Transhumanisme_1024

Espérance chrétienne
et rêves transhumanistes

Un dialogue nécessaire pour penser l’avenir de l’homme à l’ère numérique

Par Andrew Burlone

3 juillet 2025

L’intégration du transhumanisme et du christianisme dans une vision du monde cohérente s’impose aujourd’hui comme l’un des grands débats de la pensée contemporaine. Deux horizons, en apparence inconciliables, s’y font face : d’un côté, la promesse d’une humanité transcendée par la technique ; de l’autre, la fidélité à une tradition spirituelle qui voit dans la vulnérabilité et la finitude les lieux mêmes de la rencontre avec le divin.

Le transhumanisme, expression moderne du désir de dépassement, érige la science en vecteur d’émancipation ultime, tandis que le christianisme, ancré dans la reconnaissance d’un Dieu créateur et rédempteur, fait de la condition humaine – fragile, limitée, exposée à la souffrance – le point de départ d’une quête de sens. Pourtant, la confrontation de ces deux perspectives, loin de se réduire à une opposition stérile, ouvre la voie à un dialogue fécond sur la nature de l’homme, sa vocation et la signification profonde de la technique.

Le transhumanisme se présente comme une nouvelle étape de l’évolution humaine. Il ambitionne d’éradiquer la maladie, la souffrance, le vieillissement, voire la mort.

Le transhumanisme se présente comme une nouvelle étape de l’évolution humaine. Il ambitionne d’éradiquer la maladie, la souffrance, le vieillissement, voire la mort, grâce aux progrès fulgurants de la génétique, de la robotique, de l’intelligence artificielle et des nanotechnologies. Pour ses partisans, il s’agit d’un prolongement naturel de la volonté humaine d’amélioration, qui a déjà permis, au fil des siècles, de repousser la faim, d’augmenter l’espérance de vie et de réduire la douleur. La promesse d’un « homme augmenté » ou même d’un « posthumain » fascine autant qu’elle inquiète. Les transhumanistes voient dans la technologie le moyen d’accomplir la liberté humaine la plus radicale : celle de se recréer soi-même.

Face à ce projet, le christianisme propose une vision de l’homme fondée sur la relation à Dieu, sur la reconnaissance de la créature et sur l’espérance d’une vie éternelle, non pas conquise par l’effort humain, mais reçue comme don. L’homme, selon la tradition chrétienne, est créé à l’image de Dieu, doté d’une dignité inaliénable, mais aussi marqué par la finitude, la souffrance et la mort, conséquences du péché originel. La résurrection promise par le Christ n’est pas une victoire technologique sur la mort, mais une transformation radicale de l’existence, fruit de l’amour divin. Le corps humain, loin d’être un simple support à améliorer ou à remplacer, est le temple de l’Esprit, appelé à ressusciter dans la gloire.

Malgré ces différences fondamentales, des points de convergence existent. Le christianisme, loin d’être hostile à la technique, a souvent encouragé la recherche scientifique et médicale, considérant que soulager la souffrance et soigner les maladies participent de la mission confiée à l’humanité : cultiver la création, prendre soin de ses frères. Les hôpitaux, les universités et de nombreuses innovations sont nés dans le sillage de la pensée chrétienne. On peut donc voir dans les technologies transhumanistes, lorsqu’elles visent à guérir ou à compenser un handicap, une forme d’accomplissement de la vocation humaine à la compassion et à la maîtrise responsable de la nature.

‘Là où le christianisme invite à reconnaître la valeur de la vulnérabilité, le transhumanisme tend à faire de la toute-puissance technique un idéal.’

Cependant, la frontière est ténue entre l’amélioration thérapeutique et l’augmentation illimitée. Là où le christianisme invite à reconnaître la valeur de la vulnérabilité, le transhumanisme tend à faire de la toute-puissance technique un idéal. Ce glissement soulève des questions éthiques majeures : jusqu’où l’homme peut-il se transformer sans perdre son humanité ? L’aspiration à l’immortalité technologique n’est-elle pas une forme de refus de la condition créaturelle, voire une nouvelle version de la tour de Babel ? Le risque d’idolâtrie technologique, c’est-à-dire de placer la confiance ultime dans la science et non dans Dieu, est réel. Le transhumanisme, en promettant le salut par la technique, entre en concurrence directe avec la promesse chrétienne de la vie éternelle.

