? Quelles sont les considérations éthiques de la propriété privée d’une espèce ? Qu’en est-il de l’impact que ces hybrides auront sur l’environnement naturel ou sur les autres créatures qui partageront leur environnement ?

‘Le développement économique devient dangereux lorsqu’il divise les gens et les communautés, lorsqu’un produit fait courir des risques excessifs à l’environnement naturel, lorsqu’il viole les droits des cultures anciennes pour finalement mettre en danger la santé de la vie dans le monde.’

Il n’y a rien de mal au développement économique, tant qu’il ne devient pas une obsession pour un groupe démographique particulier, ou une obsession qui détruit tout sur son passage dans l’intérêt des emplois, des votes, des gains personnels ou ceux des compagnies multi-nationales. Il devient dangereux lorsqu’on le laisse diviser les gens, les communautés, lorsqu’un produit fait courir des risques excessifs à l’environnement naturel, lorsqu’il viole les droits des cultures anciennes pour finalement mettre en danger la santé de la vie dans le monde.

Moi aussi, j’apprécie les bienfaits du capitalisme, celui avec le petit « c ». Je reconnais qu’il y a un coût pour le mercantilisme, un coût qui doit s’inscrire dans un budget vivant qui profite à tous sur cette planète assiégée. Vous remarquerez que j’utilise le terme « tous » plutôt que « l’humanité », car cela vaut sûrement au-delà de l’homme.

Oui, mon arrière-grand-père serait stupéfait, mais il serait aussi désabusé de savoir que nous ayons sacrifié nos dons les plus précieux, ceux de compassion et de bonté, dans l’intérêt d’une population privilégiée.

La génération de mon père a mené une guerre au cours de laquelle beaucoup sont morts, où d’autres ont été mutilés et où des familles ont été détruites. Depuis soixante ans, d’autres mènent une guerre différente. Une guerre contre l’ignorance, le conditionnement et la cupidité. Ils ont appris que la seule façon d’établir un nouveau parcours inclusif pour tous et toutes, c’est en donnant l’exemple, un jour à la fois, étape par étape. Pour cela, je salue tous ceux qui risquent d’être marginalisés, ridiculisés, dénigrés, voire arrêtés** – vous êtes les vrais héros.

* Amiante, mercure, véhicules blindés légers
** Actions passives telles que donner de l’eau aux animaux destinés à l’alimentation sur le chemin de l’abattage.

Avertissement : Les opinions exprimées dans cet article sont celles de son auteur et ne reflètent pas les opinions de WestmountMag.ca ou de ses éditeurs.

Image d’entête : Famille brésilienne indigène par Fábio Rodrigues Pozzebom/ABr [CC BY 3.0 br], via Wikimedia Commons

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Georges Dupras

Georges R. Dupras se fait le champion et le défenseur des animaux depuis plus de 50 ans. Il est membre de l’International Association for Bear Research and Management (IBA), un directeur de l’Alliance pour les animaux du Canada (AAC), le représentant du Québec de Zoocheck Canada, et un ancien directeur de la Société canadienne pour la prévention de la cruauté envers les animaux (CSPCA). En 1966, il s’est impliqué dans la campagne initiale pour sauver les phoques qui a mené à la fondation de l’International Fund for Animal Welfare (IFAW) en 1969. Il a publié deux livres : Values in Conflict et Ethics, A Human Condition. Georges demeure à Montréal, Québec, Canada.


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