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Verona Sorensen :
les mots au-delà de la toile

Sa plus récente exposition rend hommage aux écrits de son père, David Sorensen

Par Irwin Rapoport

26 novembre 2025

Verona Sorensen expose Words Beyond the Canvas, une exposition inspirée des écrits de son père disparu, David Sorensen, à la Galerie L’Onyx, jusqu’au 10 décembre. La peintre abstraite contemporaine rencontrera le public ce vendredi  28 novembre, de 16 h à 19 h.

Verona Sorensen expose à la Galerie L’Onyx, jusqu’au 10 décembre. La peintre abstraite contemporaine rencontrera le public ce vendredi  28 novembre, de 16 h à 19 h.

« Mon père était surtout reconnu pour sa peinture et sa sculpture, mais il était aussi un écrivain passionné », explique Verona. Au fil des années, il a tissé, par la correspondance, un réseau de liens entre amis artistes et membres de la famille, laissant derrière lui un paysage de mots, de pensées vagabondes et de confidences murmurées. Ces lettres, animées de croquis, de griffonnages et de traces de rêverie, vibrent encore de l’énergie du geste et deviennent pour l’artiste une sorte de partition secrète, où chaque trait d’encre appelle une couleur, chaque phrase appelle un rythme pictural.​

Verona SorensenÀ travers ce projet intime, Verona a voulu peindre en écoutant la voix de son père, telle qu’elle se déploie dans ses lettres, et rassembler ces fragments de vie en un livre. En 2024 et 2025, elle a été à la rencontre de la lumière des toiles et des mots de son père pour rendre hommage à son univers créatif et à son esprit curieux et ardent, éclairant son parcours d’artiste et d’homme.

En dévoilant quelque chose de sa vie intérieure, cette correspondance met aussi en évidence la fraternité fidèle qui le liait à ses amis artistes. Grâce à cette correspondance au fil des ans, il demeure un tissage d’histoires, de réflexions et d’instants suspendus – les traces durables d’une vie de création pleinement habitée.

Verona Sorensen est née à Montréal d’une mère infirmière d’origine philippine et d’un père peintre nordique de la côte ouest. Elle a vécu ses premières années entre les Cantons-de-l’Est et le Mexique. Après un baccalauréat en arts plastiques à l’Université Concordia, elle est invitée à effectuer un stage au sein du collectif artistique Dormice, en Autriche et en Italie. Sa technique, qui consiste à mêler cire, sable et huile dans ses peintures, s’est affinée au Mexique, où elle a étudié la peinture à l’encaustique. Elle vit et travaille aujourd’hui au Québec.

Mon père était reconnu pour sa peinture et sa sculpture, mais il était aussi un écrivain passionné. Sa profonde fidélité et le lien qu’il a entretenu, pendant des décennies, avec ses amis artistes et sa famille – a inspiré cette série d’œuvres.

– Verona Sorensen

Depuis longtemps, l’art abstrait résonne profondément en moi et j’ai eu la chance de découvrir les œuvres de nombreux artistes de ce genre dans plusieurs musées, à Montréal, à New York et en Europe. J’ai très hâte d’assister au vernissage de Verona pour voir en vrai les tableaux aperçus sur son site. Le travail de Verona m’a immédiatement frappé par ses couleurs vibrantes et son imaginaire. La richesse des variations et l’usage de formes, de lignes et de jeux de perspective m’ont immédiatement captivé.

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Dans l’entretien ci-dessous, Verona Sorensen parle de l’exposition, de ses œuvres et de sa façon de peindre.

WM : Pouvez-vous nous en dire davantage sur l’inspiration des tableaux présentés dans l’exposition, ainsi que sur la passion de votre père pour l’écriture ?

Birthday Orbs

Birthday Orbs

Sorenson : Les tableaux de Words Beyond the Canvas sont inspirés par les lettres que mon père écrivait à ses amis les plus proches, à notre famille et à ses pairs artistes. Sa correspondance était une sorte de journal au quotidien – profonde, singulière, et souvent ornée de croquis allant du dessin détaillé et réaliste à des images plus ludiques et presque caricaturales. Écrire des lettres était sa façon de rester en contact avec ses proches et de prendre des nouvelles de lui-même.

Au fil de ces pages, il partageait ses pensées, ses préoccupations, ses inspirations, ainsi que les petites victoires et les défis du quotidien, révélant un côté plus léger et intime. Bien qu’il ait surtout été reconnu comme un peintre et sculpteur sérieux – il a exposé à Expo 67 avant d’enseigner à l’Université Bishop’s – ses lettres révélaient une facette joueuse, chaleureuse et réfléchie.

