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Cinéma et musique
What a Feeling !

Giorgio Moroder, compositeur de trames sonores et une légende du cinéma américain

Par Francis Ouellet

Précédemment publié le 25 juin 2015

De tout temps, la musique a été une composante essentielle du cinéma, se mariant au visuel afin d’offrir au spectateur une expérience narrative toujours plus forte, plus touchante. On se souvient longtemps des images qui nous ont marqués dans un film. Il en va de même pour la musique, qui continue de nous hanter longtemps après le générique de fin.

Assis dans l’obscurité de la salle de projection, nous sommes assaillis par des milliers d’images, à raison de 24 par seconde, qui s’impriment dans notre esprit. Nous assistons à une pantomime qui est la recréation de la vie, l’illusion du mouvement. De cette illusion naît une narration, une intrigue, qui se révèle peu à peu et que nous suivons, comme un fil d’Ariane, jusqu’à son dénouement. Le film se révèle une histoire, et les images qui la composent lui donnent vie en s’assemblant. Voilà pourquoi nous disons toujours que nous « regardons » un film ou que nous avons « vu » un film.

Tout semble se résumer à un jeu de miroirs entre l’écran et nos yeux. Mais un film n’est pas qu’images, loin de là. Il est également constitué de sons. Qu’il s’agisse de la voix des acteurs, des effets sonores ou de la trame musicale qui l’accompagne, un film est un organisme composé d’images et de sons. Même à l’époque du cinéma muet, la projection de ces œuvres silencieuses était toujours accompagnée d’une musique d’ambiance, souvent interprétée en direct, s’adaptant à ce qui se déroulait à l’écran. Elle se muait en romance pendant les scènes d’amour, s’agitait, devenant rapide et effrénée pendant les poursuites, ou encore angoissante lorsque l’héroïne, seule dans une sombre demeure, avançait à petits pas le long d’un couloir obscur.

Récemment, un article lu dans un journal a ravivé ma mémoire musicale et m’a fait fredonner, presque malgré moi, des chansons populaires de ma jeunesse. L’article annonçait la sortie prochaine du nouvel album studio de Giorgio Moroder, Déjà vu, son premier album en 30 ans. C’est comme si je venais de recevoir des nouvelles d’un vieil ami, car, pour moi, Giorgio Moroder est un créateur de haut niveau et il a une place spéciale dans le cœur de nombreux cinéphiles. Auteur-compositeur-interprète et producteur, cet Italien d’origine est une des personnalités les plus importantes de la musique populaire de la période 1970 à 1980. Figure de premier plan de la musique électronique, créateur hors pair, il a connu un grand succès à l’époque folle du disco, notamment grâce à ses collaborations avec Donna Summer à la fin des années 70.

Mais plus important encore, c’est son travail en tant que compositeur de trames sonores qui fait de lui une petite légende dans le monde du cinéma américain des années 1980, où il collabore à de nombreux films emblématiques et, par le fait même, avec les réalisateurs les plus en vogue de l’époque. Tout cela débute avec la trame sonore de Midnight Express, film dur, troublant et pourtant magnifique que nous a offert le cinéaste britannique Alan Parker en 1978.

Tout semble se résumer à un jeu de miroirs entre l’écran et nos yeux. Mais un film n’est pas qu’images, loin de là. Il est également constitué de sons.

Ce film nous raconte l’enfer que connaît un étudiant américain pas très malin qui, après avoir été arrêté pour contrebande de haschich, passe de nombreuses années dans une prison turque. Cruel et crépusculaire, quelquefois insoutenable, illustrant ce qu’il y a de plus sombre chez l’homme, le film, même s’il fait souvent naître chez le spectateur un sentiment de révolte et d’injustice, est avant tout un message d’espoir, pétri d’humanisme et d’amour, démontrant de manière admirable que, même dans les pires moments de la vie, il est possible de découvrir en soi une lumière nouvelle.

ScarfaceLa musique que Moroder composa pour ce film, vivante et chargée d’émotion, réussit à enrichir encore cette ambiance, élevant le message encore plus, contribuant à lui donner toute sa force. L’Academy of Motion Picture Arts and Sciences y fut sensible et lui décerna l’Oscar de la meilleure trame sonore originale cette année-là, ce qui n’était que justice. Tout un exploit pour un musicien de 38 ans dont c’était la première aventure cinématographique. Heureusement, ce ne fut pas la dernière.

Au cours des années qui suivirent, Moroder composa la musique de quelques-uns des films américains les plus intéressants de la décennie 1980. Pensons à American Gigolo (1980) et Cat People (1982), tous deux réalisés par le talentueux Paul Schrader, scénariste du légendaire Taxi Driver de Martin Scorsese. Moroder composa par la suite la musique de Scarface, opéra de sang, violent et sauvage, que Brian De Palma réalisa en 1983, et qui est considéré aujourd’hui comme un classique moderne du film noir et une influence majeure pour nombre de jeunes réalisateurs.

