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L’industrie nucléaire est de retour !

Nous pensions la menace nucléaire passée mais le danger a ressurgi de plus belle

Par Louise Legault

18 juillet 2024

Le règne d’aucun royaume n’est mien. Mais toutes les choses dignes qui sont en péril dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, celles-là sont l’objet de ma sollicitude. Et pour ma part, je n’aurai pas totalement échoué dans ma tâche si quoi que ce soit traverse cette nuit qui puisse encore s’embellir ou porter fruit et fleurir à nouveau dans les jours à venir. Car moi aussi, je suis un intendant. Ne le saviez-vous pas ?

– Le magicien Gandalf dans Le retour du Roi

Nous croyions (ou espérions) tous que la menace nucléaire était chose du passé, mais voici que cette hydre a une fois de plus dressé la tête. Le super ministre Pierre Fitzgibbon a suggéré que la centrale Gentilly-2 de Bécancour – fermée en 2012 – pourrait reprendre du service. L’Ontario a pour sa part annoncé qu’elle remettrait à neuf ses centrales vieillissantes et ajouterait au fil des ans de petits réacteurs modulaires, une nouvelle technologie qui n’a pas encore fait ses preuves..

À l’échelle mondiale, l’industrie nucléaire reprend du poil de la bête et se pose en sauveur avec une technologie propre, qui n’émet pas de gaz à effet de serre et qui fait partie du complexe médical, comme tout patient en cancérologie ne le sait que trop bien. Curieux, aucune mention des déchets nucléaires. Pensez Chernobyl. Pensez Fukushima.

L’industrie nucléaire canadienne a marqué un point récemment avec la décision de la Commission canadienne de sûreté nucléaire d’approuver la construction d’une installation de gestion des déchets près de la surface à Chalk River, Ontario. L’opérateur du projet, les Laboratoires Nucléaires Canadiens, le décrit comme « un projet d’assainissement de l’environnement », qui règlera le problème de déchets radioactifs historiques du Canada. Il s’agirait d’une installation pour les déchets faiblement radioactifs, mais l’on y acceptera des indésirables comme le tritium, impossible à filtrer lorsque rejeté dans l’environnement, ou le Cobalt-60, utilisé dans le secteur médical et qui proviendra d’autres pays. L’appellation « près de la surface » peut induire en erreur, car ces installations mesureront à terme l’équivalent d’un bâtiment de cinq étages au-dessus du sol.

‘L’industrie nucléaire canadienne a marqué un point récemment avec la décision de la Commission canadienne de sûreté nucléaire d’approuver la construction d’une installation de gestion des déchets près de la surface à Chalk River, Ontario.’

Le projet de 37 hectares occupera une forêt vierge, un habitat essentiel du loup de l’Est et territoire de l’ours noir et de l’orignal, des espèces à valeur culturelle pour les peuples algonquins. La zone sera interdite d’accès pendant plus de 400 ans, le temps de remplir les installations et de laisser aux déchets le temps requis pour éliminer tout risque de contamination.

En quoi cela vous concerne-t-il ? Chalk River, ce n’est pas à la porte après tout. Ces installations sont cependant situées sur la rivière des Outaouais, le Kitchi Sibi, et toute contamination pourrait se retrouver dans la rivière, que ce soit par lessivage du sol ou par les nombreux ruisseaux qui se déversent dans la rivière. Et dans quel grand fleuve l’Outaouais se jette-t-il ? Eh oui, le Saint-Laurent. Pas étonnant donc que 192 MRCs, municipalités, assemblées et caucus situés en aval de Chalk River – et qui s’approvisionnent en eau potable dans la rivière Outaouais ou le Saint-Laurent – ont adopté des résolutions s’opposant à ce que ces installations reçoivent ou acceptent des déchets nucléaires ou autres provenant de l’extérieur du site de Chalk River.

Si Chalk River accepte des déchets radioactifs provenant du Canada et d’autres pays, il faut aussi se demander comment ces déchets atteindront leur destination. Peut-être que la flottille de Greenpeace devra reprendre du service afin d’arrêter les bateaux poubelles comme elle le faisait à la fin des années 1970 et au début des années 1980, ce qui a mené à l’adoption en 1996 du Protocole de Londres qui interdit le rejet de déchets nucléaires ou industriels en haute mer.

