Le Cirque Ronaldo
présente Sono Io ?

Comment trouver sa place sans effacer l’autre soi-même qu’est son fils

Par Sophie Jama

20 novembre 2025

Dans le monde du cirque, où l’art et la vie s’entrelacent souvent, il existe des histoires universelles qui parlent au cœur autant qu’à l’imaginaire. Sono io ?, présenté à la Tohu cet automne par la compagnie Circus Ronaldo, est bien plus qu’un simple spectacle de clowns – c’est une exploration profonde, tendre et drôle des relations complexes entre un père et son fils.

Dirigée par le père et le fils, Danny et Pepijn Ronaldo, la production est une exploration profondément émouvante de l’héritage, de la mémoire et de l’identité, reliant les générations à travers un mélange de cirque, de commedia dell’arte, de mime et de réalisme magique. Ce duo d’artistes de cirque, aux multiples talents, partage la scène dans un ballet de complicité et de tension, incarnant ce défi ancestral de transmettre et d’exister sans effacer l’autre.

Une exploration profonde, tendre et drôle des relations complexes entre un père et son fils.

« Qui suis-je ? » se demande le père, un ancien clown, musicien, jongleur et acteur, qui voit poindre l’arrivée de son fils sur la scène familiale. Cette scène, c’est sa maison, son monde, mais ses appréhensions s’éteignent doucement face au besoin inéluctable de transmettre. Le spectacle s’ouvre sur une scène aménagée comme un espace intime, où linge étendu, un vieux magnétophone à bandes et une baignoire ancienne témoignent d’un quotidien fragile, suspendu entre hier et aujourd’hui. Dans ce décor chargé de souvenirs, le père prend un bain, une métaphore douce-amère d’un moment suspendu, de la vie qui continue malgré tout.

L’arrivée du fils, avec sa valise et son énergie nouvelle, bouleverse cet équilibre. Le père est à la fois fier et jaloux ; fier car son fils a hérité de sa passion pour les arts circassiens, jaloux, car cette jeunesse lui échappe, comme un miroir qui le renvoie à sa propre fragilité. Ils sont tous deux clowns, musiciens, acrobates, jongleurs, acteurs : une constellation de talents qui se tissent au fil de leur lien. Ce spectacle met en lumière cette quête d’identité où chacun doit apprendre à coexister, à s’aimer tout en trouvant sa propre lumière.

Transmission, jalousie et amour : un mélange subtil

« Ce spectacle est un pont entre deux générations », m’a confié un membre de la troupe. Cela va bien au-delà du cirque ; c’est la représentation même des relations humaines dans leur complexité. Le père, emporté par ses souvenirs et son désir de briller encore, a du mal à céder le pas. Le fils, quant à lui, doit naviguer entre le respect, l’admiration et le besoin d’affirmation. La tension est palpable, délicate et se traduit avec douceur dans des numéros clownesques où maladresses feintes et prouesses techniques s’entrelacent pour révéler leurs émotions.

Sono io ? du 19 au 23 novembre 2025 à la Tohu à Montréal

Ils se chamaillent, se soutiennent, se cherchent. Le père veut que son fils réussisse, mais il craint presque que ce succès ne rompe leur lien. Ce paradoxe, exprimé sans artifice, touche profondément. La relation père-fils, si souvent conflictuelle et pleine d’ambivalence, devient un théâtre universel. La scène se fait miroir de ces rapports sensibles, où le besoin de l’autre se heurte au désir d’indépendance.

Une poésie visuelle et sonore à couper le souffle

Mais Sono io ? ne se limite pas à la narration, sans parole ou presque, d’une histoire. Les décors, costumes, lumières et musique enveloppent le public dans une atmosphère à la fois nostalgique et vivante. Chaque geste des artistes est scruté avec complicité par les spectateurs, grâce à une scène rapprochée qui favorise l’intimité.

La musique, composée et interprétée avec brio, accompagne le va-et-vient émotionnel des personnages. On rit, on s’émeut, on applaudit les prouesses physiques vertigineuses et les numéros d’équilibre extraordinaires qui donnent vie à cette quête de soi. La complicité entre le père et le fils fait vibrer l’espace, éclairant d’une lumière nouvelle ces sentiments parfois contradictoires.

‘La production s’inspire de la longue tradition familiale du Circus Ronaldo, mêlant le vieux théâtre de cirque, la commedia dell’arte, le mime, la musique et le réalisme magique.’

Le spectacle interroge la place que chacun occupe dans un héritage familial et artistique. Comment être soi sans effacer l’autre, surtout quand cet autre est aussi un reflet de soi-même ? C’est la grande question que soulève la création de la compagnie Circus Ronaldo, portée par ces deux comédiens, deux âmes liées par le sang, la passion et la scène, qui explorent cette frontière mouvante entre transmission et innovation.

Sono io ? du 19 au 23 novembre 2025 à la Tohu à Montréal Sono io ? est une œuvre à la fois légère et profonde, drôle et touchante, qui nous emmène dans un voyage entre deux générations d’artistes, une ode à la transmission, au renouvellement, au respect des racines comme aux ailes nécessaires pour s’envoler. Il ne s’agit pas de victoire ou de défaite, mais d’une danse délicate entre passé et avenir, entre respect et liberté, entre amour et jalousie. Le père pose, parfois maladroitement, le chemin pour que le fils s’avance. Le fils apprend à s’affirmer sans trahir l’héritage. Ce chemin, parfois douloureux, est aussi source de tendresse et de complicité. Il nous rappelle que dans toute relation, il y a de la place pour plusieurs versions de soi, sans exclusion ni oubli.

La production, qui s’inspire de la longue tradition du cirque, de la commedia dell’arte, du mime, de la musique et du réalisme magique, est un incontournable de cette rentrée artistique montréalaise, un moment où la magie éclaire l’intime pour mieux nous parler à tous. C’est aussi une invitation à écouter sa propre histoire, avec ses zones d’ombre et ses éclats de lumière, et à accueillir l’autre soi-même, sous toutes ses formes.

Sono io ? par Circus Ronaldo

Concept, mise en scène et interprétation : Danny Ronaldo, Pepijn Ronaldo
Création : Danny Ronaldo, Pepijn Ronaldo, Seppe Verbist
Coordination technique : Flor Huybens, Dominique Pollet
Mise en scène finale : Frank Van Laecke
Coaching : Steven Luca, Walter Janssens
Conception sonore : Seppe Verbist
Conception éclairage tente : Frank Van Laecke, Dominique Pollet
Conception éclairage théâtre : Dominique Pollet
Musique : David Van Keer, Birger Embrechts, Seppe Verbist
Costumes et confection : Dotje Demuynck
Directrice de la compagnie : Lesley Verbeeck

Sono io ?, présenté du 19 au 23 novembre 2025 à la Tohu à Montréal.

Images : Patrick Van Vlerken

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Sophie Jama est titulaire d’un doctorat en anthropologie et d’une maîtrise en littérature comparée. Elle a publié plusieurs ouvrages au Québec et en France. Depuis une quinzaine d’années, elle couvre la scène culturelle montréalaise en théâtre, en danse, en cirque et autres arts vivants.