Pendant des années, j’ai souhaité rassembler ces lettres et ces dessins dans un livre. L’an dernier, grâce à une subvention du CALQ (Arts et Lettres en Estrie – Partenariat territorial), j’ai enfin pu commencer à développer ce projet, qui comprend la création de quinze tableaux traduisant ses mots en images abstraites. Cette première version du livre met surtout l’accent sur sa correspondance avec son ami sculpteur hollandais, Peter Knigge.

Ce prototype sera exposé lors de l’exposition. De plus, des extraits seront lus à La Maison de la Culture Marie-Uguay, située au 6052, boulevard Monk, le 6 décembre de 16 h à 17 h. Il est préférable de visiter la galerie avant cette lecture, car elle sera fermée après. Ne manquez pas cette occasion de découvrir l’œuvre avant l’événement !

WM : Comment décririez-vous le processus créatif qui a conduit aux tableaux présentés dans l’exposition? Avez-vous travaillé sur plusieurs œuvres en même temps?

Edges in the Clouds

Edges in the Clouds

Sorensen : Au départ, la création de ces tableaux a commencé comme un exercice de traduction des mots et de l’écriture de mon père en images abstraites. Je cherchais à saisir l’essence de ses pensées – non seulement dans la forme, mais aussi dans le ressenti. Cette traduction était une manière d’honorer sa voix tout en la réinventant à travers mon propre regard artistique.

Au fil du travail, le projet s’est transformé et est devenu l’expression des émotions que ses lettres suscitaient en moi. Une multitude de nuances de rose a commencé à apparaître dans les tableaux, et je me suis dit que ce n’était sans doute pas très représentatif, de façon réaliste, des grands sculpteurs et peintres. C’est peut-être davantage le reflet des sentiments que j’éprouve pour eux deux et pour l’amitié qui les unissait.

Je travaille souvent sur plusieurs tableaux en même temps, même dans de petits ateliers. Cela me permet de garder du recul, de continuer à progresser et d’éviter de m’enfermer de manière trop obsessionnelle. Le fait d’avoir plusieurs toiles en cours rend le processus plus fluide.

WM : Quel est votre processus au moment de commencer un tableau? Lorsque vous faites face à une toile blanche, vous arrive-t-il d’en voir déjà les formes et les couleurs dans votre esprit?

Morphing Structures

Morphing Structures

Sorensen : Il y a un vrai plaisir à regarder une toile blanche, surtout juste après l’avoir enduite de gesso, avec ce sentiment d’avoir contribué à créer cette surface pure et neuve. Quand je vois une toile vierge, je la trouve belle, immaculée, et il faut beaucoup pour y poser la première marque – pour donner une direction à cet espace de potentiel illimité. Mais lorsque l’élan se présente, je le suis.

Je crois que je vois des formes et des couleurs dans mon esprit avant de commencer, dans le sens où j’ai parfois quelques idées flottantes ou des pistes à explorer avant de tracer un premier geste sur la toile. Mais le plus souvent, je peins de manière intuitive et je découvre ce que le tableau raconte au fur et à mesure qu’il se déploie devant moi. J’essaie de le laisser se révéler, et ce processus met souvent au jour ce qui se passe en moi.

Mon expérience de la peinture figurative, avant de passer à l’abstraction, était très concentrée – presque méditative –, centrée sur un point de référence, dans l’effort de saisir un aspect de ce que je voyais. La peinture abstraite, en revanche, ressemble davantage à une danse avec l’inconnu, sans point d’ancrage : je fais une marque, j’attends de voir comment elle dialogue avec le reste de la toile, puis je réponds à nouveau. Et ainsi de suite. Je cherche souvent une certaine forme d’équilibre dans le tableau, mais j’ai remarqué récemment que j’essaie volontairement de bousculer cet équilibre. Plonger dans l’abstraction me met en contact direct avec mon intuition, comme si j’avançais à tâtons dans l’obscurité vers une destination brillante, vaguement promise.

WM : Qu’est-ce qui vous a attirée vers la peinture et, plus particulièrement, vers l’abstraction? Comment décririez-vous l’atmosphère de l’atelier?

Calming the Mind

Calming the Mind

Sorensen : Je crois que c’est la dimension solitaire de la peinture qui m’attire – cette autonomie qui permet de continuer à créer sans avoir besoin de la permission de qui que ce soit. Au théâtre, par exemple, il faut réussir des auditions pour avoir la chance de jouer dans une pièce ou un film. Tandis que la création d’un tableau m’appartient entièrement. Faire sortir les œuvres dans le monde est une autre histoire et demande l’intervention d’autres personnes, mais le temps passé à l’atelier est vraiment entièrement le mien. C’est un lieu sacré, où la magie peut se produire – une sorte d’alchimie intérieure qui, avec un peu de chance, se répand sur la toile.

