jail-prison-cell-2_1024

Trump envisagerait de
suspendre l’habeas corpus

Personne ne serait à l’abri d’une détention arbitraire

Par Irwin Rapoport

May 22, 2025

L’arrestation effrontée et scandaleuse du maire de Newark, Ras Baraka, le 9 mai, par plus de vingt agents armés du département de l’Immigration (ICE) devant un centre de détention sous contrat fédéral, a envoyé un message clair : l’administration Trump est déterminée à mettre fin à la démocratie en Amérique, et il est temps de dresser les barricades pour empêcher de nouvelles actions autoritaires.

Cet incident doit être considéré comme une ligne rouge. Trump a franchi le Rubicon et représente un danger pour l’État.

Cette action signifie que personne n’est à l’abri d’une arrestation soudaine sans mandat, d’une détention de quelques heures, de plusieurs jours, et, dans les cas extrêmes, d’une expulsion du pays sans procédure régulière vers des prisons au Salvador, en Libye, ou dans tout autre pays choisi arbitrairement par le gouvernement.

Alina Habba, procureure générale par intérim des États-Unis pour le New Jersey, a défendu l’arrestation dans un message sur X : « Il a choisi délibérément d’ignorer la loi. Cela ne sera pas toléré dans cet État. Il a été placé en garde à vue. Personne n’est au dessus des lois. »

L’arrestation de Baraka, qui a été libéré quelques heures plus tard, a été filmée par plusieurs des plus de trente personnes rassemblées devant le centre de détention pour migrants afin de protester contre la manière dont le DHS, via les agents de l’ICE, arrête des étudiants internationaux venus étudier aux États-Unis avec des visas soudainement et arbitrairement révoqués, des immigrés légaux, ainsi que des immigrés en situation irrégulière.

L’administration Trump est déterminée à mettre fin à la démocratie en Amérique.

Des arrestations similaires ont lieu dans des villes comme Boston, où une étudiante turque en master à l’université Tufts, co-auteure d’un article d’opinion sur la situation à Gaza publié dans un journal étudiant, a été arrêtée en plein jour par une escouade d’agents de l’ICE et jetée dans une fourgonnette. Elle a ensuite été transférée dans un centre de détention en Louisiane, où elle et d’autres attendaient leur expulsion sans procédure régulière : ils n’étaient pas informés des charges retenues contre eux, ne pouvaient pas contacter d’avocat et n’avaient pas droit à une audience.

L’étudiante a finalement pu obtenir une assistance juridique et, après six semaines passées en cellule, a été libérée par un juge du Vermont sans restriction de déplacement. D’autres ont également été libérés et racontent aujourd’hui leur histoire.

Trump a expulsé 238 personnes vers une prison tristement célèbre au Salvador, et malgré des ordonnances de la cour, son administration affirme qu’elle ne peut pas les faire revenir, que cela ne dépend plus d’elle. Kilmar Abrego Garcia, un Salvadorien marié et père d’un enfant, faisait partie de ceux qui ont été envoyés dans cette prison malgré son statut protégé. Un autre groupe de détenus était en route, en bus, vers des avions à destination du Salvador, mais a été sauvé grâce à une ordonnance judiciaire de dernière minute empêchant le vol.

Des membres démocrates du Congrès ont organisé une manifestation devant le centre de détention en Louisiane, et le sénateur démocrate du Maryland, Chris Van Hollen, s’est rendu au Salvador pour rendre visite à Abrego Garcia, où lui et son équipe ont craint d’être arrêtés.

Le maire de Newark arrèté

C’est au cours d’un débat sur MSNBC concernant la proposition de Stephen Miller, chef de cabinet adjoint à la Maison-Blanche, de suspendre les garanties de l’habeas corpus afin de contourner les recours juridiques contre la déportation de migrants légaux et illégaux en s’appuyant sur les controversées Alien and Sedition Acts de 1798, qu’une information de dernière minute sur l’arrestation du maire a éclipsé tous les autres sujets. Le timing était extraordinaire. Voici le reportage, avec les images de l’arrestation. L’arrestation commence à la sixième minute :

YouTube video player

Baraka a opposé une résistance non violente, protestant de son innocence et du caractère illégal de l’action, déclarant « enlevez vos mains de moi » et « vous n’avez pas le droit de… ». Trois membres démocrates de la Chambre des représentants du New Jersey – Bonnie Watson Coleman, 80 ans, Robert Menendez et LeMonica McIver – ont héroïquement protégé le maire de leur corps tandis que les manifestants exprimaient leur indignation en scandant « ce n’est pas juste ! ». Heureusement, l’incident a été filmé, nous avons donc des preuves.

