L’heure de vérité pour
Carney à Kananaskis
Le premier ministre du Canada pourra t-il s’imposer comme leader mondial au G7 ?
Par Irwin Rapoport
12 juin 2025
Le premier ministre du Canada, Mark Carney, accueillera le Sommet du G7 dans le décor enchanteur de Kananaskis, en Alberta, du 15 au 17 juin. Ce rassemblement des dirigeants mondiaux offre à Carney une plateforme idéale pour relever d’importants défis : naviguer à travers les crises mondiales, réaffirmer le leadership canadien, contrer l’influence perturbatrice du président américain Donald Trump tant sur la scène internationale qu’en Amérique du Nord, et consolider son autorité au pays tout en tournant la page sur l’héritage controversé de Justin Trudeau comme premier ministre.
Le nouveau premier ministre du Canada est ambitieux, déterminé et rien ne semble pouvoir l’arrêter alors qu’il s’attaque aux défis diplomatiques et économiques et consolide son leadership au pays.
Dans ce contexte, le sommet du G7 représente une occasion cruciale pour Carney de contribuer à désamorcer les tensions mondiales et de proposer des solutions constructives. Fort de son expérience à la Banque du Canada et à la Banque d’Angleterre, Carney est bien placé pour relever les défis économiques laissés par le gouvernement précédent et pour redonner au Canada son statut d’acteur efficace et respecté sur la scène internationale.
Carney, un César des temps modernes
Le regretté S.A. Handford, qui a traduit La Guerre des Gaules de Jules César, soulignait que la fin de la République romaine avait vu naître de nombreux généraux, orateurs, politiciens et administrateurs talentueux, mais que ce qui rendait César unique, c’est qu’il réunissait toutes ces qualités en une seule personne, avec en plus un intellect remarquable et une volonté implacable de réussir. Il avait un avantage sur ses adversaires politiques et militaires : ils n’arrivaient jamais à le cerner, car il était toujours plusieurs coups d’avance sur eux pour élaborer des stratégies lui permettant d’atteindre ses multiples objectifs.
Les talents de César touchaient à l’économie, à la science — il nous a donné le calendrier julien —, à la gouvernance et au droit. Il avait cette capacité rare de voir à la fois l’ensemble et les moindres détails, trouvant des solutions immédiates et concrètes. Son génie était largement reconnu, et il n’avait aucune tolérance pour l’incompétence. Son cercle rapproché était restreint, mais il accordait une grande confiance à ceux qui en faisaient partie.
Carney est, à bien des égards, un César moderne et, depuis son élection en avril dernier à la tête d’un solide gouvernement minoritaire, il fait preuve de la même détermination et du même dynamisme. Bien qu’il s’entoure de conseillers de confiance, les grandes orientations, les politiques et la planification stratégique du gouvernement émanent directement de lui.
Carney entend gouverner selon la primauté du droit, mais il n’hésite pas à contourner les règles et à convaincre les autres, à la manière de César ou du président Lyndon Johnson : il sait faire pression, récompenser les alliés fidèles et même rallier des adversaires comme la première ministre de l’Alberta, Danielle Smith. Ce style affirmé peut être efficace, mais l’histoire montre que l’hubris comporte des risques : elle a mené à l’assassinat de César en 44 av. J.-C., et une confiance excessive pourrait aussi causer à Carney des revers, petits ou grands.
L’approche de Carney est nourrie par son expérience à la Banque du Canada, à la Banque d’Angleterre, aux Nations Unies et chez Brookfield Asset Management, où il s’est forgé une réputation de stratège et de décideur. Fort de ce parcours, examinons comment Carney navigue à travers les crises mondiales et redéfinit le rôle international du Canada.
‘Carney est déterminé à défendre les intérêts du Canada en forgeant de nouveaux partenariats et en réduisant la dépendance envers les États-Unis, tout en misant sur la réputation du pays pour l’équité et l’humanisme à travers le monde.’
La politique « America First » de Trump a affaibli le leadership américain et bouleversé l’économie mondiale, minant la relation économique traditionnelle entre les États-Unis et le Canada. En réaction, Carney réoriente la politique économique et diplomatique du Canada vers l’Europe et l’Asie, cherchant à diversifier les échanges et les alliances.
Alors que Trump adopte une position ambigue sur la question ukrainienne, causant des pertes inutiles du côté ukrainien, Carney rapproche le Canada de l’Europe, renforce les liens avec l’OTAN et appuie l’Ukraine tant sur le plan militaire qu’économique — une position à la fois de principe et avantageuse sur le plan politique, compte tenu de l’importance de la communauté ukrainienne au Canada.