WM : Comment votre père voyait-il le fait que vous deveniez peintre?

Sorensen : Il lui a fallu un certain temps pour croire que j’étais sérieuse, surtout après tant d’années d’études et de pratique du théâtre. Mais une fois qu’il a vu que je restais fidèle à la peinture, il m’a soutenue et je pense qu’il en était heureux. Sans doute un peu inquiet aussi, parce qu’il y a cette idée romantique de devenir peintre, mais cela s’accompagne de beaucoup de difficultés et de périodes ardues, et il ne voulait probablement pas que j’ait à traverser tout cela – même si cela fait partie du travail. Je pense surtout au défi de gagner sa vie. En tant qu’artiste, il faut être ingénieux et résilient – mais ce sont des qualités précieuses à cultiver tout au long de la vie.

WM : Quels sont certains de vos peintres abstraits préférés, et y a-t-il des œuvres en particulier qui vous inspirent, et pourquoi?

Black Tourmaline Mountains

Black Tourmaline Mountains

Sorensen : Il y en a tellement. Mais j’aime tout particulièrement Matisse. Je crois que c’est son approche ludique de ses œuvres qui m’a captivée, ainsi que sa lumière et son incroyable sens de la couleur. Joan Mitchell est une autre peintre dont j’apprécie énormément le travail. Cecile Brown est formidable aussi – si audacieuse et expressive – ses gestes ont une qualité brute et énergique qui m’inspire à ne pas me retenir.

Je suis également très attirée par Anselm Kiefer, pour la façon dont il construit les couches et les textures, comme s’il enfouissait la mémoire dans la surface même – cela m’amène à penser autrement la matérialité et la profondeur dans mon propre travail. Gerhard Richter m’inspire par cette tension qu’il entretient entre le contrôle et le hasard, l’abstraction et le réalisme.

WM : Quels conseils donneriez-vous à ceux qui souhaitent explorer les thèmes et les formes de l’abstraction?

Sorensen: Lancez-vous! Avec le temps, cela vous reliera forcément davantage à votre intuition, en offrant un répit bienvenu à l’esprit constamment sollicité. Ne vous souciez pas de bien faire ni de respecter des règles. Laissez vos traces, vos couleurs, vos gestes vous guider. Le processus en lui-même peut être transformateur, en vous apprenant à ouvrir et à avoir confiance en vos propres instincts. Et parfois, ce qui apparaît sur la toile vous surprendra justement parce que vous aurez cessé de vouloir tout contrôler.

‘Peindre dans l’abstraction, c’est comme une danse avec l’inconnu, sans point de repère : je pose une trace, j’attends de voir comment elle se mêle au reste de la toile, puis je réponds à nouveau…’

– Verona Sorensen

WM : Recevez-vous parfois des visites à l’atelier pour voir votre travail?

Sorensen : Oui! Cette année, quelques peintres sont passés à l’atelier et leurs retours ont été extrêmement précieux. Cela m’a fait réaliser à quel point ce type de conversation m’avait manqué. Partager des œuvres en cours et entendre comment quelqu’un les ressent apporte une énergie et des éclairages qu’on ne peut pas toujours trouver seul. Ce n’est pas seulement une question de critiques constructives – c’est aussi une histoire de lien, d’inspiration et d’apprentissage mutuel.

WM : Acceptez-vous parfois des commandes?

Sorensen : Je n’en ai pas accepté depuis quelque temps, mais j’en ai déjà réalisé, par exemple pour des salles de conseil d’entreprise, telles que celle de Jameson Inc. Je reste ouverte à des commandes – à condition qu’il y ait suffisamment de liberté créative. En abstraction, il est essentiel d’avoir l’espace nécessaire pour suivre le processus où il veut en venir. Les commandes fonctionnent le mieux lorsque le client fait confiance à l’intuition de la créatrice et se sent à l’aise à lui laisser de la marge pour explorer. Dans ces conditions, cela peut devenir une collaboration vraiment agréable.

Words Beyond the Canvas

Galerie L’Onyx
6400, boulevard Monk, Montréal, QC, H4E 3H9
jusqu’au 10 décembre 2025

La peintre abstraite contemporaine rencontrera le public vendredi  28 novembre, de 16 h à 19 h.

Images: courtoisie de Verona Sorensen

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Irwin RapoportIrwin Rapoport est un journaliste indépendant et un militant communautaire de Westmount, titulaire d’un baccalauréat en histoire et en science politique de l’Université Concordia. Il écrit abondamment sur la politique locale, l’éducation et les enjeux environnementaux et promeut un discours public éclairé ainsi que la démocratie locale à travers ses écrits et son activisme.

 



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