Wycinka Holzfällen,
ou Des arbres à abattre
Une version théâtrale dense du roman de Thomas Bernhard
Par Luc Archambault
À travers une vision polonaise, une exploration en profondeur sur la prostitution artistique face au pouvoir et à la popularité, à une époque où l’État et l’Art ne font pas bon ménage en Pologne, où le gouvernement catholique y a cessé toute subvention d’œuvres théâtrales ne cadrant pas avec sa vision de droite, tel que révélé hier en fin de programme par Lukasz Twakowski, l’assistant du metteur en scène Krystian Lupa.
… une exploration en profondeur sur la prostitution artistique face au pouvoir et à la popularité…
Le roman de Thomas Bernhard, Des Arbres à abattre, [ Holzfällen ], publié en allemand en 1984, demeure une critique contemporaine des plus vives sur le rôle servile, voire accessoire, que jouent l’Art et les artistes qui doivent ramper jusqu’aux deniers accordés par les hautes instances du pouvoir.
Ce roman est la seconde partie d’une trilogie qui explore la scène artistique viennoise. La première partie, Le Naufragé [ Der Untergeher ], publiée en 1983, portait sur la musique, et en 1985 la troisième, Maîtres Anciens [ Alte Meister, Komödie ], portait sur la peinture.
… c’est là que réside tout le génie de Bernhard : il sait mettre le doigt là où le bât blesse, en plein cœur de la plaie, là où l’Art prend une place secondaire face au Politique.
Le roman fit scandale et fut momentanément interdit en Autriche à la suite d’une plainte en diffamation déposée par le compositeur Gerhard Lampersberg, qui s’était reconnu dans le personnage de Gerhard Auersberge, un sénile et prétentieux successeur auto-proclamé de Schönberg, l’hôte ivre, avec son épouse Maya, de ce ‘dîner artistique’ auquel le narrateur est invité.
Le tour de force de cette adaptation est d’incarner le narrateur en tant que Thomas Bernhard lui-même, alors que le narrateur du roman n’est jamais identifié. Décrit à l’origine comme une œuvre satyrique, ce roman a rapidement résonné par son acuité féroce du milieu artistique moderne et par sa description de l’artiste comme quémandeur, voire même parasite, face au pouvoir, perdant vue en fin de compte de sa vraie vocation. Sans grande surprise, Thomas Bernhard a souvent été accusé de n’être qu’un Nestbeschumtzer (quelqu’un qui salit son propre nid) par ses contemporains autrichiens.Il s’agit ici d’une œuvre majeure. Avec une durée totale de 4 heures 40 minutes, ce sera une soirée éprouvante pour ceux qui sortent d’une table lourde et bien arrosée. Particulièrement le premier acte, où le ton est donné, où les banalités d’usage sont échangées à gauche et à droite. Mais après l’entracte, avec le déchaînement de l’orage, le temps se mettra à s’accélérer, en raison de l’intense lutte verbale qui s’engage entre les participants.
Tout comme la dénonciation tous azimuts du rôle accessoire de l’Art dans la modernité, car c’est là que réside tout le génie de Bernhard : il sait mettre le doigt là où le bât blesse, en plein cœur de la plaie, là où l’Art prend une place secondaire face au Politique. Avec cette version théâtrale polonaise de ce magnifique roman, on atteint un niveau supérieur en un rien de temps. Les surtitres sont tant français qu’anglais. C’est une pièce essentielle pour quiconque se soucie du financement de l’Art, cette réalité en voie d’extinction par le biais des coupures aux subsides de nos états dits démocratiques.
Images: FTA – Festival TransAmériques
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Luc Archambault
Écrivain et journaliste, globe-trotter invétéré, passionné de cinéma, de musique, de littérature et de danse contemporaine, il revient s’installer dans la métropole pour y poursuivre sa quête de sens au niveau artistique.
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