Lorsque l’échec devient acceptable
De nouvelles approches faciliteraient la coexistence avec les autres espèces
Par Georges R. Dupras
17 juillet 2024
Cette année, Parcs Canada a eu recours à l’abattage massif de daims en Colombie-Britannique. Comme à maintes reprises, la justification incluait ces vieux arguments habituels de “surpopulation, espèces envahissantes et dommages à la végétation”.
Ce projet a fait suite à ce qui est devenu une attaque annuelle contre les cormorans situés sur l’île Middle dans le lac Érié, également menée par Parcs Canada. La raison invoquée pour l’abattage sur l’île Middle est que les cormorans modifient la végétation¹ et constituent une espèce surabondante. Les opinions divergent quant à savoir s’ils détruisent la végétation ou la modifient simplement.
La justification
La “surpopulation” et les espèces “envahissantes” sont devenues le cri de ralliement des chasseurs cherchant à justifier leur passe-temps, le frisson d’un abattage, et des gestionnaires de la faune cherchant la sécurité de l’emploi. Il était clair dès le départ que l’intention était d’éradiquer les daims autour de Oak Bay sur l’île de Vancouver.
L’opération a été menée aux frais du public et malgré les protestations de nombreux résidents là où les tirs aériens ont eu lieu. L’intention est de poursuivre cet automne avec une opération au sol pour tuer les cerfs restants.
La “surpopulation” et les espèces “envahissantes” sont devenues le cri de ralliement des chasseurs cherchant à justifier leur passe-temps, le frisson d’un abattage, et des gestionnaires de la faune cherchant la sécurité de l’emploi.
Le coût
Le coût a largement dépassé les attentes et a surpris la population lorsqu’il a finalement été révélé – 84 cerfs, à la fois des daims et des cerfs à queue noire, abattus pour un coût de 834 000 dollars, soit un peu moins de 10 000 dollars par animal. On a entendu la litanie habituelle d’excuses, comme le fait que les cerfs endommageaient la végétation², y compris certaines plantes d’importance historique pour la population autochtone de la région. On pensait également que les daims pouvaient être dangereux pour les humains.
Personne ne conteste l’impact de ces animaux sur la végétation. Cependant, on parle peu du rôle que les chasseurs ont joué en les introduisant dans la région en premier lieu. Contrairement aux daims, les cerfs mulets, alias cerfs à queue noire, semblent être arrivés d’eux-mêmes. Quant aux incidents impliquant des cerfs et des voitures, je me demande si un changement dans les habitudes de conduite ne profiterait pas à tous les concernés (voir Incidents cerfs-voitures ci-dessous).
Une option prometteuse
Plusieurs années avant l’abattage des daims, il y avait des plans pour abattre des cerfs à queue noire dans la communauté d’Oak Bay, qui fait partie de la ville de Victoria. Deux espèces de cerfs à queue noire sont indigènes de l’ouest de l’Amérique du Nord. Grâce à un financement de l’Alliance Animale du Canada (AAC), des professionnels bénévoles ont été engagés pour tranquilliser et stériliser³ les cerfs dans l’idée de réduire humainement la population.
Le projet de l’AAC semblait prometteur, mais Parcs Canada a choisi une approche d’abattage obsolète pour leur zone spécifique. L’application de l’initiative non létale et rentable de l’AAC devrait s’améliorer si on lui accorde la patience et le soutien qu’elle mérite.4
‘Grâce au financement de l’Alliance Animale du Canada, des professionnels travaillant bénévolement ont pu être embauchés pour tranquilliser et stériliser ³ les cerfs dans le but de réduire la population sans cruauté. Cette initiative entreprise par l’AAC s’est révélée prometteuse…’
De juridiction provinciale
Plutôt cette année, la Ville de Longueuil, située sur la rive sud de Montréal, a annoncé qu’elle permettrait l’abattage des cerfs de Virginie sur leur territoire. La justification de cet abattage est « la surpopulation qui attire les coyotes prédateurs 5, et la sécurité des humains ».
Incidents impliquant voitures et cerfs
Il y a une question d’accidents de voiture causés par les cerfs. Voilà un domaine dans lequel le Ministère des transports pourrait être utile. Lorsqu’on laisse pousser la végétation en bordures des routes, incluant les bandes médianes, les risques d’accidents sont plus élevés. Une vue dégagée permettrait aux conducteurs et aux animaux d’éviter les collisions.
Les politiques fauniques au Québec relèvent du Ministère des ressources naturelles et sont formulées avec la contribution de la Table de concertation. Ce groupe est composé de chasseurs, de trappeurs, de pêcheurs, de fourreurs et d’agriculteurs. Ils sont surtout connus en tant que « parties prenantes » (leur expression et non la mienne). La confusion avec cette expression est que nous sommes tous parties prenantes en matière d’environnement.
