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‘Yen’ et ‘Act of God’,
le théâtre des Bobos

Deux pièces intellectuellement décevantes

Par Luc Archambault

J’ai vu, la semaine dernière, deux pièces, l’une au Théâtre de la Licorne (Yen, par Anna Jordan) et l’autre au Théâtre Prospéro (Act of God, par Marie-Josée Bastien et Michel Nadeau). Bien que ces pièces jouent devant des salles combles, je me questionne sur la pertinence de ces représentations, sur le niveau d’imaginaire du public présent, sur l’état de la culture dite d’élite, sur la signifiance de ce nouvel ordre d’idée.

Entendons-nous d’emblée. Je ne critique aucunement les équipes derrière ces deux pièces. Les comédiens sont tous excellent, les mises en scène efficaces, les décors, bien que minimalistes, sont ingénieux. Mais les textes et les choix de ces pièces par les théâtres qui les accueillent, ça, c’est autre chose.

Act of God Théâtre Prospéro WestmountMag.ca

Act of God

Ma première mauvaise surprise fut Act of God, une pièce d’une trame narrative si mince qu’elle m’a complètement scié les jambes. Résumons : deux couples habitent un duplex. Deux couples de bobos ? Un peu. Moins que les spectateurs, mais nous y reviendrons. L’un des couples est composé d’un photoreporter spécialisé dans les conflits de par le monde et sa compagne, une prof de physique au secondaire, et l’autre d’un biologiste qui se spécialise dans les racines d’arbres et les champignons et sa compagne qui a fait fortune lors des bulles technologiques. Le biologiste a une fille d’une précédente union qui est en grand mal de vivre. Les couples sont orbités par un ami un peu pitre, très niais et superficiel. Et la jeune femme possède aussi ses électrons d’amis.

…je me questionne sur la pertinence de ces représentations, sur le niveau d’imaginaire du public présent, sur l’état de la culture dite d’élite, sur la signifiance de ce nouvel ordre d’idée.

Or, cette pièce ne lève jamais. Ou plutôt, elle n’approfondit aucun de ses thèmes. Par exemple, au milieu de la pièce, le photographe entame une autocritique sur le rôle de témoin de notre temps que joue un photographe, sur la laideur et la violence à la base de son travail. Phrases toutes pleines, toutes vivantes, qui sont immédiatement rabaissées par la réplique de l’ami zigoto qui lui entame un discours sur les bouts d’saucisse enrobées de bacon… au grand plaisir des quidams de l’assistance. Et la fin… mais quelle fin ? Aucun défoulement ou catharsis, rien. Comme si on arrivait à la fin d’un épisode de la P’tite Vie… et même encore. Évidemment, applaudissements à profusion, ovation debout. J’en ai encore la nausée.

Yen Théâtre la Licorne WestmountMag.ca

Yen

Le lendemain, Yen, à la Licorne. Ici, une dramaturge britannique, mais on est à des années lumières de Sarah Kane. Donc, deux frères qui vivent dans un appartement misérable de banlieue et que leur mère a abandonnés. Ils vivent donc en quasi autarcie, s’alimentant de fast food, de pornographie et de jeux vidéo. Puis, arrive dans cet univers glauque une jolie voisine, qui a vite fait de tourner la tête de l’un des frères.

Bon, une pièce minimaliste. Qui ne vole guère plus haut que les pâquerettes. Encore une fois, la salle est pleine, la foule jubile. On se croirait à une pièce jouée dans une polyvalente. Disons qu’on est loin de Beckett ou de Müller. N’empêche. Le jeu des comédiens est crédible, les répliques sont justes, le décor est efficace. Puis, une autre finale sans aucune catharsis. Comme un soufflé qui tombe à plat. Bien entendu, applaudissements fournis, ovation debout.

Est-ce là l’avenir du théâtre, du vaudeville sans grande envergure, de la fiction digne de nos Quatre-Saisons grand V, un pâle reflet de la Reality-TV ?

Qu’est-ce que je conclu de ces deux soirées ? Que le théâtre se porte mieux qu’avant mon exil en terres chinoises il y a trois ans ? Ah, il semble que les théâtres marginaux, tels La Licorne et le Propéro, aient réussi à renouveler leurs portions de marché. À l’époque, les salles à moitié vide semblaient de mise. Mais l’on était assuré, par contre, lorsque l’on se présentait au théâtre, d’assister à une joute intellectuelle de haut niveau.

Yen Théâtre la Licorne WestmountMag.ca

Yen

Les bobos ont besoin de leur théâtre à eux, itou. Et je comprends qu’ils ont les sous pour appuyer leurs goûts, aussi élémentaires soient-ils. La Licorne, à la limite, mais que le Prospéro, l’antre de Gabriel Arcand où j’ai vu tant de Dostoïevski et le sublime Théâtre décomposé ou l’homme-poubelle de Matéi Visniec, propose une pareille pièce, sans grande valeur intellectuelle, me désole. Est-ce là l’avenir du théâtre, du vaudeville sans grande envergure, de la fiction digne de nos Quatre-Saisons grand V, un pâle reflet de la Reality-TV ? Disons qu’aujourd’hui, je remets en question la pertinence de la profession de chroniqueur culturel.

Act of God est présenté au Théâtre Prospero jusqu’au 11 février
Yen est présenté au Théâtre La Licorne jusqu’au 17 février

Images : Yen – PL2 Studio ; Act of God – Nicola-Frank Vachon


Luc Archambault WestmountMag.ca

Luc Archambault
Écrivain et journaliste, globe-trotter invétéré, passionné de cinéma, de musique, de littérature et de danse contemporaine, il revient s’installer dans la métropole pour y poursuivre sa quête de sens au niveau artistique.



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