Un vent chaud d’Afrique
pour réchauffer les cœurs
Être griot aujourd’hui enflamme la Salle Bourgie avec un répertoire fusionnant les ambiances
Par Luc Archambault
30 novembre 2022
Le concert Être griot aujourd’hui, présenté dans le cadre de l’exposition À plein volume – Basquiat et la musique, faisait écho à la fascination de l’artiste visuel Jean-Michel Basquiat pour le griot, ce musicien et conteur de l’Afrique de l’Ouest. Quatre griots montréalais – Djely Tapa, Zal Sissokho, Aboulaye Koné et Fa Sissokho – tous descendants de familles prestigieuses de l’Empire mandingue, se sont rassemblés pour ce concert donné à la Salle Bourgie le 24 novembre dernier.
Ce concert fut d’une rare intensité. On se serait cru à une soirée de Nuits d’Afrique, et non à la vénérable Salle Bourgie. Djely Tapa a réussi à ensorceler l’auditoire, toute d’or vêtue et se déhanchant aux rythmes endiablés de ses acolytes. Elle a même fait lever la salle afin que tous les auditeurs participent à la danse.
Être griot aujourd’hui
Les griots étaient des personnages très écoutés dans leurs sociétés, puisqu’ils incarnent le respect et le sens de traiter les mésententes pouvant exister entre des personnes qui vivent dans une même société. Non seulement personnage de palais, invité du roi comme conseiller, mais aussi médiateur des différends dans les sociétés, le griot était à l’origine un savant, détenteur de la parole, se servant d’elle pour réparer les dissensions.
Qui est griot, qui ne l’est pas ? L’on se questionne désormais, avec raison. Surtout avec la commercialisation à outrance du rôle du griot dans la sphère musicale. La force de l’argent a désormais pris le dessus sur cette tradition, cette coutume tant appréciée de génération en génération. Ce niveleur devient de plus en plus un appareil destructeur des valeurs culturelles et traditionnelles de l’Afrique.
Aujourd’hui, n’importe qui peut s’autoproclamer griot. Pour gagner de l’argent, certains sont même capables de jouer ce rôle qui ne leur revient pas de droit, et même passer pour un Kéita griot, qui était censé appartenir à la classe royale.
L’histoire d’une tradition orale millénaire
Au son de la kora, des percussions ou de la guitare, entre parole, chants et rythmes traditionnels mandingues, le concert puise racine dans l’art ancestral du griot de l’Afrique de l’Ouest et retrace l’histoire d’une tradition orale millénaire. Porteurs de culture et messagers par excellence de la tradition africaine, les quatre musiciens nous ont fait découvrir nombre de contes de leurs contrées.
Aujourd’hui, n’importe qui peut s’autoproclamer griot. Pour gagner de l’argent, certains sont même capables de jouer ce rôle qui ne leur revient pas de droit.
Ils sont tous les quatre issus de familles des plus importantes représentantives de griots : Djely Tapa (Mali), Zal Sissokho (Sénégal), Fa Sissokho (Sénégal), Aboulaye Koné (Côte d’Ivoire – Burkina Faso). Ces griots habitant désormais Montréal se sont rassemblés le temps d’une soirée à la Salle Bourgie.
Djely Tapa
Descendante d’une lignée illustre de griots maliens, la chanteuse Djely Tapa a animé la scène avec un répertoire fusionnant ambiances sahéliennes, blues et électro. Son album Barokan incarne un hommage retentissant à la femme et à l’africanité. Sa voix riche et puissante, le débit incandescent, le geste élégant, Djely Tapa est une vocaliste de fort calibre. En mai 2019, elle a été nommée Révélation Radio-Canada Musique du Monde et Barokan a reçu le prix du Meilleur album musique du monde lors de la cérémonie des prix Juno 2020. Elle est également lauréate de l’édition 2022 du Mois de l’Histoire des Noirs.
Zal Sissokho
Auteur-compositeur- interprète, Zal Sissokho est aussi un virtuose de la kora. Originaire du Sénégal, il conjugue à merveille son ouverture sur le monde et sa volonté de préserver sa culture et les traditions orales des peuples d’Afrique de l’Ouest. Il chante notamment en malinké et en wolof.
Aboulaye Koné
Originaire de Côte d’Ivoire, Aboulaye Koné descend d’une famille de griots. Il apprend la musique au Burkina Faso auprès de Djeli Baba Kienou. Au Canada, il est considéré comme un musicien mandingue de tout premier ordre. Son ensemble Bolo Kan a remporté en 2008 et en 2009 le Syli d’Argent et le Syli d’Or de la musique du monde. Son premier album Afo Gné a été en nomination aux Prix Juno 2012 dans la catégorie Meilleur Album – musique du Monde.
Fa Sissokho
Arrivé au Québec en 2013, Fa Sissokho s’est vite démarqué sur la scène musicale africaine montréalaise par son immense talent. Fa est un soliste impressionnant : il maîtrise l’art du djembé et réussi à le faire parler à travers un langage rythmique d’une rare intensité et beauté. Son jeu est imprégné d’une énergie électrisante et le son de son djembé coupe littéralement le souffle aux auditeurs.
Deux remarques, cependant, concernant ce concert : D’une part, le programme plus que minimaliste accompagnant ce spectacle. Peu, voire pas d’informations pertinentes sur ces quatre musiciens, bien que ceux-ci logent ici-même à Montréal. Aucune recension des chansons, encore moins de traductions des paroles. Comme si ce programme avait été compilé à la hâte. Incompréhensible de la part d’un haut lieu de culture comme la Salle Bourgie.
De même, la sonorisation de ce concert qui aura fait sourciller le musicophile en moi. Tant la guitare mandingue que la kora auront souffert de distorsions lorsque des notes basses étaient jouées. Je ne comprends pas comment une salle d’excellente distinction comme la Salle Bourgie aura pu laisser passer pareille négligence. Il faut aussi noter le débalancement du micro de madame Tapa, dont le volume n’était pas assez fort, se laissant couvrir par ces deux instruments. Comparée à la norme habituelle, cette sonorisation semblait elle aussi avoir été réglée à la hâte.
Images : Frederic Faddoul
Luc Archambault, écrivain et journaliste, globe-trotter invétéré, passionné de cinéma, de musique, de littérature et de danse contemporaine, est revenu s’installer dans la métropole pour y poursuivre sa quête de sens au niveau artistique.
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