‘Jusqu’où te mènera Montréal?’
un fiasco en clôture du FTA
Ramassis de clichés et manque de profondeur en fin de parcours
Par Luc Archambault
« L’an prochain, nous allons aller encore plus loin dans l’expérience. » Martin Faucher, codirecteur général et directeur artistique du FTA.
Non, je ne suis pas réfractaire à l’expérimentation, encore moins à l’audace, sous toutes ses formes possibles. Même que j’attends, voire même espère, un minimum d’audace et de risque à chaque fois que je franchis le seuil d’un théâtre. Montréal, en règle générale, et encore plus le FTA, le Festival Trans-Amérique, en sont les dépositaires parfaits, sauf pour quelques rares exceptions. Et ce triste Jusqu’où te mènera Montréal en fait partie, malheureusement.
… ces auteurs semblent avoir été parachutés en des endroits desquels ils n’avaient aucune information préalable.
Le concept d’origine est pourtant intéressant : choisir sept auteurs (la romancière et auteure dramatique d’origine congolaise Marie Louise Bibish Mumbu, l’auteur dramatique et metteur en scène Sébastien David, l’auteure et traductrice anglophone Alexis Diamond, la metteure en scène Anne-Marie Guilmaine, l’auteur-compositeur- interprète et écrivain Thomas Hellman, l’artiste et militante innue, présidente de la Wapikoni mobile et co-organisatrice d’Idle No More Qc, Melissa Mollen Dupuis, et l’essayiste et auteur dramatique Pierre Lefebvre), les marier chacun à un quartier ou arrondissement (Hochelaga-Maisonneuve, Villeray, St-Michel, Westmount, le Vieux-Montréal, Beaconsfield, Parc-Extension), lancer les dés, et voir ce que les diverses visites accompagnées d’un photographe pourraient faire germer dans les cerveaux de ces explorateurs.
Encore eut-il fallu que le terreau soit débordant d’engrais et de fertilité, ce qui, à mon avis, est justement ce qui faisait défault ici parce que ces auteurs semblent avoir été parachutés en des endroits desquels ils n’avaient aucune information préalable – est-ce possible, en cet âge d’internet à haute vitesse et de toile tous azimuts? – ou du moins ne semblent-ils pas en avoir fait grand usage.
Encore eut-il fallu que le terreau soit débordant d’engrais et de fertilité, ce qui, à mon avis, est justement ce qui faisait défault ici…
Par exemple, lorsque Thomas Hellman décrit Villeray, en s’attardant sur l’intersection Jarry et Christophe-Colomb, il ne remarque que le côté nord, et ce bien superficiellement (il parle du bloc d’immeubles résidentiels du coin nord-ouest, du méga-marché IGA du coin nord-est, avec une brève remarque sur le Parc Villeray au sud-est, mais silence absolu sur l’église orthodoxe roumaine de l’Annonciation du coin sud-ouest, tout comme sur l’aréna Jean-Rougeau au cœur du Parc Villeray (l’ancienne aréna Villeray, où tant de jeunes hockeyeurs ont usé leurs patins), rien non plus sur l’impact hautement négatif de l’installation de ce marché sur la Plaza St-Hubert, au nord de Jean-Talon, qui a tué tous les petits commerces d’alimentation.
Non. Ces textes ne sont que des vignettes impressionnistes, des cartes postales superficielles d’une visite sans queue ni tête, où seul le tape-à-l’œil et les généralités grosses comme des poutres font ombrage à la réalité. Car, que m’importent les impressions de racisme qu’a perçue Bibish Mumbu à Westmount, si clles-ci ne sont pas portées en exergue face à des comportements opposés ou similaires ailleurs dans la ville? Aurait-elle été reçue différemment à Saint-Michel, ou dans Hochelaga-Maisonneuve ? Et Pierre Lefebvre, qui s’insurge contre la langue d’accueil des commerces de Parc-Extension, comment aurait-il réagi en entrant dans un commerce ou un dépanneur tenu par des récents arrivants partout ailleurs, baragouinant un français approximatif ? Que Parc-Extension soit peuplé en majorité de ressortissants du sous-continent Indien change-t-il quoi que ce soit à leur capacité d’accueil ?
Et l’accompagnement « musico-théâtral », digne d’un spectacle de CÉGEP, avec des textes tous plus insipides les uns que les autres, qui martèlent un message élogieux face à la ville, à son ouverture et à sa diversité; quelle baliverne! Et qui a pensé inviter une artiste Innue, aussi compétente et intelligente soit-elle, alors que les Innus vivent sur la Côte-Nord, au détriment des Haudenosaunee qui, eux, habitaient cette région et y vivent encore en périphérie de Montréal, à Kahnawake et à Kanesatake. Ce sont des Mohawks, ou Iroquois en français, qui ne sont pas unilingues anglophones. Il me semble que ceci démontre une certaine ignorance de ‘notre’ histoire et constitue même un affront et un manque de respect envers ces populations.
Ces textes ne sont que des vignettes impressionnistes, des cartes postales superficielles d’une visite sans queue ni tête, où seul le tape-à-l’œil et les généralités grosses comme des poutres font ombrage à la réalité.
Un peu comme le soulignait le collègue James Oscar lors du bilan critique du FTA, en identifiant le manque d’ethnicité à ce festival, qui représente trop, à ses yeux, à un festival entre blancs et non un vrai festival Trans-Amériques. Or en dépit de Monument 0 et de quelques autres interprètes et auteurs de couleur lors de ce Jusqu’où te mènera Montréal?, il est vrai que la composition ethnique des divers intervenants dans ce festival, sans même mentionner la composition de la clique de critiques qui trônait sur ce bilan, ne laissait guère paraître une grande diversité ethno-culturelle.
Une fin en queue de poisson, donc, pour ce FTA 2017, qui aura atteint des sommets sur le plan théâtral et sur celui de la danse, mais dont la finale, d’un amateurisme tape-à-l’œil et d’un manque de profondeur notable, devrait remettre en question la facture même de la direction artistique de cet évènement.Aller plus dans l’expérience ? Sans doute, mais pas au détriment de la qualité des spectacles et des recherches. Car passer du symbolisme lyrique de La posibilidad que desaparece frente al paisaje, qui nous faisaient visiter pas moins de dix villes différentes, à votre Jusqu’où te mènera Montréal, une visite superficielle de sept quartiers et arrondissements de notre ville, c’est tomber bien bas en terme de théâtralité et d’exploration expérimentale. L’un nous propulse vers des sommets de l’imaginaire, alors que l’autre nous ramène à la bonne vieille recette éprouvée de la ‘Petite Vie’, où la facilité et les lieux communs se partagent une scène qui devrait être confinée tout au plus dans un festival de moindre envergure, et non au FTA.
Images: Festival TransAmériques
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Luc Archambault
Écrivain et journaliste, globe-trotter invétéré, passionné de cinéma, de musique, de littérature et de danse contemporaine, il revient s’installer dans la métropole pour y poursuivre sa quête de sens au niveau artistique.
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