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L’objet de l’art
et sa raison d’être

La création artistique au centre de la pièce Tableau d’une exécution

Par Sophie Jama

30 septembre 2025

Poser la question de l’objet de l’art, c’est interroger sa raison d’être : doit-il magnifier la gloire des puissants ou révéler la vérité nue du monde ? Curieusement, c’est Henri Bergson, dans son essai consacré au rire, qui s’interroge sur cette finalité. C’est aussi la même tension que l’on retrouve dans la pièce de Howard Barker, Tableau d’une exécution, mise en scène avec force par Michel Monty au Théâtre du Rideau Vert.

L’Art doit-il magnifier la gloire des puissants ou révéler la vérité nue du monde ?

Nous voilà à Venise, à la fin du XVIe siècle. On confie à Galactia, peintre admirée et insoumise, la réalisation d’une fresque monumentale célébrant la victoire de Lépante sur les Turcs. Mais entre la commande officielle et la vision de l’artiste s’ouvre un abîme : Le Doge voudrait un hommage éclatant à la grandeur militaire, un monument à la gloire de son frère Amiral. Galactia, elle, n’entend que sa conscience : peindre non la victoire mais l’horreur des combats. Son art ne s’embarrasse pas de flatteries. Elle veut un rouge de sang nouveau, effrayant, qui submerge le spectateur. Une peinture qui pue la guerre, qui hurle, qui force le regard et le corps à réagir.

Tableau d’une exécution de Howard Barker, au Théatre du Rideau vert.

Sous les traits flamboyants de Sylvie Drapeau, Galactia apparaît indomptable, excessive, éblouissante. Ses échanges avec son jeune amant et sa fille, eux aussi peintres renommés, déploient une effervescence de débats et de passions, révélant la vitalité d’un esprit qui se refuse aux compromis.

Barker situe son héroïne à la croisée des temps : entre Renaissance et modernité. Les décors mouvants, les costumes mêlant passé et contemporain, tout concourt à brouiller la frontière temporelle pour mieux souligner les contradictions éternelles de l’art : vérité ou propagande, réalisme ou idéal, liberté ou servitude au pouvoir. Sur scène, une fresque se compose, vivante et foisonnante, où se croisent l’élan comique et la tragédie.

Tableau d’une exécution de Howard Barker, au Théatre du Rideau vert.

Car s’il est abordé avec gravité, le texte recèle aussi une légèreté, une lucidité ironique qui, parfois, prête à sourire. Cet humour aurait peut-être mérité d’être encore plus exploité, tant il offre une ouverture face à la densité des enjeux soulevés : la place des femmes créatrices, le rapport des artistes au marché, la reconnaissance et la rémunération de leur savoir-faire.

Dans ce mélange assumé entre passé et présent, Barker donne voix à une artiste qui revendique le droit de l’art à dire ce qui dérange. Et c’est là, peut-être, l’objet véritable de l’art : ne pas se contenter d’orner, mais secouer, déranger, obliger à voir.

Tableau d’une exécution de Howard Barker, au Théatre du Rideau vert.

Tableau d’une exécution
de Howard Barker

Traduction : Jean-Michel Départs
Mise en scène : Michel Monty
Avec : Anne-Marie Binette, Jonathan Buaron, Frédéric Charbonneau, Patrice Coquereau, Maxime Denommée, Sylvie Drapeau, Jean-Moïse Martin, Marcel Pomerlo et Ève Pressault
Assistance à la mise en scène : Elaine Normandeau
Décors : Olivier Landreville
Costumes : Pierre-Guy Lapointe
Éclairages : Renaud Pettigrew
Accessoires : Félix Plante
Musique : lefutur
Vidéo : Gaspard Philippe
Coiffures et maquillages : Audrey Toulouse

Jusqu’au 25 octobre 2025, au Théâtre du Rideau Vert, Montréal
Billeterie

Images : Ève B. Lavoie

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Sophie Jama - WestmountMag.ca

Sophie Jama est titulaire d’un doctorat en anthropologie et d’une maîtrise en littérature comparée. Elle a publié plusieurs ouvrages au Québec et en France. Depuis une quinzaine d’années, elle couvre la scène culturelle montréalaise en matière de théâtre, de danse, de cirque et autres arts vivants.

 



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