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Les Linceuls : Le deuil
sous l’œil de Cronenberg

Un thriller d’une intimité vertigineuse qui s’apparente à une confession à ciel ouvert

Par Andrew Burlone

1 mai 2025

Avec Les Linceuls, un thriller d’une intimité vertigineuse, David Cronenberg livre un film qui s’apparente à une confession à ciel ouvert, où chaque plan semble traversé par la douleur et la lucidité d’un homme face à la perte. Écrit dans le sillage de la disparition de son épouse en 2017, ce vingt-troisième long métrage dissèque, avec une précision presque chirurgicale, les étapes du deuil – cette descente aux enfers silencieuse où le corps, la chair, et la mémoire deviennent des territoires à la fois familiers et étrangers. Fidèle à ses obsessions, Cronenberg interroge ici la manière dont la technologie vient contaminer nos rituels les plus ancestraux, brouillant les frontières entre la vie et la mort, l’humain et la machine.

Écrit dans le sillage de la disparition de son épouse en 2017, ce vingt-troisième long métrage dissèque, avec une précision presque chirurgicale, les étapes du deuil.

Tourné à Toronto, Les Linceuls offre à Vincent Cassel le rôle d’un alter ego évident du cinéaste : un homme hanté, écorché, dont la quête de sens se heurte à l’impossibilité du retour. Face à lui, Diane Kruger se démultiplie, épouse disparue, sœur jumelle, assistante générée par intelligence artificielle : elle incarne à elle seule le vertige des identités, la confusion des souvenirs et la tentation du simulacre. Ce jeu de miroirs, d’une rare complexité, donne au film une profondeur troublante, où chaque visage devient le reflet d’un manque impossible à combler.

David Cronenberg - The Shrouds / Les linceuils - 2024

Présenté en compétition officielle lors de la première mondiale au Festival de Cannes 2024, Les Linceuls s’impose d’emblée comme l’œuvre la plus personnelle de Cronenberg. Le cinéaste ne s’en cache pas : jamais il n’avait autant mis de lui-même dans un film, jamais l’intime n’avait autant contaminé la fiction. Les huit nominations aux Prix Écrans canadiens viennent saluer cette audace, et la cérémonie du 1er juin à Toronto s’annonce déjà comme un hommage à cette prise de risque. Autour du duo Cassel-Kruger, Sandrine Holt et Guy Pearce complètent une distribution à la hauteur de l’ambition du projet, donnant à ce requiem moderne une ampleur et une gravité rares dans le cinéma contemporain.

‘Fidèle à ses obsessions, Cronenberg interroge ici la manière dont la technologie vient contaminer nos rituels les plus ancestraux, brouillant les frontières entre la vie et la mort, l’humain et la machine.’

David Cronenberg nous propose ici son film le plus intime, une œuvre qui a suscité de nombreuses réactions lors de sa présentation à Cannes en 2024, avant sa sortie l’année suivante. On y retrouve toute la signature du cinéaste canadien : une esthétique troublante, un mélange de body horror et de méditation philosophique sur la mort, la technologie et la persistance du deuil. Ce qui frappe avant tout, c’est la sincérité brute du propos, la manière dont Cronenberg explore la douleur, la perte et la tentative désespérée de maintenir un lien avec l’être aimé disparu.

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Le film s’ouvre sur Karsh, incarné avec une sobriété bouleversante par Vincent Cassel, un entrepreneur endeuillé qui invente une technologie permettant de surveiller la décomposition du corps de sa femme, comme pour refuser l’oubli, pour s’accrocher à l’image, aussi insoutenable soit-elle, de celle qu’il a perdue. Dès les premières scènes, Cronenberg impose un climat à la fois clinique et spectral : ici, le deuil n’est pas idéalisé, il est mis à nu, disséqué, exposé dans toute sa crudité. La caméra ne détourne jamais le regard : le corps malade, la chair qui se délite, la sexualité hantée par la mort, tout est montré sans fard, comme pour forcer le spectateur à affronter l’inconfort de l’absence.

‘David Cronenberg nous propose ici son film le plus intime, une œuvre qui a suscité de nombreuses réactions lors de sa présentation à Cannes en 2024, avant sa sortie l’année suivante.’

Ce qui fascine, c’est la manière dont le film tisse ses motifs : la frontière poreuse entre le corps et la technologie, la mémoire et la surveillance, la vie et la disparition. Cronenberg interroge notre rapport contemporain à la mort : que reste-t-il de nos rituels, de notre spiritualité, quand l’écran devient le dernier linceuil ? Les objets, les couleurs, les dispositifs technologiques agissent comme autant de symboles, de codes secrets qui densifient le récit et invitent à une lecture à la fois émotionnelle et intellectuelle. La symbolique visuelle, omniprésente, donne au film une profondeur supplémentaire : chaque détail, chaque motif, chaque reflet semble renvoyer à la persistance du chagrin, à l’impossibilité de tourner la page.

David Cronenberg - The Shrouds / Les linceuils - 2024

Mais Les Linceuls ne se contente pas d’un simple constat : il explore aussi l’exploitation du deuil, la marchandisation de la mémoire, la tentation de céder aux sirènes de la technologie pour repousser l’inévitable. La spiritualité, ici, n’est jamais didactique : elle s’exprime dans le doute, dans la quête de sens, dans la confrontation avec le vide. Cronenberg ne propose aucune réponse, il ouvre des pistes, laisse le spectateur s’égarer dans ce labyrinthe de questions existentielles.

‘La spiritualité, ici, n’est jamais didactique : elle s’exprime dans le doute, dans la quête de sens, dans la confrontation avec le vide.’

Certains critiques ont pu reprocher au film sa froideur, son rythme parfois languissant, son refus de livrer une narration classique ou émotionnellement rassurante. Mais c’est précisément dans cette distance, dans cette pudeur, que réside la force du film : Les Linceuls ne cherche pas à consoler, mais à troubler, à faire ressentir l’inconfort du deuil, la complexité du souvenir, la violence sourde de l’absence.

Au final, ce long-métrage s’impose comme une méditation vertigineuse sur la mort, la mémoire et la technologie, portée par la performance magistrale de Vincent Cassel et une mise en scène d’une rare intelligence. C’est un film qui ne s’adresse pas à tous les publics, mais qui marquera durablement ceux qui accepteront de plonger dans ses ténèbres. Cronenberg signe ici un requiem moderne, une œuvre à la fois dérangeante et profondément humaine, où chaque plan, chaque silence, chaque image semble prolonger la question : comment continuer à aimer quand tout s’efface ?

LES LINCEULS (v.o. THE SHROUDS)

De David Cronenberg
Avec Diane Kruger et Vincent Cassel
Distribué au Canada par SPHÈRE Films

Image d’entête : Courtoisir de SPHÈRE FilmsButton Sign up to newsletter – WestmountMag.ca

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Andrew Burlone, co-publisher – WestmountMagazine.ca

Andrew Burlone, cofondateur de WestmountMag.ca, a commencé sa carrière dans les médias au magazine NOUS. Par la suite, il a lancé Visionnaires, où il a occupé le poste de directeur de création pendant plus de 30 ans. Andrew est passionné de culture et de politique, avec un vif intérêt pour les arts visuels et l’architecture.



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