Burn Baby, Burn:
Brasier joyeux de la vie
Neuf corps en feu s’embrasent autour du brasier climatique
Par Sophie Jama
27 novembre 2025
Burn Baby, Burn est un ballet de danse contemporaine imaginé par Guillaume Côté, chorégraphe en chef et âme flamboyante de la compagnie Côté Danse, pour un ensemble de neuf interprètes. Ces corps ardents font actuellement vibrer le Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts à Montréal, avant de porter leur brasier poétique dans d’autres salles à travers le Canada.
La pièce utilise la métaphore du feu pour aborder la crise climatique et la nécessité d’une prise de conscience collective.
Dans Burn Baby, Burn, le feu devient le grand complice de la soirée, une image à la fois d’un monde qui surchauffe et de notre obstination à continuer de danser. Il sert de fil rouge pour parler de la crise climatique, non pas comme un cours magistral, mais comme une invitation urgente à ouvrir les yeux ensemble.
La pièce joue ainsi sur une délicate bascule entre le plaisir presque coupable de danser alors que tout brûle et l’angoisse sourde qui nous serre la gorge à l’évocation de l’avenir de la planète. Cette tension s’enracine aussi dans les questions très concrètes d’un enfant, venues bousculer le chorégraphe sur le climat, qui résonnent ici comme un écho tendre et implacable à la fois.
Sur le plateau, la question des changements climatiques n’arrive pas en sermon, mais comme une braise discrète qui nourrit chaque geste. Côté Danse et Guillaume Côté choisissent de célébrer le feu de la vie plutôt que de s’attarder sur les scénarios d’apocalypse, et cette option lumineuse colore toute la soirée.
Neuf interprètes, tous très singuliers, composent une petite galaxie d’individualités qui se trouvent, se repoussent, se retrouvent. On sent combien le chorégraphe aime révéler la personnalité de chacun, même quand les corps se répondent en couples ou se fondent dans des unissons d’une précision jubilatoire.
Dès l’ouverture, une pulsation lourde traverse la musique, et un premier danseur glisse hors de l’ombre, comme surpris d’être encore là. Sa danse oscille délicieusement entre confiance et vertige, équilibre fragile et joyeuse perte de contrôle, avec des éclats acrobatiques qui empruntent au breakdance sans jamais s’y enfermer.
La chute qui conclut cette entrée en matière laisse place, dans un court noir, à une vision quasi mythologique: une figure ailée, liserée de rouge, tourne autour de lui comme un phénix curieux venu souffler un mode d’emploi pour renaître. Ce duo silencieux condense déjà le cœur du propos: tomber, oui, mais pour mieux repartir, habité d’un secret tout neuf.
Tout au long du spectacle, ce message de vitalité circule d’un tableau à l’autre. Des pans de scène se découpent en zones chaleureuses, orange et rouge comme des braises, puis laissent place à des halos bleutés ou verdâtres plus frais, où rejaillit toujours, obstinément, un éclat rouge – battement de cœur visuel qui refuse de s’éteindre.
‘La chorégraphie mêle vocabulaire classique et langage contemporain, avec une grande physicalité, des géométries très dessinées dans l’espace et des enchaînements de groupe énergiques, entrecoupés de duos et de solos plus intimes.’
Les chorégraphies invitent souvent les interprètes à se rejoindre en duos: étreintes languides, tendresses maladroites, élans qui s’emmêlent et se démêlent dans un joyeux désordre. Le langage de Côté mélange alors, sans complexe, danse contemporaine, accents circassiens et traces de ballet, créant un objet scénique hybride qui ne ressemble qu’à lui.
Les corps sont mis à rude épreuve, mais une énergie contagieuse traverse chaque séquence. Les grands gants rouges, surgissant à différents moments, deviennent de véritables prolongements des bras: ils découpent l’air, griffent la lumière, soulignent jusqu’aux plus infimes articulations des doigts.
La conception de l’éclairage, d’une grande finesse, sculpte l’espace par à-coups: parfois une mince ligne lumineuse à l’horizon pèse sur les danseurs comme un plafond trop bas, parfois elle se relève pour ouvrir le champ des possibles et laisser l’air entrer. Cette simple ligne changeante suffit à exprimer l’écrasement face aux problèmes, puis le soulagement quand on relève la tête.
Enfin, la dernière séquence s’étire avec générosité sur une rumeur lointaine d’enfants, comme si un futur insouciant murmurait depuis les coulisses. Après les brasiers, les chutes, les élans, ce final offre un souffle calme et confiant, un clin d’œil à la capacité inépuisable des humains à inventer pour que la vie, malgré tout, continue de danser.
Impossible de sortir de la salle sans emporter quelques braises de ce Burn Baby, Burn, qui réussit le tour de force d’allier fête et lucidité, sueur et vertige, douceur et urgence. Dans ce bal incandescent, Guillaume Côté et ses interprètes nous rappellent qu’on peut danser au bord du gouffre sans fermer les yeux sur l’abîme, et que c’est peut-être même là que naissent les élans les plus nécessaires. En quittant le Théâtre Maisonneuve, on a le cœur un peu plus léger, le regard un peu plus vif, et cette petite flamme têtue qui chuchote qu’il est encore temps de garder le monde – et la danse – bien vivants.
Images : Sasha Onyshchenko
Autres revues et critiques
Autres articles récents
Il n'y a aucun commentaire
Ajouter le vôtre