Kleztory et DakhaBrakha
en mode nucléaire
Double explosion musicale à la Place des Arts
Par Luc Archambault
Il est de ces concerts qui restent longtemps en mémoire, qui deviennent des icones d’excellence et d’invention. Celui de mercredi, 12 avril, qui mettait en vedette deux formations, Kleztory, un groupe Klezmer montréalais, et DakhaBrakha, d’Ukraine, se place d’ores et déjà en tête de cette liste d’honneur.
Kleztory, un groupe formé en 2000, est composé de cinq musiciens : Elvira Mishabakhova, Mélanie Bergeron, Dany Nicolas, Mark Peestma et Airat Ichmouratov. Cette mosaïque culturelle – russe, canadienne et moldave – insuffle à cet ensemble une force et une virtuosité sans pareille.
Avec leur plongée dans le répertoire Klezmer, cette musique traditionnelle d’Europe de l’Est qui semble si lointaine, Kleztory construit un pont essentiel entre cette étrangeté et la chaleur de ses propos et mélopées. Une prestation forte et enjouée, des chants et des musiques qui tissent des liens entre les diverses origines de ses membres. Qui aurait cru que le Klezmer avait des airs communs avec le Bluegrass ?
Cette mosaïque culturelle – russe, canadienne et moldave – insuffle à cet ensemble une force et une virtuosité sans pareille.
Ce spectacle était combiné au lancement de leur tout dernier CD, Nigun, leur cinquième album. Nigun est un mot hébreu qui signifie mélodie, et quelles mélodies ! Kleztory est un groupe à suivre. Leur succès est désormais planétaire et ils sont en tournée un peu partout sur la planète. Quel rayonnement pour la culture !
En finale de ce concert, le groupe DakhaBrakha – donner et prendre, en ukrainien – de Kiev. Ils ne se gênent pas pour clamer haut et fort une Ukraine « forte et libre », drapeau en main. Un quatuor composé d’Irina Kovalenko, de Marko Halanevych, de Nina Garenetska et d’Olena Tsybulska, qui, bien qu’entonnant des chants traditionnels – et ici, les voix et arrangements vocaux sont typiquement d’Europe de l’Est, tout en dissonance et en polyphonie, comme le Mystère des Voix Bulgares – réinvente cette tradition au moyen de rythmes, d’une musique complètement déjantée et ultra-moderne au moyen d’instruments fort simples, tels qu’accordéons, tambours et tam-tams, violoncelle, flûte, piano, harmonica.
Rien d’électronique, rien de faux, que du son, et du son merveilleusement orchestré ! La prestation est énergique, profonde ; les chants semblent sortir d’un autre âge, mais les arrangements novateurs et la musicographie complètement inédite viennent rehausser et réinventer cette tradition. De la performance de haut niveau.
Ce groupe parcourt la planète en une tournée infernale et a déjà endisqué cinq albums : Yahudky, 2007 ; Na mezhi, 2009 ; Light, 2010 ; Khmeleva Project, 2012 ; et tout récemment The Road, 2016). D’ailleurs, le concert de la semaine dernière a failli ne pas avoir lieu, l’une des membres du groupe ayant eu des problèmes avec nos trop restrictifs douaniers pour son visa d’entrée au pays.
‘… les chants semblent sortir d’un autre âge, mais les arrangements novateurs et la musicographie complètement inédite viennent rehausser et réinventer cette tradition’
Comment ne pas s’abandonner à l’écoute de ces voix fortes sortant du fond des âges, de cette originalité qui combine tradition et modernité, rythmes fous et voix antiques ? Comment résister à une Ukraine libre et forte, toute en chaleur et inspiration, sous l’égide de pareils ambassadeurs ?
Ici, je dois avouer mon incrédulité face aux sièges vides de la salle Wilfrid Pelletier lors de ce concert magnifique. J’y ai très certainement contribué en n’écrivant pas de pré-papier pour ce concert. Dire que j’avais en main toutes les informations voulues, les extraits sonores, tout découlant de Traquen’Art, cette boîte de diffusion sans pareille qui a fait venir Jordi Savall à Montréal un peu plus tôt cet hiver. Il est dommage que tant d’excellence n’ait fait salle comble.
Je vous conseille donc de retenir ces noms : Traquen’Art, DakhaBrakha et Kleztory, et de suivre religieusement toutes leurs prestations futures. L’état d’enchantement total que vous y trouverez saura favoriser une vague de bien-être comme seule la musique de haut vol sait générer.
Images: Sylvain Légaré
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Luc Archambault
Écrivain et journaliste, globe-trotter invétéré, passionné de cinéma, de musique, de littérature et de danse contemporaine, il revient s’installer dans la métropole pour y poursuivre sa quête de sens au niveau artistique.
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