Le début par la fin / 2
Nicolas Roeg, un des cinéastes les plus visionnaires, les plus intéressants et injustement méconnu
Par Francis Ouellet
26 octobre 2017
Tout est une question de perception et de point de vue. Les différents aspects que sont l’éclatement de l’ordre chronologique, la non-linéarité d’un récit, sont les bases même de l’œuvre d’un des cinéastes les plus visionnaires, les plus intéressants et injustement méconnu de la génération des années 60-70, Nicolas Roeg.
En 1973, Roeg frappa un grand coup avec Don’t Look Now, aujourd’hui considéré comme un classique du cinéma fantastique, et qui est probablement le chef-d’oeuvre du cinéaste. C’est aussi ici que la déconstruction du montage, la non-linéarité si fréquente dans le cinéma de Roeg, se perfectionna et marqua l’œuvre à venir.
Donald Sutherland joue le rôle d’un architecte qui, accompagné de son épouse, quitte l’Angleterre afin de travailler à la restauration d’une église à Venise. Le couple vit des moments très difficiles car ils viennent tout juste de perdre leur petite fille qui s’est accidentellement noyée alors qu’elle jouait près d’une mare.
La mère (interprétée de manière fort sensible par Julie Christie) fait la connaissance de deux sœurs dont l’une serait voyante et qui lui dit que leur petite fille est heureuse là ou elle est, ce qui lui redonne goût à la vie. L’époux demeure néanmoins fort sceptique, considérant tout ceci comme balivernes et superstitions. Pourtant, d’étranges phénomènes se produisent et le mari aperçoit à plusieurs reprises une petite silhouette rouge encapuchonnée et qui pourrait fort bien être leur enfant.
Se refusant à voir les signes qui semblent lui annoncer qu’il court un grand danger, il ira jusqu’au bout de sa curiosité, s’offrant en holocauste à son destin tragique dans une finale absolument terrifiante et rarement égalée depuis.
Dans ce très grand film, tous les détails sont importants et rehaussent encore la qualité de l’œuvre ; l’interprétation parfaite des comédiens, la ville de Venise, vénéneuse et pourrissante, qui devient elle-même un personnage de l’intrigue, l’ambiance lourde et annonciatrice de malheurs, accentuée par un montage en casse-tête qui ne respecte pas la trame narrative habituelle et, surtout, la sublime musique de Pino Donaggio qui parachève le tout. Rarement le cauchemar fut montré à l’écran de manière si déchirante et si bouleversante.

David Bowie – the man who fell to earth
Roeg récidiva en 1976 en nous offrant la fable de science-fiction The Man Who Fell to Earth, magistralement porté par son acteur, le chanteur David Bowie, dont l’apparence androgyne convenait si bien à l’histoire. Dans ce film, empreint de mélancolie, Bowie interprète Newton, voyageur extra-terrestre venu sur terre afin de trouver un moyen de sauver son propre monde menacé de destruction.
Après avoir fondé, grâce à ses vastes connaissances scientifiques, un empire industriel qui devrait pouvoir financer la construction d’un vaisseau spatial destiné à venir en aide à son peuple, Newton se retrouve trahis par ses amis et victime de divers complots et machinations. Brisé, réduit à l’état de loque par la petitesse de l’humanité, il devient un vagabond, incapable de venir en aide à son peuple, peut-être déjà disparu.
Encore une fois, le récit est déconstruit dans sa trame, ou présent, passé et avenir se mélange, le spectateur assemblant les pièces de l’histoire au fur et à mesure qu’il les découvre. Le résultat, critique douce-amère de nos travers et de notre peur de la différence, est le cri de colère d’un humaniste déçu. Une oeuvre grave, belle et émouvante.
Le récit est déconstruit dans sa trame, ou présent, passé et avenir se mélange, le spectateur assemblant les pièces de l’histoire au fur et à mesure qu’il les découvre. Le résultat, critique douce-amère de nos travers et de notre peur de la différence, est le cri de colère d’un humaniste déçu.