Ce réalignement marque une nouvelle ère pour la politique étrangère canadienne : Carney est résolu à défendre les intérêts du pays en tissant de nouveaux liens et en réduisant la dépendance envers les États-Unis, tout en s’appuyant sur la réputation canadienne d’équité et d’humanisme à travers le monde.
On ne sait pas si Trump souhaite réellement retirer les États-Unis de l’OTAN, mais il utilise clairement cette menace pour forcer les partenaires à augmenter leurs dépenses militaires. En réponse, le premier ministre Carney a récemment annoncé que le Canada augmentera son budget de la défense de 9 milliards de dollars cette année, atteignant ainsi la cible de 2 % du PIB fixée par l’OTAN, cinq ans plus tôt que prévu.
Ce geste démontre l’engagement du Canada envers la sécurité collective et impliquera probablement l’achat de nouveaux systèmes d’armement en Europe, avec la condition que certaines composantes soient fabriquées ici. Les dépassements de coûts du chasseur F-35 américain pourraient d’ailleurs pousser le Canada à se tourner vers des avions européens moins coûteux.
Le sommet du G7 devrait permettre à Carney de s’imposer comme un véritable homme d’État. Parmi les dirigeants invités figurent la présidente mexicaine Claudia Sheinbaum et le premier ministre indien Narendra Modi, malgré la controverse entourant ce dernier, dont le gouvernement est accusé d’avoir facilité l’assassinat d’un leader sikh au Canada et de faire adopter des lois qui minent les droits de la minorité musulmane en Inde. Le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, un autre personnage controversé, ne sera pas présent cette année.
En resserrant les liens avec les dirigeants européens et asiatiques, Carney cherche à s’entourer d’alliés solides pour les négociations tarifaires à venir. Trump se retrouve isolé au G7, ses tarifs ayant touché l’économie mondiale. La présence de Modi accentue la pression sur Trump et offre au Canada et à l’Union européenne une occasion d’approfondir leurs relations économiques avec l’Inde. Même si Trump préfère les ententes transactionnelles, la présence de nombreux chefs d’État pourrait favoriser une ambiance plus conciliante et tempérer ses positions.
Carney et Trump sont engagés dans des discussions directes pour conclure un accord commercial et sécuritaire qui mettrait fin aux tarifs de 50 % sur l’aluminium et l’acier canadiens. Le Canada a été critiqué pour avoir semblé délaisser le Mexique, son partenaire dans l’ACEUM, alors que Trump cherche à démanteler l’accord. La participation de Sheinbaum au sommet permet toutefois au Mexique de renforcer ses liens avec l’Union européenne, et une rencontre privée entre Carney, Trump et Sheinbaum pourrait contribuer à apaiser les tensions qui nuisent à l’emploi, à la croissance économique et aux chaînes d’approvisionnement partout en Amérique du Nord.
‘Trump se retrouve isolé au G7, ses tarifs ayant eu des répercussions sur les économies du monde entier.’
Jusqu’à présent, malgré la récente escalade au Cachemire, l’Inde et le Pakistan ont su garder leur sang-froid — aucun des deux pays ne souhaite un conflit nucléaire. Par ailleurs, le Canada s’est joint à des alliés comme le Royaume-Uni, l’Australie, la Norvège et la Nouvelle-Zélande pour sanctionner deux ministres israéliens d’extrême droite, Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich, pour avoir incité à la violence contre les Palestiniens en Cisjordanie et prôné des mesures extrêmes à Gaza. Plusieurs pays européens estiment que la riposte d’Israël à l’attaque dévastatrice du Hamas du 7 octobre est allée trop loin et risque de se retourner contre l’État hébreu et de déstabiliser la région.
Le Canada demeure un allié fidèle d’Israël, mais insiste pour qu’Israël permette l’acheminement de nourriture, d’eau et de fournitures médicales à Gaza, et mette fin tant au ciblage délibéré de civils qu’aux conditions de famine imposées. Israël profite aussi du conflit pour attaquer des pays voisins, ce qui aura des conséquences à court et à long terme. Si la présence de tant de dirigeants mondiaux au sommet du G7 pouvait mener à une résolution pacifique — libération simultanée des otages restants et arrêt des bombardements et des attaques terrestres — ce serait un grand succès diplomatique pour Carney.