Jelani Cobb, doyen de l’école de journalisme de l’université Columbia et l’un des panélistes de MSNBC, a déclaré avec éloquence : « Le but est de montrer qu’il n’y a aucun contre-pouvoir face à l’autorité de l’administration et… si le maire n’est pas en sécurité, alors personne ne l’est. C’est le message qu’ils veulent faire passer. »

L’incident est troublant et dépasse l’entendement. Il rappelle des scènes de l’Allemagne nazie, de l’Italie fasciste, de la Russie stalinienne, de la Chine (de Mao à aujourd’hui) et des dictatures d’après-guerre. La candidate démocrate à la présidence, Kamala Harris, avait averti les Américains des conséquences d’un second mandat Trump.

Il n’aura fallu qu’un peu plus de 100 jours pour que le régime de Donald Trump bascule dans l’autoritarisme. Les actions menant à l’arrestation du maire étaient déjà suffisamment graves, l’administration ayant ouvertement ignoré des ordonnances et décisions de justice. Trump s’engage désormais sur un terrain inconnu dans l’histoire américaine.

Heureusement, des personnes de principe étaient présentes lors de l’arrestation, et ces défenseurs de la démocratie, des droits et des libertés inspirent des dizaines de millions de leurs concitoyens à résister et à lutter. Espérons que cette action marque le début de la fin pour Trump et ses sbires.

Un homme pour l’éternité raconte comment Henri VIII a harcelé, arrêté et condamné Sir Thomas More pour trahison, parce que ce dernier refusait de prêter serment reconnaissant le mariage du roi avec Anne Boleyn. Dans le film, Thomas Cromwell, secrétaire principal et ministre en chef d’Henri, déclare à More : « Nous ne sommes pas en Espagne, nous sommes en Angleterre », faisant référence à l’Inquisition. L’Angleterre était alors considérée comme le bastion de la liberté d’expression, tout comme les États-Unis le sont aujourd’hui. More, qui refusa de céder sur une question de principe, y perdit la tête.

‘Trump s’engage désormais sur un terrain inconnu dans l’histoire américaine.’

Si Trump parvient à devenir un dictateur à part entière, va-t-il imiter Joseph Staline, qui a envoyé des millions de personnes dans les goulags de Sibérie, exécuté et affamé des millions d’autres, et organisé les tristement célèbres procès-spectacles dans les années 1930 ?

J’espère que le 9 mai 2025 deviendra un nouveau jour d’infamie et que Trump et ses zélotes républicains seront non seulement mis en garde, mais qu’une révolte nationale éclatera, avec des manifestations, des actions en justice et une mobilisation massive lors des élections de mi-mandat de 2026.

Les Américains ne peuvent pas se reposer tant que ce régime n’aura pas été renversé. Les législateurs démocrates et les citoyens se mobilisent. L’arrestation de Baraka sera-t-elle la goutte d’eau qui fera déborder le vase et convaincra les derniers législateurs et soutiens républicains modérés de rompre avec le président ?

Si la démocratie meurt en Amérique, cela peut arriver partout. Ceux qui tiennent à la démocratie doivent aider ceux qui luttent aux États-Unis. Nous sommes tous liés dans ce combat contre la tyrannie.

Lors d’une intervention sur CNN, Tricia McLaughlin, secrétaire adjointe aux affaires publiques du DHS, a souligné que des membres du Congrès pourraient être arrêtés à l’avenir. Fidèle à la ligne MAGA, elle a répété que Baraka avait été arrêté pour avoir « pris d’assaut » le centre, alors que la vidéo montre qu’il a été interpellé à l’extérieur du portail grillagé. Elle a insisté sur le fait que Baraka et les membres du Congrès présents « ont mis les forces de l’ordre en danger, et cela a également mis en danger les détenus ».

