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Entre les États-Unis et la Chine

Le Canada regarde au Sud, lorgne à l’Ouest
et les ressources patientent.

Par Jean-Luc Burlone, M. Sc. Ecn. FCSI (1996)

L’économie canadienne est une économie ouverte, fortement basée sur ses ressources naturelles (minerais, énergie, produits forestiers et agraires, bétail…) et dépendante de ses exportations de biens et services à la hauteur de 32% du PIB. Comme tous pays exportateurs de ressources, le Canada est tributaire de la croissance économique mondiale. Parmi ses principaux marchés d’exportation que sont les États-Unis (77% de ses exportations), la Chine (4%), le Royaume-Uni (3%), le Japon (2%) et le Mexique (1%), seuls les États-Unis et la Chine sont les moteurs actuels de la croissance mondiale.

La puissante économie américaine est relativement isolée de l’économie mondiale de par la richesse de son marché intérieur dont la consommation de biens et services représente 78% de son PIB. Quoique ses exportations s’élèvent à 1 500G$, elles ne représentent que 8% de son PIB. Par contre, ses importations de 2 240G$ représentent un énorme marché, recherché par le reste du monde. Aussi, on note généralement que toute croissance de l’économie américaine entraine une activité accrue chez ses pays fournisseurs et stimule la croissance mondiale.

… toute croissance de l’économie américaine entraine une activité accrue chez ses pays fournisseurs et stimule la croissance mondiale.

Bien que la récession américaine ait pris fin en 2009, la reprise demeure néanmoins timide et sous le taux séculaire de 2% (faute d’une réforme fiscale?). La chute du prix du pétrole a grandement ralenti la production industrielle et pare l’inflation. Par ailleurs, fait tout à fait anormal et unique au contexte actuel, l’inflation à long terme (excluant la nourriture et l’énergie) demeure absente du portrait économique alors même que le chômage est bas, que les salaires augmentent et que des milliers de millards de dollars ont été émis sur la marché pour contrer la crise de 2008. Cet argent offert à bon prix a servi les entreprises, financé la hausse des valeurs mobilières mais a peu stimulé l’économie réelle. La reprise américaine, timide mais néanmoins réelle, ne génère pas une demande assez forte pour stimuler les prix à la hausse et sortir les ressources de leur marasme actuel.

Après trois décennies de croissance phénoménale (1980 à 2010), l’économie chinoise « le manufacturier du monde » représentait 50% du commerce international, soit 30% de l’économie mondiale. La production industrielle effrénée de la Chine a consommée une quantité stupéfiante de matières premières. Durant cette période, la Chine a alimenté de manière notable la croissance économique des pays exportateurs de ressources, notamment celle des pays émergents. La création d’une très grande richesse a cependant réduit progressivement la compétitivité chinoise face aux autres manufacturiers, notamment ceux d’Asie du Sud-Est. Par ailleurs, l’enrichissement a aussi permis l’émergence d’une forte demande de la nouvelle classe moyenne chinoise. La Chine a donc entrepris, au tournant de la décennie, la transition conséquente allant d’une économie de production industrielle basée sur l’investissement à une économie de service basée sur la consommation.

Cette transition crée une tension dans l’économie chinoise. La production industrielle étant en décroissance, elle cause une fuite de capitaux de l’ordre de plusieurs centaines de milliards au cours des derniers mois. Cette fuite de capitaux réduit la valeur de la devise chinoise et, quoique la Chine utilise ses réserves en devises étrangères pour amoindrir la chute, les dépréciations répétées du renminbi réduisent d’autant le prix des produits chinois et ce, pour la quatrième année de suite. Cette réduction de prix impose une forte pression à la baisse sur le prix de tous les produits des compétiteurs directs de la Chine et propage un courant déflationniste global.

… les dépréciations répétées du renminbi réduisent d’autant le prix des produits chinois… Cette réduction de prix impose une forte pression à la baisse sur le prix de tous les produits des compétiteurs directs de la Chine et propage un courant déflationniste global.

L’industrie du service, pour sa part, croît entre 8,5% et 11% selon les années et atteint aujourd’hui plus de 50% du PIB chinois. Cependant, la demande chinoise ne compense pas (pas encore?) le fléchissement de la demande européenne et américaine et ne représente certes pas pour les fournisseurs de ressources plus qu’un exutoire aux inventaires actuels. Pendant 30 ans, la Chine a connu le plus grand bond en avant de l’histoire en investissements et en financement. On peut s’attendre à ce qu’un rajustement vers une croissance équilibrée entre l’offre et la demande internes prenne quelques années.

Le retour à la normalité aux États-Unis, lié à la hausse tant attendue du taux d’intérêt, stimulera la confiance en l’économie américaine, favorisera le prêt bancaire et réduira le coût des importations, donnant ainsi un nouveau souffle aux exportations canadiennes. Dans le contexte actuel, le Canada doit attendre la reprise du prix des ressources naturelles qui, quant à elle, dépend de la croissance de l’économie mondiale et de la Chine dans une demie mesure.

Image: Tony Fischer via StockPholio.net


jean-luc_burloneJean-Luc Burlone, M.Sc. Ecn., FCSI (1996)
Économiste – Financier
jlburlone@gmail.com

Cette opinion est personnelle. Elle provient d’une revue de la presse financière et ne doit pas être interprétée, en aucune façon, comme étant une recommandation.



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