Carney sait que le Canada ne sera jamais une grande puissance militaire, et n’a pas à l’être. Nos atouts résident dans nos ressources, notre réputation d’équité et notre engagement humanitaire. Il est bien conscient de l’héritage diplomatique du Canada et des dommages causés à notre réputation sous Trudeau. En misant sur la diplomatie et l’économie, Carney veut ouvrir de nouveaux marchés pour nos produits et renforcer le leadership positif du Canada sur la scène internationale.
Malgré les affirmations répétées et infondées de Trump selon lesquelles les États-Unis n’auraient pas besoin du pétrole, de l’acier, de l’aluminium, du bois, de l’électricité, des matières premières ou des produits alimentaires canadiens, ces exportations sont essentielles à l’économie américaine. Les propos de Trump — selon lesquels le Canada et d’autres pays profitent des États-Unis — ont causé des perturbations économiques inutiles, qui nuisent autant aux Américains qu’aux Canadiens.
Le manque de préparation de Trudeau était évident lors de sa rencontre avec Trump à Mar-a-Lago après l’élection fédérale de 2024, où il s’est laissé dominer. À l’inverse, Carney a été beaucoup plus stratégique lors de sa visite à la Maison-Blanche, gagnant le respect de Trump lors de leur conférence de presse commune. Pourtant, Trump demeure convaincu que le Canada devrait être le 51e État américain, et rien ne semble pouvoir le faire changer d’avis.
Au delà de Kananaskis
Le sommet du G7 représente une occasion cruciale d’apaiser les tensions mondiales et de jeter les bases de solutions concrètes. L’expérience de Mark Carney à la tête de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre sera précieuse alors qu’il s’attaque aux défis économiques laissés par le gouvernement Trudeau : une explosion de la dette nationale, des déficits annuels records, des dépenses incontrôlées et souvent inutiles, ainsi qu’un élargissement injustifié de la fonction publique fédérale accompagné d’une forte hausse des coûts liés aux firmes de consultants. Le gouvernement Trudeau a eu du mal à gouverner efficacement, une situation aggravée par la mise en place d’une taxe carbone à la consommation et une proposition très impopulaire d’augmentation de l’impôt sur les gains en capital.
‘Carney est déterminé à réussir là où Trudeau a échoué, notamment en obtenant pour le Canada un siège au Conseil de sécurité des Nations Unies.’
Les changements climatiques sont une réalité indéniable, dont les effets se font de plus en plus sentir partout au pays. Bien que Carney ait exprimé ses préoccupations environnementales lors de la récente élection, son ambition de faire du Canada une superpuissance énergétique entre parfois en conflit avec l’action climatique. Davantage de projets d’oléoducs et de gazoducs — comme les projets Tidewater et Énergie Est — devraient aller de l’avant, tout comme de nouveaux barrages hydroélectriques au Québec, à Terre-Neuve-et-Labrador et en Colombie-Britannique. Toutefois, les grands projets hydroélectriques ne sont pas sans controverse, car ils inondent de vastes territoires et nuisent à la biodiversité. On s’attend aussi à une augmentation de l’exploitation minière dans des régions écologiquement sensibles, comme le « Ring of Fire » en Ontario.
Bon nombre de ces projets de ressources risquent d’être approuvés et imposés malgré une forte opposition des Premières Nations. En Ontario, par exemple, une nouvelle loi permet d’accélérer l’exploitation des ressources, suscitant une vive résistance de la part des communautés autochtones qui promettent des contestations judiciaires et des actions directes pour défendre leurs droits et leurs terres. Des tensions similaires pourraient survenir en Colombie-Britannique et ailleurs, alors que les gouvernements provincial et fédéral poussent leurs plans de développement.
En regardant vers l’avenir, Carney devra relever une foule de défis au cours des quatre prochaines années : révolution de l’intelligence artificielle, changements climatiques, instabilité internationale, réforme de l’immigration, etc. Si son parcours et son caractère sont révélateurs, il atteindra plusieurs de ses objectifs. Carney n’est pas motivé par la popularité ou la gloire personnelle, mais par la conviction d’agir pour le bien du Canada. Reste à voir si ce style et cette ambition lui permettront de décrocher un second mandat, mais sa détermination à s’attaquer aux enjeux majeurs du pays est manifeste.
Note : Les opinions exprimées dans cet article sont celles de son auteur et ne reflètent pas les opinions de WestmountMag.ca ou de ses éditeurs.
Image d’entête : Mark Carney au Forum de planification du Cabinet
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Irwin Rapoport, journaliste indépendant, a obtenu une maîtrise en histoire et en sciences politiques à l’Université Concordia.




