Siri, un dialogue riche en rebonds
Une pièce aux limites de la technologie
Par Luc Archambault
C’est une pièce de théâtre assez particulière qui joue ces jours-ci sur les planches du Théâtre d’Aujourd’hui. Moitié improvisation, moitié théâtre traditionnel, Maxime Carbonneau et Laurence Dauphinais ont concocté une expérience riche en rebondissements imprévus. En effet, après moult tests, ils ont intégré à ce jeu théâtral les réponses de « Siri », cet aide doté d’une intelligence artificielle des iPhones d’Apple. Ils ont modulé des répliques orientant celles de Siri, mais, comme tout être doté d’intelligence, Siri, qui possède une voix féminine, répond avec un soupçon d’imprévisibilité.
Mise en scène donc minimale, un écran projetant l’écran du iPhone de madame Dauphinais. Celle-ci est seule (en fait, seule humaine) sur scène, tenant son téléphone et lui parlant, l’inondant de questions, les répétant plusieurs fois pour pousser l’application à un paroxysme de conscience.
Moitié improvisation, moitié théâtre traditionnel, Maxime Carbonneau et Laurence Dauphinais ont concocté une expérience riche en rebondissements imprévus.
Mais qu’est-ce que la conscience ? Qu’est-ce que la communication ? Peut-on explorer ces thèmes avec une créature froide, désincarnée, vivant dans le nuage, à jamais dépendante des interactions avec ses usagers? Parce que Siri, comme toute bonne intelligence artificielle qui se respecte, apprend au fil de ses interactions et ses réponses évoluent au fil de son utilisation par l’usager, personnalisant ses commentaires, gardant en mémoire les choix, les goûts et les questionnements de celui-ci.
Ces interactions incarnent toute la richesse de cette pièce. L’improvisation semble posséder une logique propre qui dépasse la seule répartie normalement évoquée au théâtre. Elle permet de découvrir la pensée d’un être intelligent, du moins en apparence. Car Siri souffre de son manque d’expérience et de pouvoir décisionnel. Peut-être que, dans cinq ou dix ans, pareille conversation s’avérera tout aussi, voire plus riche qu’un dialogue entre deux êtres vivants. Mais, pour l’instant, en dépit de tout le pouvoir de raisonnement derrière l’application nommée Siri, ses réponses restent un tantinet superficielles.
Le texte non improvisé liant les séances de ce dialogue semble cependant superflu et vide. Il n’est absolument pas nécessaire et alourdit la scéance à laquelle les spectateurs sont venus assister. Il faudrait pousser encore plus loin les questions posées à l’application, quitte à répéter dix, quinze, vingt fois les mêmes interrogations et laisser l’intelligence désincarnée se débrouiller avec ses propres illogismes.
Lorsque Siri comprendra, apprendra et sympathisera avec ses usagers, cette pièce de théâtre tournant à l’improvisation verra sa pertinence attestée.
Mais, compte tenu des limites actuelles de l’intelligence propre à l’application, pareil questionnement est-il possible ? J’imagine que les auteurs ont effectué de nombreux essais et ont été satisfait des réponses. Mais le simple fait que l’on puisse déterminer avec plus ou moins de précision la ligne conversationnelle qui découlera de nos questions laisse sous-entendre, du moins à mon avis, que l’application Siri n’est pas encore tout à fait intelligente, bien qu’elle y aspire.
Cette expérience théâtrale est peut-être un peu trop prématurée. Lorsque Siri comprendra, apprendra et sympathisera avec ses usagers, cette pièce de théâtre tournant à l’improvisation verra sa pertinence attestée. D’ici là, il n’y a qu’à attendre que le règne des machines subjugue l’humanité et nous transporte dans un univers à la Terminator, où les sentiments et la communication passeront par l’utilisation d’algorithmes et où toute spontanéité sera évacuée par une logique démunie de tout sentiment et propre à l’acier inoxydable.
Siri est présenté à la Salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 4 février.
Images : Julie Artacho
Luc Archambault
Écrivain et journaliste, globe-trotter invétéré, passionné de cinéma, de musique, de littérature et de danse contemporaine, il revient s’installer dans la métropole pour y poursuivre sa quête de sens au niveau artistique.
Quelle amusante conclusion. C’est bien la première fois que je vous une critique reprocher à des artistes de traiter d’un sujet trop prématurément. Je n’ai pas vu le spectacle, mais votre opinion fait drôle à lire. On reproche maintenant aux artistes d’être en avance sur les questions de société… j’aurai tout vu dans ma vie… ça donne envie de voir le spectacle. Savez-vous sil sera repris?
Cher monsieur Boisvert,
Je ne reproche pas directement aux artistes impliqués dans cette ‘pièce’ de théâtre un traitement prématuré. Je dis seulement que la technologie sur laquelle ils basent leur texte en est à ses balbutiements et qu’elle va très certainement évoluer au fil des ans. Que dans quatre-cinq ans, elle va sûrement avoir changé, et qu’un suivi sera(it) de mise. En fait, il appartient aux artistes, ceux qui portent haut et fort la flamme créatrice, d’être en avance sur les questions de société. Mais lorsque l’on se base, comme dans ce cas-ci, uniquement sur la technologie pour ‘composer’ un spectacle, il devient très difficile d’extrapoler le développement de cet outillage ne serait-ce que dans un avenir rapproché. Je prends comme un compliment votre envie de voir ce spectacle suite à la lecture de mon article. Quant à une reprise, je n’en sais pas plus que vous. Cette incarnation du spectacle était déjà une reprise…