Pierre Teilhard de Chardin

Pierre Teilhard de Chardin • Image : Philippe Halsman

Certains penseurs chrétiens, à l’image de Pierre Teilhard de Chardin, ont tenté de penser une convergence entre évolution technologique et accomplissement spirituel. Pour Teilhard, le progrès de la conscience collective, rendu possible par la science et la technique, prépare l’avènement du « point Oméga », figure du Christ cosmique. Dans cette perspective, la technologie n’est pas une menace, mais un instrument au service du dessein divin, à condition qu’elle soit ordonnée à l’amour et à la communion. Cette vision invite à dépasser l’opposition stérile entre nature et technique, en reconnaissant que l’homme est appelé à participer, de manière responsable, à l’œuvre créatrice de Dieu.

L’intégration du transhumanisme et du christianisme suppose donc une double conversion du regard. D’un côté, les chrétiens sont appelés à ne pas diaboliser la technologie, mais à discerner, dans les innovations, ce qui peut servir le bien commun, la justice et la dignité de chaque personne. De l’autre, les transhumanistes gagneraient à reconnaître les limites de la toute-puissance technique et la nécessité d’une réflexion éthique et spirituelle sur la finalité de l’homme. La dignité humaine ne se réduit pas à la performance ou à la longévité ; elle réside dans la capacité de relation, d’amour, de don de soi, que la technologie ne saurait remplacer.

Un dialogue authentique entre transhumanisme et christianisme pourrait ainsi s’articuler autour de plusieurs axes. Il s’agirait d’abord de rappeler que toute innovation doit être mise au service de l’homme, et non l’inverse. La technologie, aussi puissante soit-elle, ne doit pas devenir une idole ni un instrument de domination ou d’exclusion. Ensuite, il importe de garantir l’accès équitable aux progrès, pour éviter l’émergence d’une humanité à deux vitesses, où seuls les plus riches pourraient « s’augmenter ». Enfin, il convient de préserver la dimension spirituelle de l’existence, en reconnaissant que la quête de sens, de beauté et de transcendance reste au cœur de l’expérience humaine, quelles que soient les avancées scientifiques.

‘La dignité humaine ne se réduit pas à la performance ou à la longévité ; elle réside dans la capacité de relation, d’amour, de don de soi, que la technologie ne saurait remplacer.’

L’intégration du transhumanisme et du christianisme n’est pas une fusion, mais un dialogue critique et créatif. Elle suppose de tenir ensemble la confiance dans la raison et l’humilité devant le mystère de la vie. Le progrès technologique, s’il est guidé par la sagesse et l’amour, peut devenir un levier d’humanisation. Mais il ne saurait remplacer la quête spirituelle, ni abolir la fragilité qui fait aussi la grandeur de l’homme. Comme l’écrivait le philosophe Paul Ricoeur, « il n’y a d’humanité que dans la reconnaissance de la finitude ». Le défi de notre temps est de conjuguer la puissance de la technique et la profondeur de la foi, pour bâtir un avenir où l’homme, augmenté ou non, reste avant tout un être de relation, ouvert à la dimension spirituelle qui le dépasse.

Image d’entête : zhuyufang – UnsplashButton Sign up to newsletter – WestmountMag.caAutres articles par Andrew Burlone
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Andrew Burlone, co-publisher – WestmountMagazine.ca

Andrew Burlone, cofondateur de WestmountMag.ca, a commencé sa carrière dans les médias au magazine NOUS. Par la suite, il a lancé Visionnaires, où il a occupé le poste de directeur de création pendant plus de 30 ans. Andrew est passionné de culture et de politique, avec un vif intérêt pour les arts visuels et l’architecture.



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  1. Jean-Luc

    Beau texte, une équation nuancée d’idées justes et peut-être d’aujourd’hui. Car une absence inquiétante me surprend : l’incroyable utilisation actuellement effrénée des ressources de notre planète !

    Déjà, en février 2020, dans un papier sur ce sujet je soulignais les dommages causés par l’exploitation de la biomasse pour répondre à la demande croissante des besoins nés de la technologie. L’exemple des forêts et des prairies allemandes, où plus de 60% des arthropodes avaient été exterminés par les activités minières, était probant.

    Cinq années plus tard, l’homme conscient de la situation environnementale, ne parle plus de la destruction de la biodiversité ni du réchauffement climatique, mais carrément de la sixième extinction planétaire — actuellement en route !

    Je ne sais pas si cette crainte est exagérée, mais, prenant note de l’insatiable recherche du bien-être matériel, du dédain pour les moins-nantis et de la foi indéfectible envers la technologie, je me demande si l’équilibre environnemental et la frénésie technologique ne seraient pas les deux pôles de l’équation de notre avenir ?


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