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Les blues du bleuet,
un film d’Andrés Livov

Un documentaire qui invite à ralentir, à écouter et, peut‑être, à guérir

27 décembre 2025 • WestmountMag.ca

Chaque été, au Saguenay–Lac‑Saint‑Jean, les champs se couvrent d’innombrables petites billes bleues qui attirent, comme une migration silencieuse, des cueilleuses et des cueilleurs de bleuets : jeunes, aînés, travailleurs migrants, Innus de Mashteuiatsh, habitants de longue date et nouveaux arrivants. Dans Les blues du bleuet, troisième long métrage documentaire d’Andrés Livov, la cueillette devient le point de départ d’un film choral sur le travail saisonnier, le deuil et la solidarité.

​Au rythme hypnotique des gestes répétés – pencher le corps, ratisser les plants, remplir les seaux – se déploient des récits de vie intimes. Autour des champs, au casse‑croûte, dans les caravanes ou en vol au‑dessus du lac, les personnages confient leurs joies, leurs peines, leurs souvenirs de famille et leurs espoirs d’avenir.

La cueillette devient le point de départ d’un film choral sur le travail saisonnier, le deuil et la solidarité.

La caméra, d’une grande douceur, capte autant la beauté vive des bleuetières que les traces des feux de forêt qui marquent le territoire, rappelant que destruction et régénération font partie d’un même cycle. La musique – chansons populaires, airs classiques évoqués dans une conversation, mélodies improvisées – tisse un lien invisible entre les protagonistes et confère au film sa tonalité chaleureuse et consolante.

Un ballet de gestes et de confidences

Les blues du bleuet s’ouvre sur la cadence presque hypnotique de la cueillette : un outil rudimentaire, un seau qui se remplit lentement, geste après geste. Cueillir à la main impose la patience, le lâcher‑prise et la confiance dans le fait que la somme de milliers de petits gestes finira par accomplir la grande tâche.

Dans ce ballet de gestes répétés, les langues se délient. Au détour des rangs, à la pause ou à la table du casse‑croûte, les personnes filmées partagent souvenirs de famille, récits de migration, histoires d’amour, de maladie ou de réorientation de vie. Le film tisse une toile où se mêlent confidences, rires et larmes, faisant du champ de bleuets un véritable lieu de rencontres, tant sociales qu’intimes.

 

 

La caméra d’Andrés Livov accompagne ces échanges avec une attention discrète, laissant le temps aux silences et aux hésitations. L’image douce et posée du directeur de la photographie, Louis Turcotte, capte autant la beauté vive des champs bleus que le rouge des sous‑bois brûlés et les lumières rasantes de la fin d’été. La bande sonore, travaillée comme une enveloppe chaude et lyrique, épouse ce rythme : bruits de pas, froissements des plants, éclats de voix et musique composent un paysage sensoriel à part entière.

Deuil, résilience et cycles du vivant

Au-delà du geste agricole, Les blues du bleuet explore les cycles de la vie : le retour annuel des fruits, les feux de forêt qui ravagent puis régénèrent, les pertes que chacun porte en soi. Les images d’archives et les plans contemporains se répondent pour rappeler que ce territoire a toujours été traversé par le travail saisonnier et une économie fragile, en constante adaptation.

Le film aborde la question du deuil avec une grande délicatesse. Parmi les figures marquantes, Carmen, tenancière d’un petit casse‑croûte, accueille travailleurs et clients avec une fantaisie douce et un sens du partage communicatif; derrière son humour affleure pourtant la douleur persistante du décès de sa fille, qu’elle évoque avec une sincérité désarmante. Un homme âgé qui chante dans les résidences pour aînés raconte, lui, la joie simple qu’il trouve dans chaque sourire suscité par ses chansons.

Les blues du bleuet explore le retour annuel des fruits, les feux de forêt qui ravagent puis régénèrent, les pertes que chacun porte en soi.’

Les feux de forêt, omniprésents dans l’imaginaire récent du Québec, ne sont pas montrés uniquement comme des agents de désolation. Le film rappelle qu’ils font partie d’un cycle écologique indispensable à la régénération des bleuetières, métaphore d’un renouveau plus large qui traverse les existences humaines elles‑mêmes. Les blues du bleuet accompagne, en douceur, l’idée que la mort fait partie du mouvement de la vie, sans cynisme ni complaisance.

Une ode à la musique et au récit

La musique occupe une place centrale dans l’univers du film. Elle surgit d’une radio d’auto, d’un violon qu’on accorde au bord d’un champ, d’une chanson reprise à plusieurs voix ou d’un air de musique classique évoqué dans une conversation. Qu’elle soit diégétique ou non, elle tisse un fil continu qui relie les personnages et accompagne le ballet de la vie quotidienne au Lac‑Saint‑Jean.

L’une des scènes les plus mémorables se déroule dans le cockpit d’un petit avion, où deux pilotes survolent la région comme on se promène dans un rêve suspendu. Le vrombissement du moteur s’efface pour laisser place à une conversation étonnamment intime sur la musique, le sens de la vie et ce qui émeut vraiment. Cette parole apaisante, littéralement portée par les airs, incarne ce que le film parvient à glaner au fil de ses rencontres : des instants de réflexion et d’émotion qui éclairent soudain le quotidien.

‘Au rythme de la cueillette dans les bleuetières du Lac‑Saint‑Jean, des vies invisibles trouvent enfin l’écran.’

Les blues du bleuet est aussi une ode au pouvoir du récit. En donnant la parole aux personnes qui travaillent, vivent et rêvent dans l’ombre des bleuetières, le film fait exister à l’écran des vies que l’on entend rarement. Ces récits entrecroisés donnent au Lac‑Saint‑Jean le visage concret de celles et ceux qui le font au quotidien, et composent une constellation d’histoires intimement liées au territoire.

Parcours et sortie

Présenté en film de clôture de la 28e édition des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), Les blues du bleuet a marqué le public par sa douceur, sa chaleur humaine et sa façon singulièrement réconfortante d’aborder le deuil et la résilience. Le film a reçu le Prix du jury des détenues de la Maison Tanguay, décerné par un jury de femmes incarcérées, soulignant la profonde résonance de ses personnages et de ses thèmes.

Les blues du bleuet, troisième long métrage documentaire du cinéaste Andrés Livov

Coproduit par Les Glaneuses et distribué par SPIRA, le film prendra l’affiche au Québec en 2026, après un parcours en festivals, qui comprend notamment sa présentation en version anglaise sous le titre The Blueberry Blues lors de plusieurs événements internationaux. Cette double existence, en français et en anglais, prolonge le geste même du film : un pont entre des mondes, des langues et des expériences qui se rejoignent autour d’un même fruit, d’un même geste et d’un même désir de se rassembler.

Les blues du bleuet se présente comme une étreinte chaude et douce, un film qui célèbre la vie ordinaire, la solidarité et les petits miracles de la persévérance. Un documentaire qui invite à ralentir, à écouter et, peut‑être, à guérir.

LES BLUES DU BLEUET

Documentaire – Québec, 2025 – 79 min

Réalisation et scénario : Andrés Livov
​Image : Louis Turcotte
Montage : René Roberge
Production : Les Glaneuses
Distribution : SPIRA

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