‘Malgré son mandat de représenter tous les acteurs Québécois, le ministre répond avant tout aux parties prenantes choisies. Par conséquent, je suggérerais aux non parties prenantes souhaitant déposer une plainte de s’adresser directement au bureau du premier ministre François Legault.’
Le Président écoute les intervenants invités et transmet leurs commentaires au ministre. Malgré son mandat de représenter tous les acteurs Québécois, le ministre répond avant tout aux parties prenantes choisies. Par conséquent, je suggérerais aux non parties prenantes souhaitant déposer une plainte de s’adresser directement au bureau du premier ministre François Legault.
De juridiction fédérale
Quant au territoire fédéral, et en ce qui concerne ces projets, Parcs Canada et le Service canadien de la faune répondent aux besoins des communautés rurales. Le gouvernement montre toujours un intérêt particulier pour les circonscriptions marginales et a donc une tendance à soutenir les parties prenantes dans ces régions. Cela dit, si vous souhaitez changer ou influencer la manière dont les décisions sont prises, l’option la plus efficace serait d’écrire directement au Premier ministre.
Lorsque l’échec devient acceptable
L’un des domaines de honte dans la conservation traditionnelle est notre acceptation croissante de l’échec. Il est vrai que nous apprenons de l’échec, mais cela ne veut pas dire que nous en faisons notre carrière. Lorsque les questions de conservation sont vulnérables aux priorités politiques et économiques, et que nous nous rabattons sur la technologie du 19ième siècle (les armes et les poisons), alors nous avons sûrement échoué.
‘Lorsque les questions de conservation sont vulnérables aux priorités politiques et économiques, et que nous nous rabattons sur la technologie du 19ième siècle (les armes et les poisons), alors nous avons sûrement échoué.’
Le changement est une constante
Un changement progressif ne se produira que si nous sommes prêts à permettre à nos schémas de pensée personnels de se développer. Résister à tout changement c’est refuser de faire le premier pas, possiblement par crainte de savoir où la deuxième étape nous mènera. Accepter de nouvelles approches, dont plusieurs viennent d’autres régions du monde, facilite grandement la façon dont nous coexistons avec d’autres cultures et espèces.
Le Projet en Colombie Britannique (La relocalisation et stérilisation possible du cerf mulet 6) est un exemple de cette première étape, et dans lequel l’Alliance Animale du Canada a joué un rôle important.
¹ Il est possible que seule la végétation menacée au niveau provincial soit concernée. Il se peut qu’il y ait eu un manque de surveillance sur le continent.
² Les éléphants et les loups modifient la végétation là où ils vivent. Cette réalité n’est pas considérée comme une mauvaise chose.
³ Pour clarifier, nous parlons de deux projets différents. L’opération d’Oak Bay s’est révélée prometteuse et n’a pas impliqué de relocation, alors que celle à l’intérieur impliquait une relocation. Dans aucun cas, les cerfs n’ont été soumis à la fois à la stérilisation et au transfert. C’était l’un ou l’autre. Le groupe stérilisé s’est montré prometteur mais impliquait une population relativement isolée. Nous pensons que nous obtiendrions davantage de succès si cela était réalisé sur une île où la population est plus isolée.
4 Avant que l’abattage par Parcs Canada ne soit sanctionné, les responsables de l’abattage doivent procéder à un comptage complet de la population des espèces dépendantes. À ma connaissance, cela n’a pas été fait.
5 Les coyotes ne sont pas connus pour abattre des cerfs. Ce sont des charognards qui tuent les animaux domestiques laissés sans protection par des propriétaires irresponsables. Cela ne fait qu’ajouter à la peur irrationnelle du public à l’égard des animaux sauvages.
6 Les cerfs mulets d’Oak Bay, sur l’île de Vancouver, ont été tranquillisés. Les cerfs mulets de l’Okanagan, sur le continent, n’ont pas été.
Avertissement : Les opinions exprimées dans cet article sont celles de son auteur et ne reflètent pas les opinions de WestmountMag.ca ou de ses éditeurs.
Image d’entête: daims par Olga Shenderova – PexelsAutres articles par Georges Dupras
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Georges R. Dupras se fait le champion et le défenseur des animaux depuis plus de 50 ans. Il est membre de l’International Association for Bear Research and Management (IBA) et un ancien directeur de la Société canadienne pour la prévention de la cruauté envers les animaux (CSPCA). En 1966, il s’est impliqué dans la campagne initiale pour sauver les phoques qui a mené à la fondation de l’International Fund for Animal Welfare (IFAW) en 1969. Il a publié deux livres : Values in Conflict et Ethics, A Human Condition. Georges demeure à Montréal, Québec, Canada.
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