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Víkingur Ólafsson,
du mi à l’infini​

Deux récitals très attendus reliant Bach, Beethoven et Schubert dans une même tonalité

18 décembre 2025 • WestmountMag.ca

À la Salle Bourgie, les 30 et 31 janvier 2026, le retour de Víkingur Ólafsson s’annonce comme l’un des rendez-vous phares de la saison piano à Montréal. Le pianiste islandais, devenu en quelques années une figure incontournable du répertoire de Bach et des grandes architectures du clavier, proposera un programme entièrement bâti autour de la tonalité de mi, où Bach, Beethoven et Schubert dialoguent à travers le temps.​

Ouvrir la soirée par le Prélude en mi majeur BWV 854 du Clavier bien tempéré, c’est placer d’emblée le concert sous le signe de la clarté et de la construction. On imagine sans peine Ólafsson, dont le jeu conjugue transparence digitale et sens aigu de la ligne, transformer ce prélude en porte d’entrée vers un univers où chaque voix trouve sa place, comme dans ses enregistrements de Bach qui l’ont fait connaître à un vaste public. Dans l’acoustique intime de la Salle Bourgie, ce prélude a toutes les chances de devenir un court manifeste sonore : un art de dire beaucoup avec peu, de suspendre le temps dans un espace recueilli.​

Un programme entièrement bâti autour de la tonalité de mi, où Bach, Beethoven et Schubert dialoguent à travers le temps.​

La Sonate op. 90 de Beethoven, première halte en mi mineur, appartient à cette zone de transition entre le classicisme et les expérimentations plus radicales des dernières sonates. Court, en deux mouvements seulement, l’opus 90 exige moins un « grand style héroïque » qu’une capacité à faire respirer la rhétorique beethovénienne dans un format presque intimiste. Chez Ólafsson, on peut s’attendre à un premier mouvement d’une grande nervosité intérieure, où les contrastes de caractère s’inscrivent dans une ligne continue, puis à un second mouvement plus cantabile, où le chant semble naître de la main gauche autant que de la droite.​

Le cœur baroque du programme, la Partita no 6 en mi mineur BWV 830, représente sans doute le terrain le plus naturel pour ce pianiste profondément lié à Bach. Cette Partita, l’une des plus sombres et des plus denses du cycle, appelle un équilibre délicat entre la danse stylisée et la méditation quasi métaphysique. Dans ses précédents récitals, Ólafsson a montré qu’il savait faire chanter les lignes de Bach sans les alourdir, articulant chaque voix avec une précision quasi chambriste; ici, la succession des mouvements pourrait prendre des allures de voyage intérieur, où la gravité du ton n’exclut ni l’élan, ni une certaine lumière finale.​

L’entrée de Schubert, avec la Sonate en mi mineur D. 566, prolonge cette exploration du mi en l’ouvrant à une dimension plus explicitement narrative. Schubert y installe une forme de dérive harmonique contrôlée, où les digressions sont autant de chemins latéraux vers une mélancolie lumineuse. On peut imaginer Ólafsson aborder cette sonate comme un récit fragmenté, laissant affleurer les failles, les suspensions, les retours obstinés sur un même motif, plutôt que de chercher une continuité lisse. Sa façon de sculpter les plans sonores devrait faire ressortir les voix intermédiaires et ces ombres harmoniques que Schubert place entre la lumière de la tonalité principale et les zones plus incertaines.​

‘L’enjeu critique principal de ce récital tient à l’articulation entre ces cinq œuvres, toutes en mi mais d’époques et de mondes très différents.’

La Sonate op. 109 de Beethoven, sommet tardif en mi majeur, vient refermer la boucle avec un geste typiquement beethovénien : partir du fragment et tendre vers la variation transcendante. Ce triptyque, avec son premier mouvement aux changements brusques de caractère, son scherzo nerveux et son finale en forme de série de variations, offre à Ólafsson un terrain idéal pour déployer son sens de l’architecture à long terme. Si l’on se fie à son approche des Variations Goldberg et des grandes formes répétitives, il y a fort à parier que le dernier mouvement sera conçu comme une montée progressive vers une lumière presque immatérielle, où le piano semble s’effacer au profit d’un pur flux de son.​

L’enjeu critique principal de ce récital tient à l’articulation entre ces cinq œuvres, toutes en mi mais d’époques et de mondes très différents. Le risque serait de les présenter comme une simple juxtaposition d’« hits » du répertoire; la promesse, au contraire, réside dans la capacité d’Ólafsson à faire entendre une continuité : une même question posée au clavier sur le temps, la mémoire, la possibilité de la consolation. De Bach à Schubert, en passant par deux moments clés du parcours beethovénien, le fil du mi semble ici moins une coquetterie qu’un principe structurant, presque une tonalité intérieure.​

Dans un lieu comme la Salle Bourgie, salle de dimensions modestes mais à la résonance généreuse, cet itinéraire promet un rapport très direct entre l’interprète et le public. Ólafsson y a déjà prouvé qu’il savait exploiter cette proximité, jouant sur des nuances infimes, des respirations longues, des silences habités, tout en gardant une lisibilité exemplaire des textures. Pour la saison anniversaire de la Salle Bourgie, ce double rendez-vous s’annonce donc moins comme une simple étape de tournée que comme un laboratoire d’écoute : une invitation à traverser trois siècles de musique pour piano en suivant une seule couleur, un seul point de gravité.​

Image d’entête : courtoisie de la Salle Bourgie

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La salle Bourgie, est une salle de concert de 462 places au cœur du Musée des beaux-arts de Montréal. Dotée d’une acoustique exceptionnelle, elle s’est rapidement taillée une place de choix comme l’un des lieux de diffusion de la musique de concert les plus prisés au Canada. sallebourgie.ca



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