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Jenůfa, opéra tragique
entre passé et modernité

Une mise en scène d’Atom Egoyan entre folklore rural et épure moderne

Par Sophie Jama

22 novembre 2025

Jusqu’au 30 novembre 2025, Montréal est le théâtre des destinées brisées et des amours impossibles, avec l’arrivée de Jenůfa à la Salle Wilfrid-Pelletier. Entre les murs de cette salle iconique, le chef-d’œuvre de Leoš Janáček prend vie sous la direction audacieuse d’Atom Egoyan : un village isolé, une héroïne écartelée entre silence et révolte, et tout un monde où l’honneur, la faute et le pardon résonnent en chœur sous l’œil attentif de Nicole Paiement.

Le chef-d’œuvre de Leoš Janáček prend vie sous la direction audacieuse d’Atom Egoyan.

Imaginez un village perdu quelque part en Moravie, où la vie se rit du temps et s’accroche jalousement aux gestes ancestraux. C’est ici que vit Jenůfa, orpheline lumineuse et pédagogue des humbles : entre deux corvées, elle offre aux villageois le précieux cadeau du savoir, enseignant l’alphabet comme d’autres enseigneraient l’espoir.

Jenůfa, de Leoš Janáček - jusqu'au 30 novembre 2025 à la Salle Wilfrid-Pelletier

Autour d’elle gravitent des destins aimantés, entre la tendre grand-mère, la sévère mais aimante Kostelnička — sa belle-mère, tisseuse d’honneur et de rituels — et deux hommes dont le cœur va vaciller face à tant de lumière : Laca, désespérément épris, et Števa, l’enfant doré, séducteur indomptable à la réputation d’ivrogne.​

Mais ni l’amour ni la passion n’arrêtent la rumeur ni la loi du village. Jenůfa, déjà mère en secret, rêve de mariage avec Števa, pourvu qu’on lui épargne le service militaire. Pourtant, la spirale du déshonneur s’enclenche : la redoutable Kostelnička, hantée par sa propre souffrance, commet l’inconcevable pour sauver l’avenir de sa fille de cœur. À travers ce crime, c’est tout le poids des illusions brisé, mais aussi la possibilité d’une lumière nouvelle, la grâce du pardon qui s’esquisse au bord du gouffre.​

Entre folklore et création contemporaine

Dans la mise en scène épurée d’Atom Egoyan, le passé et le présent valsent bras dessus, bras dessous. Les costumes semblent sortir d’un rêve rural tandis qu’un décor mouvant — tantôt lune, tantôt cœur, tantôt nouveau-né — pèse sur les personnages tel un secret enfoui. Le chœur devient une foule incarnée, une pensée collective, un juge du bien et du mal, tandis que la tension dramatique navigue entre moments de douce intimité et éclats tragiques.​

‘… tout le poids des illusions brisé, mais aussi la possibilité d’une lumière nouvelle, la grâce du pardon qui s’esquisse au bord du gouffre.​’

Au centre de la tourmente : deux sopranos lumineuses pour Jenůfa et Kostelnička, deux ténors, stables ou insouciants, pour Laca et Števa. Autour d’eux gravitent le superbe Chœur de l’Opéra de Montréal et l’Orchestre Métropolitain, mené par la talentueuse Nicole Paiement, qui insuffle à la partition de Janáček à la fois son âpreté contemporaine et la rondeur des chants populaires tchèques.​

Jenůfa, de Leoš Janáček - jusqu'au 30 novembre 2025 à la Salle Wilfrid-Pelletier

Tout se chante en tchèque, mais les surtitres en français et en anglais ouvrent la porte aux confidences et aux secrets, aux tensions séculaires entre le cœur, l’honneur, la faute et la rédemption. Un opéra à voir et à ressentir jusque dans ses élans de lumière, là où le pardon est peut-être la forme la plus radicale d’espérance.

‘Un opéra à voir et à ressentir jusque dans ses élans de lumière, là où le pardon est peut-être la forme la plus radicale d’espérance.’

Lorsque le rideau tombe sur Jenůfa, il ne reste plus qu’une poignée de lumière sur le chœur, écho du pardon et de la résilience qui traversent l’opéra comme une évidence inattendue. Dans cette Moravie à la fois rêvée et terriblement réelle, la musique de Janáček devient souffle, liant les blessures du passé à la promesse fragile d’un avenir réinventé. Et dans le frissonnement des costumes, au cœur de ce décor mouvant, le public quitte la salle bouleversé mais porteur d’espérance : la modernité sait parfois embrasser la tradition sans la briser, et la grâce peut surgir là où chacun croyait tout perdu.

Interprètes

Marie-Adeline Henry (Jenůfa)
Katarina Karnéus (Kostelnička)
Edgaras Montvidas (Laca)
Isaiah Bell (Števa)
Mikelis Rogers (Stárek)
Sydney Frodsham (Stefania Buryja)
Colin Mackey (Rychtar – Maire)
Camila Montefusco (Rychtarka – Mairesse)
Tessa Fackelmann (Karolka)
Justine Ledoux (Pastuchyna)
Bridget Esler (Barena)
Odile Portugais (Jano)
Ellita Gagner (Tetka)

Jenůfa, de Leoš Janáček

Mise en scène : Atom Egoyan
Cheffe d’orchestre : Nicole Paiement
Chœur de l’Opéra de Montréal Orchestre Métropolitain

Tchèque, sous-titré en français et en anglais
Jusqu’au 30 novembre 2025, à la Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts de Montréal.

Images : Vivien Gaumand

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Sophie Jama - WestmountMag.ca

Sophie Jama est titulaire d’un doctorat en anthropologie et d’une maîtrise en littérature comparée. Elle a publié plusieurs ouvrages au Québec et en France. Depuis une quinzaine d’années, elle couvre la scène culturelle montréalaise en théâtre, en danse, en cirque et autres arts vivants.

 



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