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Vers une autre
idée de la chose

L’amour sans compromis pour inventer de nouveaux possibles

Par Sophie Jama

24 avril 2025

L’amour ou rien, présenté à l’Espace Go, s’affirme comme une traversée sensorielle et intellectuelle, une invitation à revisiter l’amour dans ses élans, ses failles et ses révoltes. Sur scène, huit artistes, portés par la vision singulière de Mélanie Demers, tissent un dialogue entre la danse, la musique, le théâtre et la parole, s’inspirant de la pensée lumineuse de bell hooks.

Ici, l’amour se dépouille de ses oripeaux sucrés pour s’exposer dans sa dimension politique, érotique, subversive.

Gloria Jean Watkins, connue sous le nom de bell hooks, est une figure majeure de la pensée contemporaine sur les questions de race, de genre et de classe. Son œuvre invite à repenser les rapports sociaux et les relations humaines à travers le prisme de l’égalité et de la justice. Son approche met en lumière l’importance de l’amour comme force transformatrice, capable de remettre en question les hiérarchies et de nourrir des relations authentiques. Elle encourage à dépasser les divisions pour construire des liens fondés sur le respect, la solidarité et la reconnaissance mutuelle.

Ce spectacle de danse, de musique et de théâtre, librement adapté de All About Love: New Visions, propose une exploration plurielle de ce que recouvre « la chose ». Les interprètes, tels des passeurs, incarnent les mots et les rêves de bell hooks, donnant chair à la possibilité d’un amour qui résiste, qui transforme, qui libère. Nous sommes conviées à imaginer un art d’aimer affranchi des carcans, enraciné dans la justice, la sororité, l’écoute des différences.

En une heure trente, L’amour ou rien devient ce laboratoire vivant où s’éprouvent, dans la fulgurance du geste et la force du verbe, nos désirs de connexion et nos utopies. Un objet scénique hybride, vibrant, qui mêle la pensée à l’émotion, la gravité à la joie, et qui invite le public à oser, lui aussi, réinventer l’amour.

Dès l’ouverture, le mot amour disparaît, laissé de côté, trop galvaudé, trop usé par les siècles, vidé de toute substance. Ici, on lui préfère la chose, insaisissable, fuyante, dont on tente de s’approcher sans jamais la nommer. On veut nous parler de ce qui échappe aux définitions apprises, à tout ce que la littérature, le cinéma ou la tradition nous ont légué. Fini le romantisme de pacotille, les effusions sentimentales, les émotions édulcorées : tout cela appartient au passé.

‘Pour tout dire de l’amour, il conviendrait donc déjà de ne pas le nommer. Et il conviendrait de le penser avec le corps.’

Ce qui se joue à l’Espace Go, c’est une exploration radicale, une traversée des apparences pour atteindre ce qui, en nous, aspire à la vérité nue. La chose n’est ni mièvre, ni fade : elle est subversive, politique, érotique. Elle se cherche dans le corps, dans la voix, dans l’élan collectif, loin des conventions rassurantes. Sur scène, les interprètes sondent ce manque, cette soif, cette faille, et tentent de faire vibrer ce qui, en chacun, attend d’être révélé.

Il ne s’agit plus d’émouvoir, mais de secouer. De dépouiller la chose de ses oripeaux pour la rendre à sa puissance première : celle qui guérit, qui bouleverse, qui relie. Ce spectacle, refusant toute facilité, invite à repenser la chose comme une force d’émancipation, une action, un engagement. Une expérience à vivre, à éprouver, à réinventer.

Sur le plateau, les acteurs prennent la parole tour à tour, portés par une insatisfaction profonde face au monde tel qu’il est. Entre deux séquences dansées ou chantées, les instruments à vent s’invitent, déposant leurs éclats dorés sur les tableaux successifs. Les chorégraphies, précises et habitées, s’enchaînent avec fluidité, tandis que les voix s’élèvent, agréables, enveloppées par une esthétique scénique soignée. Pourtant, les propos, loin de rassurer, entraînent le spectateur sur des sentiers énigmatiques, une cartographie nouvelle qui prétend clarifier ce qu’est véritablement la chose et ce que chacun en attend.

Ici, il s’agit de rompre avec le romantisme, la tendresse, la douceur : ces notions sont reléguées au rang de reliques. La revendication se veut politique, érotique, à rebours d’une société jugée asphyxiante. On cherche à embrasser la totalité de la chose, à en finir avec le manque de lumière, l’humiliation, les faux-semblants ; à dépasser les images figées de l’enfance, des clôtures blanches et des barbecues, pour viser le divin, la transcendance. L’Afrique, évoquée comme horizon vaste et indéfini, devient le symbole d’un ailleurs possible, d’une ouverture vers l’immensité.

‘Une exploration radicale, une traversée des apparences pour atteindre ce qui, en nous, aspire à la vérité nue.’

Les discours, cependant, multiplient les injonctions à prendre soin de soi, sans jamais envisager la réciprocité. L’idée d’offrir à l’autre ce qu’il n’attendait pas, d’inventer la rencontre, semble s’être effacée au profit d’une vision recentrée sur soi. Cette approche, portée par les interprètes, laisse transparaître un certain désenchantement : grimaces, rires nerveux, éclats de tristesse. Plus qu’une célébration, le spectacle donne à voir un ressenti, une revendication, plutôt qu’un élan vers l’autre. La chose, toujours mystérieuse, garde sa part d’ombre : peut-être est-ce là sa plus grande force, puisqu’aucune méthode, aucun discours, ne saurait l’épuiser ni la réduire.

L’amour ou rien

All about Love: New Visions de bell hooks

Traduction et adaptation : Lorrie Jean-Louis
Mise en scène et chorégraphie : Mélanie Demers
Dramaturgie : Mélanie Demers, Angélique Willkie

En collaboration avec
Vlad Alexis
Rachel Amozigh
Ariel Charest
Frannie Holder
Mimo Magri
Carla Mezquita Honhon
Fabien Piché
Laurie Torres

Costumes : Elen Ewing
Éclairages : Paul Chamers
Musique : Frannie Holder

L’amour ou rien
15 avril au 10 mai 2025
Espace Go à Montréal

Images : L’amour ou rien © Yanick MacdonaldButton Sign up to newsletter – WestmountMag.caAutres revues et critiques
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Sophie Jama - WestmountMag.ca

Sophie Jama est titulaire d’un doctorat en anthropologie et d’une maîtrise en littérature comparée. Elle a publié plusieurs ouvrages au Québec et en France. Depuis une quinzaine d’années, elle couvre la scène culturelle montréalaise en matière de théâtre, de danse, de cirque et autres arts vivants.



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