Ceux qui font les révolutions à moitié…

…n’ont fait que se creuser un tombeau : La révolte mène-t-elle à la révolution ?

Par Luc Archambault

Un film prend l’affiche sur les écrans québécois le vendredi le 3 février 2017. Il met en scène quatre protagonistes, des jeunes issus du Printemps érable, fervents adeptes du mouvement de protestation qui a embrasé les rues du Québec. Mais suite à l’apaisement de la fronde, ceux-ci n’abandonnent pas leur combat. Au contraire, ils s’isolent et entrent dans un mode ‘révolutionnaire’, squattent un appartement délabré et commettent des gestes concrets afin de clamer haut et fort leur désenchantement face à la société.

Le titre du film est tiré d’une citation du révolutionnaire français Louis Antoine Léon Saint-Just. D’emblée, le ton est donné. Le film, tout comme le scénario, publié aux éditions Flammarion Québec, est truffé de citations, de scènes de documentaires (Le Temps des bouffons, une vidéo de campagne électorale de Justin Trudeau, divers documentaires de l’ONF, etc.), qui enrichissent d’autant plus la teneur fiévreuse de ce fil narratif. Il en résulte une œuvre baroque, inclassable dans la mièvrerie normalement servie aux cinéphiles. Un film qui se démarque, donc, et qui laissera les jeunes et les moins jeunes pantois, du moins ceux et celles qui savent se servir de leurs capacités cérébrales.

Il est très facile de critiquer la société de consommation sur un ton rieur. Le faire en adoptant une attitude punk sans avenir, en marge de la complaisance et du simple effet d’entraînement, est beaucoup plus difficile. Ces jeunes ont décidé de se couper du reste du monde et de vivre leurs idéaux jusqu’à la limite du supportable. Cet abandon, cette liberté totale, cette délivrance face à l’encagement social est beau à voir, même si le constat final est un d’échec. En fait, pas vraiment et le terme ‘échec’ est trop fort car c’est la survie de l’idéal qui est en jeu. Et celle-ci se jouera suite au récit.

…une œuvre baroque, inclassable dans la mièvrerie normalement servie aux cinéphiles. Un film qui se démarque, donc, et qui laissera les jeunes et les moins jeunes pantois…

Il n’est donc pas étonnant que ce brûlot cinématographique ait récolté succès après succès dans moult festivals internationaux, même en Ontario au TIFF (Toronto International Film Festival). D’une durée plus que respectable de 183 minutes, ce film a suscité maintes fortes réactions : sorties intempestives et huées, puis applaudissements passionnés à la fin. Bref, il ne passe pas inaperçu. La ferveur des jeunes comédiens Charlotte Aubin (Giutizia), Laurent Bélanger (Tumulto), Gabrielle Boulianne-Tremblay (Klas Batalo) et Emmanuelle Lussier-Martinez (Ordine Nuovo), vient amplifier le ton de défi qu’on su insuffler Mathieu Denis et Simon Lavoie au scénario dont ils ont accouché, avant de réaliser ce magnifique film. Un film qui, tout comme Nelly d’Anne Émond, place la nouvelle génération de cinéastes québécois à l’avant-scène du septième art.

Cependant, pour les générations plus âgées, ce film pourra sembler d’une dureté sans rémission, surtout pour ce qui est des idéaux. Car ces jeunes idéalistes brûlent implacablement les ponts avec tout le tissu social et rejettent tout, famille, possessions, intimité, avenir, pour ne se conjuguer qu’au présent. Un présent qui les fuit, comme ils le fuient eux-mêmes. Ce nihilisme s’articulera d’ailleurs au cœur d’une scène entre Klas Batalo et un client d’un certain âge dans le salon de massage où elle travaille.

Cependant, pour les générations plus âgées, ce film pourra sembler d’une dureté sans rémission, surtout pour ce qui est des idéaux.

Ce client, d’une culture certaine, remarque le livre de Rosa Luxemburg que la jeune femme lit. Il lui parle avec nostalgie de ses propres antécédents ‘révolutionnaires’, ce à quoi elle lui rétorque : « La fermes-tu ta yeule, ostie de porc ? » suivi de « T’as pas le droit de dire ces mots-là, T’AS PAS LE DROIT, tu comprends-tu ça ? ». Il lui parle alors du ravage du temps, de l’effritement des idéaux. Elle se rebiffe complètement, poursuivant l’attaque : « Tu m’dégoûtes, ostie qu’tu m’dégoûtes ! Tu me donnes envie de vomir ! On s’en crisse de ta jeunesse pis d’tes cheveux longs ! R’garde où ce que ça t’a mené ! » Suite à cette altercation, Klas Batalo cessera de travailler au salon de massage, seule source de revenu de la bande des quatre.

Cette intensité, cette attaque en règle contre la société est fondamentale pour quiconque veut comprendre un tant soit peu la désillusion de la jeunesse. Bien que celle qui est explorée dans ce film soit marginale, le courant sous-tend l’attitude mécanique et désincarnée chez nos jeunes concitoyens. Un peu plus, et on ramène les questionnements purement punks à la mode du jour. Mais qui dit que les questionnements ne représentent pas la saine attitude à adopter dans une ère où les bouffons de tout acabit prennent le pouvoir et l’exercent sans se soucier du peuple qu’ils sont supposés représenter ?

scénario révolution WestmountMag.caUne prime, et une prime de luxe, accordée aux cinéphiles francophones : la publication du scénario aux éditions Flammarion Québec. Je ne saurai minimiser l’importance de cette publication. Elle donne une référence écrite, un témoignage encore plus poignant, à l’univers intellectuel derrière chaque image de ce film. Avec toutes les descriptions des inclusions visuelles (les scènes ajoutées tirées de documentaires), et toutes les citations utilisées au cours de ce long-métrage. Seul bémol : l’absence d’une bibliographie finale listant tous les extraits et les citations. Je sais, ça fait travail universitaire, mais lorsque l’on prend la peine d’inclure tant de perles, il vaut mieux les mettre en évidence. Et, pour ma part, adepte de cette pratique, j’en aurais même pris au moins le double.

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Luc Archambault WestmountMag.ca

Luc Archambault
Écrivain et journaliste, globe-trotter invétéré, passionné de cinéma, de musique, de littérature et de danse contemporaine, il revient s’installer dans la métropole pour y poursuivre sa quête de sens au niveau artistique.



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