‘192 MRCs, municipalités, assemblées et caucus situés en aval de Chalk River… ont adopté des résolutions s’opposant à ce que ces installations reçoivent ou acceptent des déchets nucléaires ou autres provenant de l’extérieur du site de Chalk River.’

Vive opposition

Malgré cette opposition et les points de vue exprimés pendant les consultations et dans les médias, le projet va de l’avant, l’industrie nucléaire croyant fermement en sa technologie et en sa bonne étoile : tout récemment une petite tornade s’est abattue dans la région, une zone que l’on surnomme le « Tornado Alley » du Canada. « Une bonne tornade va disperser ces déchets sur un vaste territoire ; ils s’écouleront dans les basins des rivières adjacentes, puis dans le Saint-Laurent et jusqu’à l’Atlantique, et cela pour près d’une éternité », note la présidente de la Coalition Verte, Carole Reed.

Des groupes environnementaux et des Premières Nations – le projet se trouve en territoire algonquin non cédé – se tournent maintenant vers les tribunaux pour essayer de retarder ce qui semble l’inévitable. Une première cause a été entendue en Cour fédérale le 10 juillet pour infirmer la décision de la Commission canadienne de sûreté nucléaire. La nation Kebaowek, une petite communauté anichinabée, y affronte l’opérateur privé, les Laboratoires Nucléaires Canadiens.

« Le devoir de consultation a été violé, a déclaré le chef Lance Haymond de la Première Nation Kebaowek. Nous allons en Cour fédérale pour contester la décision erronée et déraisonnable de la Commission. La Commission devait suivre un processus de consultation équitable qui s’appuie sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ce qu’elle n’a pas fait ». (Vous pouvez lire l’appel du chef Haymond sur la page GoFundMe de la nation Kebaowek.)

‘Nous allons en Cour fédérale pour contester la décision erronée et déraisonnable de la Commission. La Commission devait suivre un processus de consultation équitable qui s’appuie sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ce qu’elle n’a pas fait .’

– Chef Lance Haymond, Première Nation Kebaowek

La nation Kebaowek plaide que la Commission canadienne de sûreté nucléaire n’a pas respecté la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, mise en œuvre en 2021 par la Loi sur la Déclaration des Nations Unies, qui précise le devoir de consulter et d’obtenir un consentement préalable et éclairé des Premières Nations touchées.

Une autre poursuite s’organise pour contester cette fois la façon dont la Commission canadienne de sûreté nucléaire a violé la réglementation canadienne en matière de rejet des contaminants radioactifs dans l’environnement. Le Ralliement contre la pollution radioactive, les Premières Nations et l’organisme Concerned Citizens of Renfrew County mènent la charge.

« Nous avons travaillé sur le front réglementaire à travers les consultations ; nous avons essayé de conscientiser les politiciens et avons travaillé avec les médias pour alerter la population. Les recours judiciaires ne mettront peut-être pas fin au projet ; tout ce qu’il nous reste, ce sont les citoyens », explique Tom Schwalb, membre du comité exécutif du Ralliement contre la pollution radioactive.

Que pouvez-vous faire ? Restez informés et appuyez les groupes qui mènent la bataille. Des dons, peu importe le montant, peuvent aider à payer les frais judiciaires.

Arrêtons les déchets nucléaires. Protégeons le Kitchi Sibi !

Pour plus d’information, veuillez communiquer avec la Coalition Verte à greencoalitionverte@yahoo.ca

Image d’entête : Des manifestants déterminés sur le grand escalier de la Cour fédérale à Ottawa, le 10 juillet dernier, gracieuseté de la Coalition verte

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Louise Legault - WestmountMag.ca

Louise Legault est membre du comité d’orientation de Les Amis du Parc Meadowbrook. Le groupe  défend la rivière Saint-Pierre et le terrain de golf Meadowbrook du développement résidentiel depuis trente ans afin d’en faire un parc nature relié à la falaise Saint-Jacques et au Sud-Ouest par la dalle-parc. lesamisdemeadowbrook.org



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