Le REM :
Un autre stade olympique ?
Les coûts réels du Réseau express métropolitain
Par Patrick Barnard
Traduit de l’anglais par Louise Legault
On a décrit le Réseau express métropolitain (REM) comme étant le plus important projet de transport public à Montréal depuis 50 ans, une « nouvelle ère de grands projets » associés à la mobilité, selon le premier ministre Philippe Couillard lors de l’inauguration de ce projet de 6,3 milliards $ le 8 février dernier.
Voilà pour le battage entourant le système de « Skytrain » de 67 kilomètres de la région montréalaise. Malheureusement, la réalité est toute autre, le REM représentant un abus des fonds publics pour un mégaprojet dont les ramifications commencent déjà à se faire sentir.
Le projet du REM ne tient pas du système de métro futuriste d’Expo 67, mais ressemble plutôt à la construction du stade olympique qui a laissé deux générations de Montréalais croulant sous les dettes.
La Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), le bas de laine des Québécois, a vendu cette modernisation des réseaux de transport public de Montréal à travers sa filiale d’infrastructure CDPQ Infra.
Les paliers fédéral et provincial y vont chacun de 1 283 milliards $ qui s’ajoutent aux 2,95 milliards $ consentis par la Caisse. Montréal a promis pour sa part 100 millions $ et l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) versera 512 millions $.
Le projet du REM ne tient pas du système de métro futuriste d’Expo 67, mais ressemble plutôt à la construction du stade olympique qui a laissé deux générations de Montréalais croulant sous les dettes.
Toutes ces sommes proviennent de fonds publics, qu’il s’agisse de cotisations au régime de retraite ou de taxes. Sous son site Web, CDPQ Infra énonce cependant que « les projets d’infrastructures confiés à CDPQ Infra ne figureront pas sur le bilan du gouvernement ». Un tel énoncé laisse suggérer qu’un projet comme le REM sera rentable et ne coutera pas un sou au gouvernement.
Pour les administrations Couillard et Trudeau donc, le REM n’apparaitrait pas dans le « bilan du gouvernement », alors qu’en fait le REM dépend depuis sa tendre enfance d’importants investissements publics et continuera de le faire tout au long de sa vie utile.
De plus, la règlementation et les ententes garantissent à la Caisse un rendement annuel de 8 % sur son investissement, avec l’option dans cinq ans de vendre tout le système à un acheteur local ou étranger. Le 19 janvier 2017, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) a publié un rapport exhaustif très critique à l’égard du REM. Les commissaires ne pouvaient recommander le projet faute de réponses « notamment sur les aspects financiers, écologiques, de justification en matière de fréquentations, d’impact sur l’aménagement du territoire et de gouvernance ». (BAPE Conclusion : Projet de réseau électrique métropolitain de transport collectif, pp. 212-217 )
Le BAPE soulignait que l’actuel réseau de transport public de Montréal avait « une mission de service public » et ne comportait pas d’obligation à produire « de rendement financier » alors que « leur financement est d’abord assuré par l’État québécois et par les municipalités ».
Le premier ministre Couillard a insisté immédiatement sur le fait que le rapport du BAPE ne pouvait « absolument pas » arrêter le REM, et le maire Coderre de Montréal a encensé le projet et appelé à une fin rapide des travaux. Ces deux politiciens n’ont nullement tenu compte de l’énoncé du BAPE qui, n’ayant pas accès aux données sur les revenus et les couts, jugeait qu’« il subsistait encore beaucoup d’inconnus concernant les aspects économiques et financiers du projet, qu’il s’agisse du rendement espéré de la Caisse ou de l’intégration tarifaire ».
Les trois principales préoccupations entourant le REM sont : les couts réels, l’impact négatif du projet sur les réseaux existants et ses effets à long terme.
Couts réels
Luc Gagnon et Jean-François Lefebvre, deux importants critiques du REM, évaluent que les dépenses en immobilisations initiales réelles atteindront 8 milliards $ et qu’il en nécessitera 2 milliards $ de plus pour les acquisitions, le tunnel Deux-Montagnes, par exemple. Patrick Bergeron de la Presse canadienne a obtenu un document confidentiel sur l’achalandage et rapporte que « Les contribuables pourraient devoir payer plus de 11 milliards à la Caisse de dépôt et placement pour son Réseau express métropolitain (REM), au cours des 20 prochaines années » (REM : les contribuables pourraient devoir payer plus de 11 milliards, La Presse, 16 avril 2018). Les dernières ententes publiées le 23 avril indiquent que l’ARTM devra payer 72 cents par passager/kilomètre – une subvention de taille à la Caisse.
