Anna – ces trains
qui foncent sur moi
Une pièce très ambitieuse, librement inspirée de Tolstoï
Par Sophie Jama
20 octobre 2025
Dès les premières minutes, le spectateur comprend qu’il n’assistera pas à une adaptation sage du roman de Tolstoï, mais à une œuvre qui s’en inspire pour mieux s’en affranchir. Anna, ces trains qui foncent sur moi, de Steve Gagnon, mise en scène par Vincent Goethals, ne cache rien de ses ambitions : trois heures de théâtre, quatorze comédiens, des dialogues denses et acérés, une parabole sur le pouvoir et les sentiments qui vacillent.
Neuf personnes sont réunies pour un long week-end dans la belle demeure de Daria et Stéphane, à la lisière d’une forêt, près d’un étang. Amis, complices, collègues, parfois parents — ils se connaissent tous trop bien. Entre eux, des alliances fragiles, des rivalités tenaces, et ce mélange de mondanité et de calcul qui caractérise les milieux politiques auxquels plusieurs appartiennent. Agathe, la cuisinière dévouée, et Jeanne, la sauvageonne du domaine, complètent ce huis clos feutré où chaque regard en dit plus long que les mots.
Trois heures de théâtre, quatorze comédiens, des dialogues denses et acérés, une parabole sur le pouvoir et les sentiments qui vacillent.
L’harmonie n’est qu’apparente. Sous les politesses s’aiguisent les rancunes. Très vite, la première partie — la plus longue, mais aussi la plus réussie — nous installe dans ce théâtre de l’ambiguïté. Les piques fusent, les moqueries s’empilent, les sous-entendus deviennent des armes. Derrière les rires forcés et les fausses réconciliations, chacun se débat avec ses frustrations, ses amours ratés, son besoin d’exister aux dépens de l’autre. Anna, l’épouse d’Yvan et sœur de l’hôte, s’y meut comme une blessure vivante, fragile et lucide. Daria, elle, brille par son éclat, son humour, son excès.
Autour d’elles gravitent Alexandre et Philippe, le couple toujours sur le fil, Marie la solitaire aux idées politiques contraires, Constantin et Katia qui portent l’espoir fragile d’un enfant à venir, Nathalie et sa mère Françoise, ministre aguerrie. Et bientôt, surgit l’invité surprise — celui qui viendra déranger l’équilibre déjà vacillant de cette communauté où l’on se nourrit autant de rancunes que de mets raffinés.
La mise en scène minimaliste sert admirablement le texte : quelques éléments de décor bien choisis, des lumières savamment dosées, une atmosphère à la fois intime et tendue. Les quatorze interprètes sont impeccables, habités, précis jusque dans leurs silences. Certains spectateurs se plaignaient de ne pas toujours entendre — mais qu’importe, le souffle tragique, lui, passe sans faille.
Des coups de feu, des prières adressées dans l’ombre à une enfant absente, des révélations qui éclatent comme des éclats de verre : on rit, on tremble, on s’interroge. Le texte ne manque pas de souffle. Il médite sur l’amour, le pouvoir, la solitude — et sur cette incapacité humaine à atteindre le bonheur, même quand tout semble possible.
‘Les fils se dénouent trop longuement, les intrigues secondaires s’étirent, le rythme se délite.’
Mais voilà : après l’entracte, la tension retombe. Les fils se dénouent trop longuement, les intrigues secondaires s’étirent, le rythme se délite. On aurait voulu s’arrêter plus tôt, sur cette crête où tout menaçait de basculer. Comme certains romans qui gagneraient à sacrifier leurs premières pages, ici ce sont les quinze dernières qu’il faudrait couper. L’épilogue, trop bavard, brouille l’émotion patiemment tissée.
Malgré cela, on sort de la salle avec l’impression d’avoir assisté à un grand geste de théâtre. Inégal, certes, parfois excessif, mais sincère, vibrant, porté par des comédiens admirables et un texte qui, malgré ses détours, touche juste.
Anna – ces trains qui foncent sur moi
De Steve Gagnon
Production Théâtre Jésus, Shakespeare et Caroline
Avec Marie-Josée Bastien, Annick Bergeron, David Boutin, Lise Castonguay, Violette Chauveau, Frédéric Cherboeuf, Véronique Côté, Sophie Desmarais, Steve Gagnon, Alex Bergeron, Clément Goethals, Édith Patenaude, Marc Schapira, Julie Sommervogel, Salim Talbi
Mise en scène Vincent Goethals
Décor Anne Guilleray
Éclairages Philippe Catalano
Costumes Steve Gagnon
Musique Olivier Lautem
Du 18 au 26 octobre 2025 au TNM, Montréal.
Image d’entête courtoisie du TNM
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