« Je pense qu’il faut prévenir les téléspectateurs qu’il y aura probablement d’autres arrestations », a déclaré McLaughlin. « Nous avons en fait des images de caméras corporelles montrant certains de ces membres du Congrès agressant nos agents de l’ICE, y compris le plaquage au sol d’une agente de l’ICE. Nous allons montrer cela aux téléspectateurs très prochainement. » La conversation s’est poursuivie :

L’animateur de CNN, Victor Blackwell : « Vous dites qu’il existe une vidéo montrant des membres du Congrès plaquant au sol des agents de l’ICE ? »
McLaughlin : « C’est exact, monsieur, c’est écœurant. »
Blackwell : « D’accord, et donc, si vous avez cette vidéo, suggérez-vous que des membres du Congrès présents hier seront arrêtés ? »
McLaughlin : « C’est une enquête en cours, et c’est définitivement envisagé. »
Blackwell : « Qui détient la vidéo ? »
McLaughlin : « L’ICE, et nous la publierons très prochainement… Nous ne plaisantons pas. »

‘Jusqu’à présent, les tribunaux rejettent les actions illégales et anticonstitutionnelles de Trump.’

l’assault contre l’habeas corpus

Le désir de Trump d’éliminer le droit à l’habeas corpus, pilier de notre système judiciaire, nous ramène à l’Angleterre médiévale et à la révolte des barons, qui a conduit le roi Jean à signer la Magna Carta en 1215. Ce document historique a consacré bon nombre des droits et libertés que nous chérissons et tenons pour acquis dans le monde anglophone.

La BBC a résumé ce concept juridique : « [cela] signifie littéralement ‘vous devez avoir le corps’ – il permet à une personne d’être présentée devant un juge afin que la légalité de sa détention puisse être décidée par un juge. »

Lors d’un point presse à la Maison-Blanche le 9 mai, Miller a déclaré : « La Constitution est claire, et c’est bien sûr la loi suprême du pays, que le privilège du recours à l’habeas corpus peut être suspendu en temps d’invasion. Donc, je dirais que c’est une option que nous envisageons activement. Écoutez, tout dépend si les tribunaux font ce qu’il faut ou non. Le Congrès a adopté un ensemble de lois appelé Immigration Nationality Act, qui a retiré aux tribunaux de l’Article III… la compétence sur les affaires d’immigration. »

La suspension vise spécifiquement les migrants, mais une fois la pente glissante engagée, où cela s’arrêtera-t-il ?

L’habeas corpus a été suspendu à quatre reprises : pendant la guerre de Sécession sous Abraham Lincoln ; pour réprimer les activités du Ku Klux Klan pendant la Reconstruction ; aux Philippines en 1905 lors de l’occupation américaine du pays ; et tristement en 1941 après l’attaque de Pearl Harbor, lorsque des Américains d’origine japonaise ont été emprisonnés dans des camps d’internement.

Jusqu’à présent, les tribunaux rejettent les actions illégales et anticonstitutionnelles de Trump. Le président de la Cour suprême, John Roberts, soutient la décision des juges des tribunaux inférieurs comme James Boasberg. De plus, Roberts a averti Trump que ses attaques verbales contre la justice ne seront pas tolérées et qu’il y aura des conséquences.

Si la cours ne tient pas bon, nous sommes tous en péril.


Note : Les opinions exprimées dans cet article sont celles de son auteur et ne reflètent pas les opinions de WestmountMag.ca ou de ses éditeurs.

Image d’entête : Jake ParkinsonPixabay

Button Sign up to newsletter – WestmountMag.caAutres articles par Irwin Rapoport
Autres articles récents


Irwin RapoportIrwin Rapoport, journaliste indépendant, a obtenu une maîtrise en histoire et en sciences politiques à l’Université Concordia.

 



S’abonner
Notifier de
guest
0 Comments
Oldest
Newest Most Voted
Inline Feedbacks
View all comments