‘… la Caisse avait choisi la technologie en hauteur « Skytrain » pour le REM, l’option la plus dispendieuse qui coute trois fois plus que de construire au sol.’
Additionnez tous ces couts et vous obtenez un projet qui sera trois fois plus dispendieux pour la prochaine génération que le montant initial prévu de 6 milliards $.
MM. Gagnon et Lefebvre ont souligné à maintes reprises que la Caisse avait choisi la technologie en hauteur « Skytrain » pour le REM, l’option la plus dispendieuse qui coute trois fois plus que de construire au sol. Les stations du REM exigent en plus de grandes quantités de béton dont la production génère d’importantes émissions de gaz à effet de serre.
Impact sur les systèmes de transport existants
Les Montréalais subissent déjà l’impact du REM avec une réduction de 25 % du service sur le trajet Deux-Montagnes. En 2020, ce circuit sera complètement fermé pendant deux ans, trois ans pour ceux qui utilisent la station Deux-Montagnes. Puisque le REM détient un monopole sur ses stations, il sera à même de retirer légalement des services alternatifs comme l’autobus. De plus, le trajet particulier du REM ne dessert pas de grands pans de la ville, tout l’est de la ville en fait, non plus que NDG ou Lachine. La boucle nord vers l’aéroport fait en sorte que la population de NDG, par exemple, devra passer par le centre de la ville pour accéder au REM vers l’aéroport Trudeau. Et l’ironie dans tout cela, comme en conclut le BAPE, c’est qu’ « à peine 10 % des usagers du REM proviendraient d’automobilistes qui délaisseraient la voiture ». Pis encore, les grands stationnements incitatifs conçus pour les stations du REM ne feront qu’encourager l’utilisation de l’automobile, que ce soit pour accéder au système ou – plus certainement – le contourner complètement.
Effets à long terme
Le REM, sans aucun contrôle politique, pourrait à long terme mettre à mal le système de transport de Montréal, sa planification urbaine et l’ARTM. La loi 137 de l’Assemblée nationale du 27 septembre 2017 prévoit que le « droit » d’expropriation de la Caisse et de CDPQ Infra « ne peut être contesté » et que les ententes contractuelles entre la Caisse et l’ARTM n’ont pas à être approuvées par la Communauté métropolitaine de Montréal. En ce qui a trait à « diverses dispositions concernant la fiscalité municipale », le REM « et son exploitant n’y sont pas assujettis ». Pas étonnant donc que certaines municipalités – Laval et Longueuil notamment – se montrent préoccupées quoiqu’elles aient été assurées que leurs contributions au REM demeureraient modestes.
‘Le REM, sans aucun contrôle politique, pourrait à long terme mettre à mal le système de transport de Montréal, sa planification urbaine et l’ARTM.’
Dans un article publié en 2016, le professeur adjoint d’urbanisme à l’Université McGill Ahmed M. El Geneidy (Caisse to charge new regional transit body for operating costs, Jason Magder, Gazette, 11 décembre 2016) avait prévu que de payer la Caisse pour gérer un service de transport public en faisant un profit entrainerait un important déficit pour le gouvernement… autrement dit, la Caisse mise 3,1 milliards $ aujourd’hui et engrangera les profits à l’avenir dans les poches de nos enfants sur les titres de transport, mais cela ne suffira pas à défrayer le cout des opérations. L’ARTM affichera donc un énorme déficit pour les 20 prochaines années afin de rembourser ces 3 milliards $. Ce sera tout comme les Olympiques, disait-il, alors que nous avons flambé beaucoup d’argent et accumulé les prêts, ce qui nous a empêchés de lancer de grands projets, car notre niveau d’endettement était trop élevé.
J’ai récemment communiqué avec le professeur El Geneidy qui m’a référé à ce qu’il avait dit dans la Gazette il y a 18 mois… et malheureusement, j’ai bien l’impression que ses dires sont encore plus vrais aujourd’hui.
Images : REM
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Patrick Barnard est membre du conseil d’administration de la Coalition verte, un groupe environnemental non partisan à Montréal. Il est également rédacteur en chef du blog vidéo The Pimento report/Le Piment et journaliste indépendant. Il a travaillé par le passé pour CBC Radio, Radio Netherlands et Dawson College où il a enseigné la littérature anglaise. Il est également l’un des 20 environnementalistes et experts du transport qui ont signé une lettre ouverte à Montréal demandant la fin du REM.
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