Action! Quand tout
dérape pour le mieux

Un plateau télé en crise où le cirque déraille avec panache

Par Sophie Jama

14 décembre 2025

Action! est un vrai cadeau de fin d’année pour les amateurs de cirque, de théâtre visuel et de joyeux chaos scénique. Porté par la compagnie Théâtre à Tempo, le spectacle transforme la salle de la TOHU en un plateau télé des années 1960 où tout peut – et va – dérailler, au plus grand plaisir du public.

Le point de départ est simple et génial : on assiste au tournage de trois émissions différentes, en direct, avec public en studio. Des panneaux demandent au public de rire, d’applaudir ou de s’extasier, mais la consigne devient vite superflue : les réactions fusent spontanément, tant l’écriture dramaturgique est efficace et le comique de situation bien huilé. Le dispositif de tournage – caméras, perches de son, projecteurs, éléments de décor – est détourné avec jubilation pour devenir un agrès de cirque à part entière.

Le spectacle joue sur plusieurs niveaux : fausse télé, vrai cirque, théâtre burlesque et bande dessinée vivante.

Le spectacle joue ainsi sur plusieurs niveaux : fausse télé, vrai cirque, théâtre burlesque et bande dessinée vivante. Les enfants plongent immédiatement dans l’univers haut en couleur, tandis que les adultes savourent les clins d’œil aux codes de la télévision, des films muets et des cartoons. L’ambiance générale est celle d’un joyeux « plateau en crise » où chaque imprévu devient un prétexte à un gag… ou à une prouesse acrobatique.

Un collectif d’artistes caméléons

Ils sont huit sur scène, mais on a l’impression d’en voir bien davantage, tant les interprètes cumulent les rôles et les disciplines. Techniciens, acteurs, figurants, musiciens, acrobates, clowns : chacun change de peau avec une aisance réjouissante. On retrouve les deux techniciens de plateau, les quatre « vedettes » des émissions, l’assistante à la réalisation et, bien sûr, le fameux réalisateur, surnommé Maestro.

Maestro est la figure pivot du spectacle : clown irrésistible, il s’exprime dans une sorte de sabir incompréhensible, mais son langage corporel est d’une limpidité désarmante. Il gronde, boude, triomphe, s’effondre, s’emballe ; chaque mimique et chaque contretemps devient un petit morceau de slapstick ciselé. Impossible de ne pas penser aux grandes figures du burlesque et à certains personnages de bande dessinée tant son jeu est précis, généreux et lisible jusque dans les gradins du haut.

Les autres interprètes ne restent jamais en retrait. Chacun trouve son espace comique propre : maladresse assumée, faux sérieux, énergie débordante, naïveté désopilante… Tout en gardant ce fil clownesque, la troupe ose des partitions physiques exigeantes et réussit ce tour de force : donner l’impression que « tout ça n’est que jeu », alors que les numéros exigent un contrôle et une maîtrise indéniables.

Cirque, comédie et rythme millimétré

Sur le plan circassien, le spectacle est généreux. Acrobaties au sol et dans les airs, fil mou, échelle libre, perche oscillante, mât, lasso, jonglerie : le plateau télé devient un véritable terrain de jeu multidisciplinaire. Les numéros ne sont jamais plaqués : ils surgissent de la dramaturgie, comme si la fiction télévisuelle les appelait naturellement. Une poursuite de cambrioleurs devient ainsi un terrain parfait pour les portées acrobatiques et les équilibres vertigineux ; une séquence de jungle se transforme en ballet aérien, peuplé de Tarzan, de singes complices et de créatures plus menaçantes.

La musique, au cœur de la signature de Théâtre à Tempo, agit comme un moteur rythmique constant. Entre percussions, accompagnement live et bruitages savamment exagérés, la bande sonore renforce le côté « comic book » du spectacle : on entend presque les « BAM! », « CRASH! » et « WHOOSH! » typiques des planches dessinées. Les transitions entre scènes sont d’une fluidité remarquable, évitant les temps morts sans jamais donner l’impression de précipitation.

Trois émissions, trois mondes

Les trois émissions tournées en studio constituent la colonne vertébrale du spectacle. Sur les toits d’immeubles, une course-poursuite burlesque entre deux cambrioleurs et un duo de super-héros offre un terrain de jeu idéal aux acrobaties, à la jonglerie et aux cascades maîtrisées. Dans une parodie d’émission culinaire, la préparation de muffins à l’orange tourne rapidement à la catastrophe parfaitement orchestrée, entre maladresses volontaires, accessoires détournés et numéros de manipulation d’objets.

Enfin, l’immersion dans la jungle invite à explorer tout un bestiaire circassien : Tarzan, un ami singe d’une grande tendresse clownesque, mais aussi des animaux plus dangereux qui justifient des fuites acrobatiques et des équilibres à la limite de la chute. Le tout est encadré par l’agitation permanente du plateau : réglages de caméras, consignes contradictoires de Maestro, interventions de l’assistante à la réalisation, micro-pannes… Jusqu’au final, à mi-chemin entre un numéro musical et un tableau acrobatique collectif, qui scelle la réconciliation générale et la prise de conscience de Maestro : son équipe est un trésor.

Un rendez-vous idéal pour le temps des Fêtes

Ce qui frappe, au-delà de la virtuosité technique, c’est la chaleur humaine qui se dégage d’Action!. Le spectacle ne se prend jamais au sérieux, mais prend très au sérieux le plaisir du public. Les enfants rient à gorge déployée, les adultes suivent le rythme, happés par ce mélange de nostalgie télévisuelle et d’inventivité circassienne. La structure est solide, les personnages sont attachants, l’énergie est contagieuse.

Pour la période des Fêtes, difficile d’imaginer une meilleure proposition : un spectacle accessible dès le plus jeune âge, lisible sans paroles, riche en surprises visuelles et en prouesses « l’air de rien ». On sort d’Action! avec le sentiment d’avoir assisté à un tournage qui a joyeusement dérapé… dans la meilleure direction possible. Un plateau en crise, certes, mais une salle entièrement conquise.

Action!

Écriture et mise en scène : Geneviève Kérouac
Scénographie : Jean-Francois Gosselin, Philibert Hébert-Filion et Huguette Lauzé
Costumes et accessoires : Huguette Lauzé
Éclairages : Bruno Matte
Musique : Frédérick Desroches, Philippe Normand-Jenny Paroles : Patrick Ouellet
Sonorisation et direction technique : Patrick Paquet
Conception des appareils acrobatiques : Collectivlab
Régie : Sonia Montminy
Direction de production : Carole Demers
Artistes : Santiago Esviza, Guillaume Fontaine, François-Guillaume Leblanc, Justine Méthé-Crozat, Philippe Normand-Jenny, Marie-Michèle Pharand, Jérémy Saint-Jean, Augustin Thériault

Action! du 11 au 30 décembre 2025 à La Tohu, à Montréal

Images : Emmanuel Burriel

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Sophie Jama est titulaire d’un doctorat en anthropologie et d’une maîtrise en littérature comparée. Elle a publié plusieurs ouvrages au Québec et en France. Depuis une quinzaine d’années, elle couvre la scène culturelle montréalaise en théâtre, en danse, en cirque et autres arts vivants.