Toujours en 1983, mais dans un registre plus léger, Giorgio Moroder signa la musique du film Flashdance, réalisé par Adrian Lyne. Qui pourrait oublier la célèbre chanson What a feeling, succès planétaire interprété par Irene Cara ? La pièce remporta l’Oscar de la meilleure chanson originale et demeure, encore aujourd’hui, une des préférées des stations de radio. Moroder remporta une seconde fois l’Oscar de la meilleure chanson originale pour Take my Breath Away, écrite en collaboration avec Tom Whitlock et interprétée par le groupe Berlin. La chanson, qui atteignit la première position du palmarès du célèbre magazine Billboard, était tirée de la trame sonore du film Top Gun (1986), mis en scène de manière effrénée et survoltée par le regretté Tony Scott, et qui fut un gigantesque succès populaire en cette ère reaganienne. Au cours de ces années, le compositeur collabora avec certains des artistes les plus populaires de la scène musicale de l’époque, tels David Bowie, Pat Benatar, Freddie Mercury, Bonnie Tyler et le groupe Blondie, pour n’en nommer que quelques-uns. Cela ne fait que prouver la popularité et le respect dont jouissait Giorgio Moroder à cette époque.

‘Mais c’est son travail en tant que compositeur de trames sonores qui fait de lui une petite légende dans le monde du cinéma américain des années 1980.’

Metropolis

Metropolis

Toutefois, selon moi, le véritable accomplissement cinématographique de Moroder est d’un tout autre genre. Grand admirateur du célèbre cinéaste allemand Fritz Lang, il décida, en 1984, de financer la restauration de Metropolis, chef-d’œuvre absolu du cinéma mondial, que Lang avait réalisé en 1927. En plus d’un colossal travail de restauration, Moroder fit ajouter des teintes de couleurs, qui variaient selon l’ambiance des scènes. Il retravailla également le montage et la vitesse du film, remplaça les intertitres par des sous-titres, afin de ne pas briser le rythme, et composa une nouvelle trame sonore électropop interprétée par Jon Anderson, Adam Ant, Loverboy et plusieurs autres. Il s’agissait de la première véritable restauration de ce très grand film, et, bien que de nombreux critiques et puristes crièrent au scandale, cela permit de faire découvrir cette œuvre immortelle à un tout nouveau public et à de nouvelles générations d’admirateurs.

De plus, la restauration de Moroder inspira l’historien allemand du cinéma Enno Patalas à poursuivre le travail, en 1986, à partir du script original et des notes de Fritz Lang. Des séquences entières, que l’on croyait perdues à jamais, furent alors retrouvées. En 2010, après des années de travail, Kino International, en collaboration avec la Fondation F.W. Murnau, présenta une version dite complète, absolument splendide, aussi près que possible de la vision originale de Fritz Lang, et offerte depuis en DVD et Blu-Ray. Un rêve devenu réalité pour tous les cinéphiles et autres fous du cinéma de par le monde. Sans le travail de Moroder en 1984, sans doute que rien de cela n’existerait aujourd’hui.

‘Grand admirateur du célèbre cinéaste allemand Fritz Lang, il décida, en 1984, de financer la restauration de Metropolis, chef-d’œuvre absolu du cinéma mondial.’

Aujourd’hui, Moroder continue de travailler dans le domaine musical, de manière certes plus discrète, mais toujours avec des artistes de premier plan, tels Daft Punk, Sia ou encore Kylie Minogue. Il fut une étoile filante dans le firmament du cinéma américain des années 1980, et son étoile ne brilla peut-être que brièvement, mais elle brilla avec force et talent. Ne serait-ce que pour la remarquable musique de Midnight Express et, surtout, pour sa restauration (pour ne pas dire résurrection) d’un des plus grands films de l’époque du cinéma muet, Giorgio Moroder mérite qu’on se souvienne de lui. Ce n’est que justice.

Image de Giorgio Moroder : Wolfgang Moroder
Image Metropolis : brandbook.de via StockPholio.com

Image Scarface: Ian Stannard via StockPholio.comButton Sign up to newsletter – WestmountMag.caAutres articles de Francis Ouellet
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Francis Ouellet a toujours été un amoureux fou du cinéma, de l’animation et de la bande dessinée. Cette obsession de l’image, du mouvement, de l’ombre et de la lumière l’a conduit à faire carrière dans le domaine de la publicité et des communications graphiques. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à travailler, dans ses temps libres sur divers projets d’animation et de bande dessinée.



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