Le quatrième film peut s’apparenter à une tragédie, dans le sens antique du terme. On y voit des personnages qui passent à deux doigts du bonheur mais, par leur penchants et leur défauts qu’ils sont incapables de circonscire, s’enfoncent dans une spirale d’événements malheureux qui ne peuvent conduire qu’au désastre. Bad Timing, tourné en 1980, raconte une idylle amoureuse qui tourne au cauchemar.
Un psychiatre américain enseignant à Vienne, tombe amoureux d’une jeune femme à l’esprit libre, Milena, mais dont la personnalité fantasque cache une nature dépressive. Leur histoire d’amour, fortement sexuée, tournera à l’obsession et s’envenimera rapidement. Cette situation, alimenté par l’ivrognerie de la jeune femme et la jalousie galopante du psychiatre, se terminera par la mort de Milena, victime d’une surdose de drogue. L’inspecteur de police chargé de l’enquête, qui ne croit pas du tout à la thèse du suicide, tentera de faire la lumière sur cette histoire.
La non-linéarité roegienne atteint ici un véritable sommet. Le montage du film, composé entièrement de flashbacks dans le désordre, oblige le spectateur à se plonger dans les tourments des personnages afin de faire la lumière sur cette sombre histoire de passions pernicieuses. Le défi est difficile à relever mais la qualité de l’œuvre mérite amplement l’effort.
La non-linéarité roegienne atteint ici un véritable sommet. Le montage du film, composé entièrement de flashbacks dans le désordre, oblige le spectateur à se plonger dans les tourments des personnages afin de faire la lumière sur cette sombre histoire de passions pernicieuses.
Comme nous pouvons le constater, Nicolas Roeg nous a offert, dans les 10 premières années de sa carrière de metteur en scène, quatre œuvres majeures et importantes du 7e art. Néanmoins, la suite de sa filmographie ne sera pas du même calibre. Bien que Eureka (1983), Insignificance (1985), Castaway (1986) et Track 29 (1988) soient de bons films, et même très bons pour ce qui est de Insignificance et Castaway, le style de Nicolas Roeg semble avoir perdu de sa force et s’être assagit. Nous ne retrouverons plus ce côté visionnaire et quasi-expérimental qui faisaient la force de ses films des années 1970.
Et bien que The Witches, tourné en 1990 en collaboration avec les studios Jim Henson, soit une excellente comédie fantastique (où excelle Angelica Huston), on reconnait difficilement le travail de Roeg. Depuis, il s’est surtout consacré à la télévision dans des projets qui, bien souvent, ne méritait pas son talent. Son dernier film au cinéma, Puffball, fut tourné en 2007. Il s’agit d’un drame fantastique mettant en vedette Kelly Reilly, Miranda Richardson et Donald Sutherland. Les critiques furent assez mauvaises et le film fut à peine distribué, ce qui est bien dommage.
Mais, tout ceci ne doit pas faire oublier les films importants de ce grand metteur en scène. Je suivrai donc les enseignements de Nicolas Roeg et terminerai cet article en revenant au début. Mais quel début, et par où commencer ? Il me semble évident que ce doit être par Don’t Look Now, qui est selon moi le film qui surpasse tous les autres, tant par sa richesse narrative, sa musique envoutante, sa Venise malade et glauque et, surtout, sa finale hallucinée, où le petit chaperon rouge devient à son tour le chasseur (en contraste complet avec la petite fille en rouge de Schindler’s list de Spielberg, image d’espoir assassiné).
C’est l’œuvre de départ. Si celle-ci vous plait, vous pourrez alors vous plongez dans les autres films, et ce, dans l’ordre de votre choix.
Image Don’t Look Now : Fair Use, Wikipedia
Image The Man Who Fell to Earth : Playing Futures: Applied Nomadology via StockPholio.com
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Francis Ouellet a toujours été un amoureux fou du cinéma, de l’animation et de la bande dessinée. Cette obsession de l’image, du mouvement, de l’ombre et de la lumière l’a conduit à faire carrière dans le domaine de la publicité et des communications graphiques. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à travailler, dans ses temps libres sur divers projets d’animation et de bande dessinée.
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